Plantu : « le dessin, la tolérance et le rire, en dépit des peurs »

Le dessinateur de presse Plantu (Le Monde et  L’Express), Président de l’association « Cartooning for peace », était l’invité des « Rencontres de la Fondation EDF »  (en 2016), en partenariat avec La Revue Civique. Jean-Philippe Moinet, auteur et chroniqueur, l’avait interviewé à cette occasion (cf vidéo en bas d’article ci-dessous), après les attentats qui avaient frappé Paris.

La récente position du New York Times (disant vouloir arrêter la publication de dessins et caricatures politiques) donne aussi du relief aux propos de Plantu, qui soulignait ici l’importance et le sens du dessin de presse. Plantu sera l’invité d’une Master class au théâtre de l’Odéon à Paris, ce dimanche 7 juilet 2019, en prolongement de l’émission « L’esprit public », animée par Emilie Aubry chaque dimanche sur France Culture).

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Une plume pour « désapprendre l’intolérance ». Une plume, un crayon, quelques feutres et désormais une tablette numérique tactile. Voilà Plantu avec ses armes à lui, bien décidé à combattre et à désapprendre l’intolérance. Jamais le contexte n’aura été si pesant pour les dessinateurs de presse. Olivier Poivre d’Arvor, au début de l’entretien avec lui, lui rappelle : « vous êtes allé partout dans le monde, avec votre engagement, mais vous n’êtes plus seul aujourd’hui, car vous êtes protégé… »

Contexte pesant ou pas, les dessins de presse informent et font rire. Et cela Plantu ne l’a pas oublié, bien au contraire, il le revendique en permanence. Olivier Poivre d’Arvor lui demande même, entre deux dessins réalisés en direct sur grand écran,  «pourquoi n’avez-vous pas fait du cabaret ou du spectacle ? » Avant de souligner son côté joueur et enfantin, trait de personnalité que reflètent ses dessins. Ni les terroristes, ni les remous de la presse, ne lui font perdre sa combativité et sa joie de vivre, lui qui a été pigiste pendant 13 ans au Monde avant d’être titularisé. Même s’il a finalement eu le même employeur pendant 45 ans, il observe avec amusement : « La vie d’un dessinateur est le contraire de la Sécurité sociale, il n’y a rien de plus incertain ».

Lors de la conférence de Plantu, son interviewer, Olivier Poivre d'Arvor, ne résiste pas au plaisir de photographier le dessin auto-portrait, que le dessinateur venait d'improviser.

Lors de la conférence de Plantu, son interviewer, Olivier Poivre d’Arvor, ne résiste pas au plaisir de photographier le dessin auto-portrait, que le dessinateur venait d’improviser.

Pédagogie contre barbarie

Plantu a bien saisi que seule l’éducation peut combattre la barbarie. L’éducation et la pédagogie. Voilà la raison d’être de son association « Cartooning for peace » où « on n’arrête pas de dialoguer avec tout le monde ». Le travail de pédagogie se fait avant tout « dans les écoles où il y a une vraie urgence pédagogique à réinventer, car il y a une montée de l’antisémitisme, de l’islamophobie et un déficit de conversation. On a un ‘’kit cartooning’’, on sait quoi dire dans ce genre de situations. Mais on n’est pas toujours prêt car on manque de moyens, et il faut répéter, répéter, répéter… ». L’occasion pour Plantu et son association d’établir des ponts, de tenter d’apaiser les esprits, de favoriser le dialogue, de rassurer, de prévenir car « des peurs se sont installées » mais pour lui « ce n’est pas un problème de dessinateur, c’est un problème de citoyen ». Dans le contexte de la lutte contre le djihadisme, il insiste aussi sur « le mot résistance, qui n’est pas qu’un mot pour la Seconde Guerre Mondiale : c’est un mot pour aujourd’hui ».

Après tout, quel meilleur endroit que l’école comme thermomètre de la société d’aujourd’hui et surtout de demain, avec deux variables que Plantu nous donne comme deux clés de compréhension des dessins qui informent, font rire et, parfois, offensent certains : Internet, car il y « l’avant et l’après Internet » ; et la notion de « ressenti », dans la mesure où un dessin « dit quelque chose et que le ressenti peut dire autre chose », précise Plantu.

Au-delà des « ressentis » que provoquent les dessins, parfois à des milliers de kilomètres de là où ils ont été réalisés, Plantu explicite le processus de « fabrication » de ses dessins de presse, qui commencent souvent par un « dessin interdit », souvent « dur ou trash », qu’il « aime bien montrer dans les écoles pour expliquer ce qu’on peut publier ou pas ». Comme une étape préalable au dessin final car « il faut être respectueux dans l’irrespect » : ce sont « des brouillons qui me permettent de faire des dessins finis, plus gentils, mais je garde ces dessins préparatoires ». Il s’agit d’une réflexion et d’une maturation, qui aboutit à des dessins qui donnent à voir et à comprendre le monde. Sachant que le trait final est durable : « quand le dessin est imprimé, il reste imprimé. Le dessin reste, ce qui peut être dur, contrairement à une parole, qui ne reste pas forcément ».

« Grâce aux regards des dessinateurs,

j’essaie de comprendre »

Plantu plaide pour le dialogue, la tolérance, le rire, et cela en dépit des peurs ambiantes. « Il ne faut jamais oublier que le dessin est un jeu, d’abord » insiste-t-il. Pour celui qui défend « la liberté d’opinion, tout le temps, même s’il y a une façon de le dire (…) il n’y a rien de pire que les gens qui ne peuvent pas s’exprimer ». Il parcourt le monde, avec son association, pour défendre des expressions courageuses, parfois menacées : « Grâce aux regards des dessinateurs, j’essaie de comprendre. Par exemple, j’ai rencontré des dessinateurs algériens et tunisiens, qui ont mis en cause le Coran. C’est courageux ». Il évoque aussi un dessinateur saoudien, qui s’est exprimé sur les mutilations sexuelles dont sont victimes les jeunes filles : « c’est un grand Résistant ! »

Quand Olivier Poivre d’Arvor l’interroge sur son rapport à la politique, Plantu évoque un peu la gauche, où va « sa sympathie » et qui, au pouvoir, devrait rimer avec « justice sociale » disait-il en 2016 : « je crois toujours qu’on doit remplir le caddie de ceux qui en ont besoin ».  « La gauche, ça doit être diminuer l’écart entre les riches et les pauvres, et s’intéresser aux autres » : on sent la déception mais Plantu préfère en revenir au rôle de la presse et des dessinateurs, il explique à sa manière, rieuse, l’absence d’angoisse devant la page blanche : il cite alors une phrase de son ami Geluck qui, « depuis qu’il dessine sur du papier bleu, n’a plus l’angoisse de la page blanche ».

Retrouvez l’interview de Plantu réalisée par Jean-Philippe Moinet dans le cadre des Rencontres de la Fondation EDF :

Bruno Cammalleri

février 2016