Le danger est bien là; la France soudée aussi ! (JP Moinet) Notre émotion partagée a un sens (F Guillory)

(ci-dessus, hommage aux victimes de l’épicerie cacher de Vincennes : nous sommes -tous- juifs aussi, et solidaires)

ANALYSE (au 8.01.15)

Au-delà des menaces, qui remontent à de nombreuses années, les Français vont-ils devoir vivre durablement, sur leur sol, avec des actes de violence terroriste ? La crainte est arrivée, le 7 janvier, comme un électrochoc.

Touché d’abord par l’effroi, démuni ensuite, quelque peu réconforté assez vite après : chacun s’est senti directement et spontanément concerné par l’attaque terroriste qui s’est déroulée en plein Paris, avec une extrême violence.

Comme l’horrifiante violence est dans toutes les têtes, et qu’elle ne s’effacera pas de nos mémoires, évoquons ce qui a pu rapidement réconforter, phénomène suffisamment rare pour être souligné et apprécié : cet élan exceptionnel, national et international, qui a permis très vite de manifester une solidarité, une unité aussi. Cette cohésion républicaine va-t-elle, peut-elle, se dissoudre en quelques jours ou semaines ?

Dans une société présumée individualiste, égocentrique et matérialiste, quelque chose s’est produit et chacun a pu mesurer, dans l’émotion mais aussi la raison, que des valeurs essentielles, fondatrices même, étaient en jeu. Liberté-Egalité-Fraternité : avec l’assassinat de dessinateurs de presse – et au passage de policiers, agents de notre sécurité – les termes de notre devise républicaine ne sont plus apparus comme des mots creux et abstraits, mais bien des valeurs fortes, pouvant être tragiquement menacées.

L’histoire est faite de ces moments tragiques, où la violence, la guerre – les Français ont réalisé que nous étions bien dans une forme de guerre – avivent toutes les tensions, humaines et idéologiques. Au point, parfois, de renverser complètement la table de la Loi commune (sous l’Occupation allemande, il y 74 ans, c’est la République qui était abattue dans et par la Collaboration). Au point, d’autres fois, d’engager un bras de fer dont le résultat n’est pas forcément assuré.

 « Les dangereux criminels d’une cause folle mais perdue »

Dans la guerre djihadiste qui est mondialement menée, on peut estimer que le camp des vainqueurs ne fait et ne fera pas de doute. Mais cette guerre est douloureuse, elle est menée depuis de nombreuses années : dans les pays occidentaux, par ces ennemis de la liberté, mais aussi, et souvent en premier lieu, dans les pays dits de culture arabo-musulmane : souvenons-nous de la terrifiante guerre civile provoquée par les islamistes, qui a déchiré l’Algérie il y a une vingtaine d’années. Avec un affreux bilan d’environ 100 000 morts.

Le recul de l’histoire, et de la géographie, est une manière de se rassurer peut-être. Mais les fous furieux d’Allah n’apparaissent pas moins comme de dangereux criminels d’une cause perdue. Ils frappent, ils tuent, mais ils ne gagnent pas, ils ne gagnent jamais vraiment, ni en Occident, ni ailleurs dans le monde. Quand ces fanatiques prennent le pouvoir, comme en Afghanistan du temps des talibans, leur folie finit par les atteindre eux-mêmes, dans le mécanisme d’autodestruction propre aux extrémismes les plus radicaux.

Ces fous furieux ont été chassés du pouvoir, par les Afghans eux-mêmes ; même si, après le 11 septembre 2001, le sanctuaire terroriste afghan menaçant les plus grandes capitales occidentales, il a fallu intervenir militairement « à la source », dans le cadre d’une vaste coalition internationale qui, près de 15 ans après, doit encore maintenir une forme de présence et une vigilance de tous les instants : pour ne pas, à nouveau, laisser le champ libre aux forces djihadistes les plus belliqueuses.

Ces fous furieux ne gagneront pas plus – et même sans doute beaucoup moins – de parcelles de pouvoir, même culturellement parlant, au sein des nations démocratiques, dont l’espace s’est d’ailleurs plutôt étendu ces 25 dernières années, au-delà de l’Occident, en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie.  Ces criminels dont la cause est indéfendable, et donc perdue, se sont engagés, par la violence qui est leur seul langage, dans une impasse. De type suicidaire.

Le danger est évidemment bien là, pour celles ou ceux qui ont le malheur d’être pris pour cible ou d’être sur le chemin des ces bandits fanatisés, loups plus ou moins solitaires, qui s’abreuvent d’images et de propagandes djihadistes, déversées sur Internet dans un libéralisme absolu, qui échappe sans doute bien trop encore à une forme de régulation qu’on pourrait espérer plus « civilisationnelle ». Mais le débat n’est pas immédiatement là. Car le danger, lui, est bien physiquement là, et l’attaque de Paris l’a tragiquement démontré : 12 personnes abattues de sang froid, la plupart assassinés dans les locaux d’un journal, Charlie Hebdo, dont le reproche insensé est d’avoir publié des écrits ou des dessins, moqueurs, rieurs, jugés « blasphématoires » par le tribunal délirant des djihadistes armés, qui n’a d’autre sentence que la peine de mort, par bombe ou kalachnikov !

