[EXTRAIT] Dans un livre étonnant, « Un prêtre à la guerre » (Éditions Tallendier), l’aumônier militaire des parachutistes s’exprime très librement sur une série de sujets, qui concerne notre Armée, nos opérations extérieures, la promotion de l’esprit de Défense et le devoir de Mémoire, dû aux soldats tués en opérations.
Il répond ici aux questions de la Revue Civique, de l’épisode de l’assassinat de deux soldats Français par Mohamed Merah (le « Padre », comme l’appellent les paras, était à Montauban au chevet des deux victimes militaires du terroriste islamiste) au « devoir de mémoire » qui pourrait être développé en France (comme aux États-Unis) pour honorer le sacrifice de nos soldats tombés en « OPEX » (opérations extérieures), en Afghanistan, au Mali ou encore au Centrafrique, où nos troupes sont engagées. Entretien.
La REVUE CIVIQUE : vous avez été témoin des crimes de Mohamed Merah, en venant vous-même au chevet de ses victimes, soldats français qu’il avait pris aussi pour cible. Comment avez-vous vécu cet épisode et qu’est-ce qui vous a le plus choqué, sur le moment et durablement ensuite ?
Le Père Christian VENARD : Avec Guillaume Zeller, nous avons souhaité consacrer un chapitre entier de notre livre à l’affaire Merah car, en effet, ce jour-là à Montauban, j’étais sur les lieux, immédiatement. Deux de nos paras (Abel Chennouf et Mohamed Legouad) sont morts alors que je leur tenais la main. Quant au troisième (Loïc Liber, aujourd’hui tétraplégique), je l’ai accompagné jusqu’à l’ambulance. Au-delà de l’aspect potentiellement traumatisant de toute rencontre avec la mort et surtout la mort violente, ce qu’il y a de plus choquant pour moi, aumônier parachutiste, c’est que ces scènes là, je m’y étais préparé pour les vivre en OPEX (Opération extérieure), pas sur notre territoire national !
Depuis, il vrai qu’à l’instar de beaucoup de mes camarades parachutistes, une sourde colère reste tapie en moi : comment a-t-on pu en arriver là, que des soldats français puissent être la cible d’un terroriste, ici, en France, parce que leur régiment était engagé par notre Patrie en Afghanistan ? C’est trop cher payé par bien des aspects.
Sur le moment, dans cette « affaire » Merah, qui a suscité à la fois une émotion et une réprobation nationales quasi unanimes, certains médias – notamment au niveau des chaînes dites d’information en continue – se sont emballés et ont même dit n’importe quoi. Cet épisode a soulevé des questions relatives à la responsabilité des médias. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Pour être très direct sur ce sujet, et pour avoir eu l’occasion d’en parler, depuis la parution de mon livre, avec nombre de journalistes, je trouve inquiétant et étonnant qu’une profession qui représente en fait le deuxième pouvoir « institutionnel » en France (après le pouvoir politique) ne soit pas dotée d’un organe de contrôle déontologique, comme il y en a pour beaucoup de professions (médecins, huissiers de justice, notaires, etc.).
Des questions sur les médias
Or, dans « l’affaire Merah », il reste beaucoup de questions (restés sans réponses) sur la manière dont les médias l’ont couverte. Les critiques des médias étrangers à l’encontre des médias français dans des affaires plus récentes et moins dramatiques (on peut songer à la dernière conférence de presse à l’Élysée du Président Hollande) montrent, à mon sens, qu’il existe un problème déontologique grave pour le monde des médias français et qui concerne de véritables libertés. La manière dont nombre d’entre eux ont relayé, au moment de l’affaire Merah, des thèses fantaisistes et sans doute fruit de douteuses alchimies politiciennes, reste, à mon sens, une tâche sur cette profession.
L’Armée a toujours été un « creuset républicain », qui a notamment permis de favoriser l’intégration de personnes « venues de loin » (dans leur histoire familiale), aux origines ethniques ou religieuses très diverses. Les victimes de Merah ont été choisies du fait de l’uniforme qu’elles portaient, celui de notre Armée, et de leur origine aussi. En quoi l’Armée française reste, selon vous, un creuset de la Nation et un lieu d’intégration ?
Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’histoire et la réalité. L’armée française est aujourd’hui de toutes les institutions de notre pays celle qui recueille le plus fort taux de confiance de nos concitoyens. Par ailleurs, force est de constater que là où d’autres institutions (pénitentiaire, Education nationale…) peinent, les armées arrivent à former des jeunes gens issus de l’immigration ; et, dans le temps record d’une année, d’en faire des serviteurs de la Nation prêts, s’il le fallait, à sacrifier leur vie au Bien commun.
On s’est parfois moqué de Ségolène Royal, quand elle appelait de ses voeux un rôle de l’armée pour l’éducation de notre jeunesse. Je pense que cette idée est loin d’être sotte, pour autant que l’on n’oublie pas l’objet principal des forces armées : la guerre. Autrement dit, il me semble qu’en effet les armées pourraient contribuer à la formation des jeunes Français ; mais cet engagement ne saurait se faire au détriment (humain et budgétaire) de la mission majeure de nos forces : l’engagement armé. De ce point de vue, la disparition de la conscription, économiquement légitime, a été une faute morale grave contre la Nation.
Obéissance stupide et rétrograde
Dans votre livre, votre liberté de parole s’exprime largement. Notamment concernant l’engagement français en Afghanistan, qui relevait (et relève toujours, malgré le désengagement accéléré de nos troupes dans ce pays) d’une décision stratégique très importante, partagée avec les pays amis de l’OTAN notamment. Quelle est votre conception du « devoir de réserve » appliqué aux militaires d’aujourd’hui ?
L’aumônier militaire a, et doit, conserver une liberté de parole plus importante que nombre de ses camarades militaires. Il en va de la crédibilité de son rôle « éthique » au sein de l’institution. Toutefois, nous sommes loin désormais du « putsch d’Alger » et la menace d’un coup d’état militaire en France relève de la farce… D’ailleurs, les nouveaux statuts des militaires leur ont accordé plus de liberté de parole et d’action. Dans ce nouveau contexte, je crains que trop souvent, le devoir de réserve serve aux hauts gradés à ne pas prendre leurs responsabilités graves devant la France et les Français ; et aux politiques à exiger une obéissance stupide et rétrograde aux militaires.
Comment pourrait-on admettre que le militaire serait le seul citoyen à ne pouvoir s’exprimer sur la Défense de son pays ? C’est ridicule. A mon sens, le devoir de réserve impose une limite : le militaire doit savoir distinguer les moments où il intervient au titre de l’institution de ceux où il le fait à titre personnel (ce que je fais en ce moment-même !).
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Pour lire la suite : se procurer la Revue Civique 13
Propos recueillis par Georges LÉONARD
(In La Revue Civique n°13, Printemps 2014)