Désastre et impasse à Gaza: Netanyahou fracture Israël et satisfait les mouvements radicaux à relents antisémites

Pour tout observateur sincèrement et profondément attaché aux valeurs démocratiques, à l’universalisme des principes, à l’Etat de droit et au respect des personnes quelles que soient leurs origines, leurs croyances ou non croyances, il est devenu évident que les options et les décisions du Premier ministre israélien et de ses alliés d’extrême droite suprémaciste ont provoqué une cascade d’effets désastreux, à la fois pour les populations palestiniennes bien sûr, mais aussi pour l’Etat d’Israël lui-même et pour les démocraties occidentales : les actions guerrières menées à Gaza, sans résultats probants après deux ans de combats (nous y reviendrons), ont tragiquement frappé de nombreuses populations civiles, elles ont agité et fracturé la société israélienne, sa démocratie – la seule dans l’univers autocratique du Proche-Orient – et contribuent à amplifier un antisémitisme virulent au niveau global. Triple échecs pour B Netanyahou, tragédie pour les Gazaouis et redoutable effet boomerang pour les juifs du monde entier.

Au moins depuis la rupture (en mars 2025) de la trêve, un aveuglement destructeur a fini par caractériser cette guerre à Gaza, qui a aggravé le ravage humanitaire et conduit à une impasse stratégique : tragique pour les civils, militairement sans résultats, cette guerre est (géo)politiquement désastreuse et ses dégâts sont considérables sur au moins trois niveaux, pour les populations civiles d’abord, pour les intérêts d’Israël ensuite, pour la lutte globale contre l’antisémitisme enfin. Après le traumatisme qu’a représenté l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 – la plus vaste et violente qu’ait du subir l’Etat d’Israël depuis sa création en 1948 -, tous les Etats démocratiques du monde et leurs populations (et même celles des Etats non démocratiques) se montraient immédiatement solidaires du peuple israélien, sauvagement agressé. Il fallait bien sûr soutenir sans la moindre réserve les Israéliens, touchés au coeur d’une jeunesse qui n’avait pour seul tort, aux yeux des tueurs fanatiques du Hamas, d’être juive, et à portée de couteaux ou de kalachnikov au petit matin d’un festival de musique au sud d’Israël.

A ce moment-là, tout le monde (à l’exception notable, visible dès ce jour-là en France, d’activistes du NPA et de LFI) dénonçait l’insoutenable tuerie terroriste et comprenait qu’une riposte implacable de Tsahal allait et devait rapidement intervenir pour réduire les combattants de l’organisation terroriste, terrés dans les centaines de kilomètres de tunnels, cyniquement dissimulés derrière des boucliers humains ou sous des hôpitaux et des écoles. Cette guerre extrêmement délicate contre le terrorisme fut donc entreprise sans mise en cause de la légitimité de ses objectifs, clairement définis : libérer les otages capturés par le mouvement islamiste et défaire la gouvernance tyrannique exercée par le Hamas sur Gaza et sa population depuis trop d’années.

Après la rupture de la trêve en mars 2025, de nombreuses localités gazaouies ont été complètement rasées (ici, source BBC).

Deux ans après, l’union nationale a explosé en Israël et le chef politique des opérations, le Premier ministre israélien a réussi l’exploit de discréditer la réputation d’efficacité de l’armée israélienne, par des décisions stratégiques et des choix opérationnels qui, à Gaza, n’ont pas atteint les cibles annoncées (le Hamas, pas les populations civiles, dont femmes et enfants de ce territoire), ni permis la libération complète des otages et l’éradication du mouvement terroriste. D’autres objectifs ont sans doute été poursuivis. Le Hamas a certes perdu ses chefs (notamment par des actions extérieures qui ont su, elles, être ciblées) mais il n’a pas été vaincu dans la bande de Gaza les racines idéologiques et militantes d’une organisation qui a même tendance à prospérer dangereusement dans les territoires palestiniens, comme dans le reste monde arabe et ailleurs.

B Netanyahou et ses partenaires, fanatiques d’extrême droite sans filtre, sont devenus les meilleurs alliés objectifs des mouvements activistes radicaux du monde entier, qui n’ont de cesse d’instrumentaliser l’antisionisme radical pour un faire un puissant vecteur d’antisémitisme.

Bravo M. Netanyahou ! La guerre a été si mal menée que la société israélienne est divisée comme jamais. La peste antisémite, elle, ne trouve évidemment pas son origine, ni son dramatique développement, dans les actions de Benjamin Netanyahou mais force est de constater que lui et ses partenaires, fanatiques d’extrême droite encouragés à être sans filtre, sont devenus les meilleurs alliés objectifs des mouvements activistes radicaux du monde entier, qui n’ont de cesse d’instrumentaliser l’antisionisme pour un faire un puissant vecteur d’antisémitisme. Là est le grand danger. On le sait, l’histoire l’a montré, des extrêmes s’appuient sur d’autres extrêmes dans une confrontation qui est, en fait, un dialogue entendu et finalement une appréciation implicite.