« Notre identité républicaine française justement piquée au plus vif »

Cet acte terroriste a touché au cœur, les victimes ne pouvant pas mieux symboliser la liberté chère aux Français, liberté de la presse et liberté d’expression, qui fondent, depuis la Révolution française de 1789, le socle de notre édifice républicain et national. Par la bestialité terroriste, « bête et très méchante » pour paraphraser l’esprit satirique, voilà notre identité nationale ET républicaine française piquée au vif. Les fous furieux sont non seulement des violents extrêmes, sans foi ni loi, ils sont également bêtes, idiots, absurdes.

Car toute la France s’est soudée contre cette bande de fanatiques en ce jour de deuil national, jour sans doute historique aussi pour cela, France unie, réunie sur l’essentiel, pour dire non au fanatisme et à sa violence, et pour dire oui au vivre ensemble, dans la République et dans la diversité, des opinions, des origines, des religions. Religion musulmane bien comprise, naturellement, dans ce pacte national et républicain, qu’il s’agit désormais, non seulement de réconforter en surface, mais de renforcer en profondeur.

Pour cette consolidation, c’est une autre histoire, qui sera longue mais qu’il faut écrire avec ardeur . La France, un jour de massacre dans une rédaction, re-« découvre » que le terrorisme peut tuer sur son sol. La France le constate : cette furie djihadiste n’a évidemment rien à voir avec l’humanité, rien à voir avec la dignité humaine, rien à voir avec la République française, « laïque et démocratique », « une et indivisible », comme l’édicte l’heureux marbre de notre Constitution en son article premier.

Cette furie fanatique n’a rien à voir non plus avec les religions, qui étymologiquement « relient » les êtres entre eux, mais qui ne sauraient en aucune manière embrigader, ni enrôler dans des missions de violence. Si guerre des religions il y a eu, en France et ailleurs, si cette guerre est levée comme une menace par des idéologues sanguinaires et obtus, rien ne dit que l’Islam en particulier, ici et maintenant, doit lui aussi subir le sombre destin guerrier d’un Djihad.

Les « versets de l’épée », dans le Coran, existent bel et bien, les versets de l’amour et du respect tout autant, les érudits de tous les continents le savent. Les citoyens et les politiques, eux, doivent prendre leur responsabilité pour bien affirmer qu’aucun verset, quel qu’il soit, même sorti des écritures du Moyen Age, ne saurait servir de prétexte à une violence qui, dans l’espace démocratique, n’a non seulement pas sa place mais doit être combattue, et condamnée.

« Nous sommes tous civiquement Charlie »

Les principes de la démocratie sont à la fois en jeu et en joue : visés par les extrémistes en tous genres, leur défense, qui doit être intransigeante et implacable, est à réaliser dans le cadre des règles démocratiques, et donc dans le respect des règles fondamentales protectrices de la liberté individuelle. C’est tout l’honneur – mais aussi la force des démocraties sur tous les autres systèmes politiques – de se défendre des agressions, sans abdiquer sur ses propres principes : respect, droit, liberté.

La force, militaire et sécuritaire, peut et même doit dans certains cas être employée. En France, et ailleurs dans le monde, les démocraties en sont là: se défendre, face à des agresseurs djihadistes qui ont mondialisé leurs réseaux, leurs modes d’actions, leurs moyens de propagande… Police, armée : pour la France agressée, ce sont les fonctions et missions régaliennes de la République qui sont aussi mobilisées. Pour agir, pour ne pas laisser faire le crime djihadiste, commis en bandes organisées.

Pour les citoyens, reste à rester confiants, en cette force de la République et de la démocratie. Reste à éviter tout amalgame, opéré par tous les extrémistes qui se ressemblent sur ce point aussi et qui cherchent à faire alliance objective (le jeu récupérateur de l’extrême droite est assez clair, il suffit de lire leur « presse »). Reste aussi, dans le court terme, pour les citoyens que nous sommes à ne pas céder à la panique, ni même à la peur car c’est bien l’un des premiers objectifs, en tous temps et en tous lieux, des terroristes. « Nous sommes tous civiquement Charlie », nous ne leur ferons donc pas ce cadeau là, non plus.

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet auteur, chargé d'enseignement en Master, a présidé l'Observatoire de l'extrémisme. Il a fondé et dirige la Revue Civique.

Jean-Philippe MOINET,  

fondateur de la Revue Civique.

