Pitoyable dérive de la « télé-politique-réalité »

Une du Parisien du 28/10/2014

Une émission de D8 consiste à travestir des politiques, au point de les rendre méconnaissables (même de leurs proches), pour les plonger anonymement dans la vie de « vrais gens » et leur galère.

Geoffroy Didier, Michèle Alliot-Marie, Julien Dray, Bernard Accoyer… avaient joué le jeu (ridicule) du déguisement (avant, pour certains, de se rétracter).

Dans cet éditorial, le directeur de la Revue Civique, Jean-Philippe Moinet, s’insurge contre la dérive que représente ce genre de « télé-politique-réalité », et il souligne que les attentes des Français ne sont sans doute pas de travestir les politiques pour « ressembler » (aux citoyens) mais, à l’inverse, d’être différents, de prendre de la « hauteur » (sans être hautain) pour entraîner démocratiquement, et rassembler. 

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À croire qu’ils le font exprès : dévaloriser la politique, favoriser le Front national… se ridiculiser eux-mêmes ! Une chaîne commerciale, D8, par l’intermédiaire d’un producteur imaginatif et sans doute intéressé par les recettes de la « télé réalité », vient de faire la démonstration que certains politiques sont prêts à dépasser allègrement les limites du ridicule, pour simplement « passer à la télé » !

Le syndrome Bachelot, du nom de la Ministre recyclée en amuseuse de talk show (grassement payée), est passé par là. La chaîne D8 (groupe Canal +) aime la confusion des genres et a surtout flairé la part de marché, prête à travestir des hommes et des femmes politiques pour les déguiser en anonymes vrais gens, en situation de difficulté. Pathétique !

Ainsi le sarkozyste de la « jeune génération », Geoffroy Didier, l’ancien Ministre de l’ancienne génération, Michèle Alliot-Marie, le socialiste ami du Président, Julien Dray, se sont littéralement grimés, devenant méconnaissables même pour leurs proches, pour soi-disant mieux plonger, incognito, dans « la France d’en bas ». Burlesque !

Fataliste et un brin cynique, l’ex-Ministre sarkozyste Thierry Mariani se trouve une excuse : « De toute façon en ce moment, dit-il au Parisien, les gens ne nous aiment pas… Alors autant défendre ses convictions et prendre des risques ». On se demande où est la défense des convictions dans une telle comédie de boulevard. Même un ancien Président de l’Assemblée Nationale, le filloniste Bernard Accoyer, a trouvé opportun « pour la télé » de mettre une fausse moustache et une barbichette  dans le but de mieux « comprendre » le problème des urgentistes à l’hôpital. Navrant !

Alléché par le bon coup médiatique, le producteur de la risible émission, Olivier Hallé, ose parler de finalité pédagogique, de la manière qu’il a, lui, trouvée pour réduire « la cassure qui ne cesse de s’agrandir entre le peuple et ceux qui nous gouvernent ». Dramatique ! Comment une chaine de télévision responsable, si ce terme veut encore dire quelque chose dans ce genre de sociétés de production, peut-elle  invoquer l’effective fracture civique, qu’elle contribue à l’évidence à creuser encore par ce genre de trouvailles ?

Bien sûr, l’amusement public ne saurait être censuré, et les chaînes sont bien heureusement libres, comme les politiques qui s’y prêtent d’ailleurs, d’abonder dans le mélange des genres, la confusion des registres qui, de Ruquier à Ferrari-Bachelot, n’en n’est pas à un dérapage près. Rappelons que c’est dans cet espace ambigüe de la franche rigolade assez nihiliste, où le bon client de télé « pipolisée » se sent encouragé à dire tout et n’importe quoi en tapant sur l’épaule du voisin face à la caméra, que les provocations racialistes – et populaires – d’un Zemmour ont trouvé leur essor. Et leur marché lucratif !

Le pire, c’est que ces producteurs d’opérettes ne sentent rien des aspirations populaires : les Français n’attendent certainement pas des politiques qu’ils se travestissent en apparent « vrais gens », contrairement à ce que laisse accroire le discours habituel sur le désir de proximité. C’est à l’inverse une différence qu’ils attendent et une hauteur de vue qu’ils respectent, c’est une certaine idée de la fonction politique, non pas hautaine mais haute, qu’ils apprécient majoritairement, aujourd’hui.

Pour que la politique, au lieu de faire spectacle et d’alimenter la moquerie générale, retrouve son crédit. Et, au-delà, son rôle. Qui n’est pas forcément de ressembler (au citoyen) mais d’être en quelque sorte « au-dessus » : non pas pour dominer, d’une manière monarchique d’un autre âge, mais pour entraîner, de manière démocratique, et rassembler. Les amuseurs de D8 devraient y réfléchir, s’ils veulent devenir crédibles, au-delà de l’amusement éphémère : l’avenir est au respect de la politique et non, « contre son gré malgré soi » et sous l’hypocrisie de la pédagogie, à son dénigrement folklorique.

Jean-Philippe Moinet,
directeur de la Revue Civique

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