Les extrémismes s’installent comme cela, ils prospèrent sans frontières idéologiques ou géographiques, ils paraissent s’opposer mais ils se ressemblent dans leurs radicalités, les uns parlent d’antisémitisme, d’autres de racisme, mais une même haine les réunit. Ils enferment leurs troupes militantes dans une spirale infernale et aveugle, où toute raison finit par disparaître, où toute modération est écartée et même combattue: on ne doit pas déranger le fanatisme ! C’est cet engrenage qui met sous tension la région et le monde, qui met à mal la démocratie israélienne et qui met en danger, globalement, les principes et les citoyens de nos démocraties.

C’est pourquoi, pour reprendre une célèbre formule qui était appliquée à une grève, il faut savoir arrêter une guerre. Il est évident, au moins pour tous ceux qui ne veulent pas sombrer dans l’autoritarisme populiste identitaire, que la guerre qui a été entreprise après le 7 octobre a pris une sale tournure à Gaza, les destructions massives et les frappes approximatives ont été trop manifestes et répétées pour ne pas correspondre à de sombres calculs politiques, qu’on retrouve chez les dirigeants les plus cyniques : ils utilisent la guerre, non pour défendre leur territoire ou leur peuple, mais pour conforter leur assise politique (intérieure) par une agression (extérieure). De ce point de vue, la logique de B Netanyahou ressemble bien davantage aux méthodes de V Poutine qu’à celles de grands dirigeants israéliens qui ont su, quand il le fallait, devenir faucons pour mener efficacement des répliques militaires aux attaques mais aussi se muer en colombes pour négocier et signer des accords de paix, qui ont su préserver l’essentiel pour l’Etat d’Israël: des garanties de sécurité.

Enfermé dans ses échecs et surjouant, dans de récentes séquences, la surenchère verbale et injurieuse à l’encontre de ceux qui le critiquent, en France notamment, le Premier ministre israélien est, depuis plus d’un an, désavoué par de nombreux hauts dirigeants de sécurité nationale israélienne. Ministre israélien de la Défense après le 7 octobre, Yoav Gallant, a été limogé en novembre 2024 alors qu’il préconisait des actions diplomatiques pour favoriser la libération des otages et proposait de tracer une perspective politique pour « l’après » (guerre) à Gaza. L’union nationale qu’exigeait l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 n’a donc pas duré plus d’un an. Le Premier ministre et ses alliés d’extrême-droite ont choisi ensuite de rompre une trêve pour amplifier des combats qui ont démontré leur inefficacité (les derniers otages n’ont toujours pas été libérés et la gouvernance d’un Hamas affaibli n’a pas pris fin). Cette obstination guerrière, meurtrière pour les populations civiles, consiste visiblement à maintenir artificiellement, et le plus longtemps possible, un conflit permettant à son commanditaire suprême de rester au pouvoir et de repousser les poursuites, politiques comme judiciaires, que pourrait imposer un cessez-le-feu et le retour à une vie démocratique normale.

Le fanatisme Hamas n’est pas écrasé à Gaza, il s’abreuve du sang et des larmes de victimes innocentes pour former une génération de futurs terroristes habillés en « martyrs résistants ».

Les populations civiles gazaouies continuent ainsi de subir une tragédie. L’état humanitaire, sur le plan alimentaire et sanitaire – est catastrophique pour la population de cette bande de territoire, qui craint les foudres tombées du ciel tout en subissant une tyrannie islamiste du régime Hamas depuis près de 20 ans. Grandes souffrances pour un si petit territoire. Malgré les conseils prodigués, juste après le 7 octobre par de nombreux experts de sécurité (israéliens et occidentaux), les opérations militaires israéliennes n’ont donc pas conduit à libérer les Palestiniens de Gaza de la terrible emprise du Hamas, l’action militaire menée n’a pas été en même temps humanitaire et libératrice. Non, ce territoire est au contraire dévasté. Et dans les tunnels comme sous les décombres se préparent les adeptes de la pire martyrologie islamiste. Le fanatisme n’est pas écrasé, il s’abreuve du sang et des larmes de victimes innocentes, pour former une génération de futurs terroristes habillés à Gaza en « martyrs résistants ».

On en est à ce désastreux bilan. Le Premier ministre qui a échoué sur le terrain stratégique, vivement contesté en Israël pour cela (comme pour la vulnérabilité qui avait permis la tuerie du 7 octobre), en est venu aussi avec ses alliés à accuser d’antisémitisme ceux ou celles qui critiquent sa politique, de plus en plus nombreux également en dehors d’Israël. L’absurdité de cette accusation est symptomatique et nocive : révélatrice d’un enfermement de type paranoïaque, l’accusation affaiblit la solidarité des démocraties avec Israël et nie les nombreuses actions menées depuis le 7 octobre dans le monde démocratique, en France particulièrement, pour lutter plus efficacement contre le fléau de l’antisémitisme, toute une série de mesures ayant été prises en deux ans pour mieux endiguer le mal dans les domaines-clés comme la Justice et la Police, l’Education ou les Universités.