(8 janvier 2015, Paris)

► Les Unes des journaux, en trois séquences

 

 

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« Nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas »

Par Franck GUILLORY

Franck Guillory

Franck Guillory, ancien rédacteur en chef de JOLPress, est journaliste, membre du conseil éditorial de la Revue Civique

Lundi 7 janvier 2015. Comme spontanément, à l’appel informel de quelques organisations mais surtout de la raison et du coeur, la place de la République s’est noircie de monde, comme une seule même ombre.

Vers 19 heures, Marianne était encerclée d’une foule compacte. A ses pieds, des bougies et, non loin, les portraits de Cabu, Wolinski, Charb et Tingus, symbôles une dernière fois, et à jamais, des martyrs de Charlie, Charlie Hebdo, assassinés sauvagement, à l’arme de guerre, par trois barbares, forcément cagoulés, évidemment entrainés, au siège de leur journal en pleine réunion de rédaction, ce lundi 7 janvier 2015.

« Nous avons vengé le prophète Mahomet, nous avons tué Charb… »

« Un silence de colère aussi»

Sur la place. Du silence. Un silence, silence d’émotion, de recueillement, de respect, mais de colère aussi sans doute. 

Des applaudissements. Des applaudissements parce que ces journalistes, ces militants, ces engagés enragés – que l’on partage ou non toutes leurs prises de position, tous leurs excès, tous leurs courages – étaient aussi des artistes. Salut !

Des affichettes, portées vers le ciel à bout de bras, au bas des arbres, sur les panneaux et les vitrines. « Je suis Charlie « .

Et un slogan, scandé, haut et fort…  » Nous sommes Charlie « ….

Et puis un autre slogan, un autre cri… « Liberté… Liberté d’expression « …

Modération. Modération d’une foule sous le choc, en deuil, d’une foule sans doute trop avertie, en plein coeur de Paris, et comme soucieuse non pas d’apaiser mais de contenir encore la signification réelle de l’effroyable message adressé ce matin, une énième fois mais comme jamais, par les agents de mort des pires fanatismes.

« Ce que nous tous, collectivement, représentons a été visé »

 Modération. Mais une modération dangereuse si nous cherchons à nous convaincre que c’est la seule liberté d’expression -pire, le privilège de nous, journalistes – que ces barbares ont tenté de museler et, pire, d’assassiner entre Bastille et République.

Bien sûr, il y avait eu, à l’automne 2011, l’ « affaire des caricatures de Mahomet  » et les premiers avertissements à coup de cocktails Molotov – à, comparativement, peu de frais. Bien sûr, Charb était en haut de la liste des cibles prioritaires d’Al Qaïda et de ses acolytes.

Pourtant, ce n’est pas que Charlie Hebdo, des journalistes – et deux policiers aussi -, l’idée d’une presse libre et la liberté d’expression, qui sont visés à travers cette attaque terroriste. Ce qui est visé va bien au-delà. Ce qui est visé, c’est tout ce que nous, nous tous, journalistes ou non, collectivement, symbolisons, incarnons aux yeux de ces terroristes, de ces fanatiques, de ces pervers, de ces barbares.

Charlie était une cible choix, une cible perturbante. Mais si Charlie n’existait pas, si Charlie n’avait pas, à leurs yeux, offensé le prophète Mahomet ou si Charlie avait été baillonné – ce à quoi notre justice, au nom de nos valeurs, s’est toujours refusé -, ils auraient tiré ailleurs, comme d’autres l’ont déjà fait et d’autres – craignons-le – le feront à nouveau. Ils auraient trouvé une autre cible, d’autres cibles, forces de symbole ou victimes expiatoires.

Nous célébrions le 31 juillet dernier le centenaire de la mort de Jean Jaurès. Avec lui, à l’époque, ce n’est pas le pacifisme mais la paix qui a été assassiné. De même, avec Charlie Hebdo, c’est bien plus que le journalisme, la presse libre ou la liberté d’expression qui sont visés.

Je suis Charlie. Nous sommes Charlie, oui oui !

« L’amour des siens comme des autres »

Mais nous sommes, nous sommes aussi, surtout, jusque dans le désordre, la France, sa République, l’Europe, son Union, l’Occident, le monde moderne civilisé – bien qu’imparfait – partout, la liberté, toutes les libertés, la démocratie, les Lumières, la foi dans l’avenir et le progrès, l’idéalisme autant que l’irréalisme, le rêve aussi et l’Amour des siens comme des autres.

Il faudra plus que trois barbares, fussent-ils armés d’AK 47, pour nous réduire en servitude, mais, désormais, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas et sous-estimer la portée du danger. Trop longtemps, nous avons feint d’ignorer comme si cela pouvait suffire à résister et triompher…

Franck GUILLORY (8/01/15),

journaliste, après avoir travaillé pour France 24, il a été rédacteur en chef de JOLPress. Il est membre du conseil éditorial de la Revue Civique.