L’accusation est aussi absurde qu’injuste dans une période où, précisément, les décisions prises par B Netanyahou et ses alliés fanatisés ont produit l’inverse des objectifs affichés en matière d’antisémitisme : la radicalité guerrière à connotation suprémaciste permet en effet au militantisme de la gauche la plus radicale de se déployer aisément. Le sourire de Rima Hassan, l’élue de la liste LFI aux dernières élections européennes démontre parfaitement la délectation quasi-jubilatoire de profiter d’une telle situation. Les activistes d’extrême-gauche s’appuient sur les radicalités de cette extrême-droite guerrière pour déverser plus encore leur propagande, qui ne vise pas vraiment le gouvernement de M. Netanyahou ou ses décisions mais l’existence même de l’Etat d’Israël. C’est explicite dans les propos de Rima Hassan.

En cela, l’extrême droite israélienne, associée au pouvoir par l’actuel Premier ministre israélien, apparaît clairement comme le meilleur allié objectif de ceux qui agitent leur antisionisme radical, offrant encore et toujours au Hamas les attributs indécents d’un mouvement de « résistance » ! De nombreux jeunes et naïfs esprits se font duper et embarquer dans l’agitation sur des campus universitaires, abreuvés de puériles slogans. Pire encore, des activistes et des idéologues participent à la propagation d’un antisémitisme à peine masqué, qui cible donc en tant que tels les juifs et boycotte tout Israélien, jugé complices, dans l’un des pires amalgames qu’on ait pu connaître dans l’Histoire, d’un supposé « génocide ». Le boycott, lancé à Paris contre des chercheurs israéliens invités à participer à un colloque historique au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, fait froid dans le dos.

Immense manifestation popualire, à Tel Aviv début septembre, s’opposant à la guerre sans fin et sans résultats à Gaza.

Cet engrenage doit donc impérativement être stoppé. Qu’ils soient acteurs diplomatiques, politiques ou acteurs de la société civile, tous les responsables qui constatent la gravité de cette situation doivent mener des actions allant dans ce sens. En cette période où toutes sortes de pouvoirs autoritaires et d’instincts primaires menacent les démocraties, les citoyens démocrates de toutes sensibilités doivent agir pour mettre fin à cette terrible dérive des affrontements systémiques et d’exportation des radicalités, liée à une guerre dont le volet idéologique et ses impacts ne doivent pas être sous-estimés. Dans ce contexte explosif, les voix de personnalités juives de France qui ont su s’élever, avec courage et clairvoyance, à la fois contre les propagateurs professionnels de l’antisémitisme bien sûr et contre les décisions et les paroles insensées de B Netanyahou, ces voix-là sont particulièrement précieuses, elles doivent être mieux entendues, partagées et soutenues.

De son côté, la démocratie israélienne, durement mise à l’épreuve, va devoir surmonter le redoutable sentiment d’enfermement politique qui étreint la société israélienne. Cette société, incroyable de vitalité et de capacités de rebonds – rappelons d’ailleurs qu’Israël n’a la taille que de trois départements français ! -, reste heureusement très largement attachée aux principes d’une démocratie vivante, forte de ses contre-pouvoirs (justice et médias indépendants, partis, associations et manifestations libres), démocratie qui sait exprimer sa liberté dans la rue et saura le faire aussi dans les urnes. Les prochaines élections législatives auront lieu dans un an, en octobre 2026. Ces élections majeures (les seules, comme dans tout régime parlementaire, à définir les grands choix politiques) détermineront donc l’avenir d’Israël, et accessoirement le sort du gouvernement sortant.

Toutes les voix ont d’ici là, en Israël et ailleurs, la liberté de s’exprimer et les citoyen(ne)s d’Israël pourront trancher en conscience et orienter différemment (ou non) la politique du leur pays et arrêter cette guerre sans fin à Gaza, si ce n’est pas fait d’ici cette échéance d’octobre 2026. L’échéance décisive peut paraître trop tardive. A moins qu’auparavant, venant de France et d’Europe, des pays arabes du Golfe, d’autres nations et enfin peut-être des Etats-Unis, les pressions internationales soient suffisantes pour que soient désarmées sans tarder les forces de violences entremêlées, qui se disent opposées mais qui s’entretiennent mutuellement dans leurs radicalités. Ce serait la meilleure manière de réduire la folie des fanatismes et de faire face, entre démocraties solidaires, aux vents mauvais de l’Histoire qui menacent.

Jean-Philippe MOINET, auteur, fondateur de la Revue Civique, a été le Président de l’Observatoire de l’extrémisme pour une vigilance républicaine (initiative associative qui avait été accompagnée et soutenue par de nombreuses personnalités, dont Simone Veil et Elie Wiesel, Prix Nobel de la Paix).

(13/09/2025)