Que pensent les Européens de Macron ? (par ECFR)

Emmanuel Macron n’a pas seulement fait campagne en soulignant sa totale adhésion au projet européen mais il a placé l’Europe au cœur de son agenda interne français. Certaines de ses opinions sont déjà connues. Par exemple, il a défendu l’idée de prévoir un budget pour la zone euro, géré par un Ministre de la zone euro, qui serait aussi responsable devant un Parlement de la zone euro. Il a une position ferme sur la question du Brexit, en vue de protéger les membres de l’Union Européenne (UE) et a indiqué qu’il soutiendrait une Europe plus souple, voire à plusieurs vitesses. De même, il veut favoriser l’allègement de la dette grecque afin de garder Athènes dans la zone euro et suggéré qu’il pourrait soutenir des sanctions contre la Pologne et la Hongrie en réponse à leurs violations des valeurs européennes. Enfin, il s’est toujours montré très intéressé par l’option visant à démocratiser davantage la politique européenne.

Si la victoire de Macron a été reçue avec soulagement par les dirigeants européens, elle ne devrait pas, en toute logique, permettre aux hommes politiques de poursuivre les mêmes politiques que par le passé, considère l’European Council on Foreign Relations (ECFR). Il est essentiel pour Macron, affirme ce think tank, que les voisins européens travaillent ensemble pour changer la perception de l’UE afin de mettre réduire les forces extrémistes anti-UE qui se multiplient sur le continent. C’est pour cela que des experts de l’ECFR se sont demandés si l’approche européenne de Macron peut attirer l’adhésion des pays de l’Union européenne, à commencer par l’Allemagne. 

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La vision de Berlin

Josef Janning explique ainsi que, lors de la victoire de Macron, aucun pays n’a été aussi soulagé que l’Allemagne. À Berlin, la campagne de Macron avait été approuvée par les deux grands partis, la CDU conservatrice d’Angela Merkel et le Parti social-démocrate de Martin Schultz, dans la mesure où il avait promis une rupture avec l’approche de François Hollande, qui avait voulu obtenir le soutien de Berlin et de l’UE sans engager fortement les réformes jugées nécessaires en France.

La portée des projets européens de Macron et son engagement visant à mettre en œuvre un programme ambitieux de réformes est devenu un thème récurrent dans la rhétorique de campagne des deux partis allemands, pour des raisons bien différentes. Les sociaux-démocrates soutiennent, au moins en façade, les idées réformistes de Macron, surtout celles relatives à la création des euro-obligations, la mise en place d’un budget de la zone euro ou des politiques sociales communes, car elles leur permettent de critiquer la politique européenne d’Angela Merkel. De leur côté, les démocrates-chrétiens mettent en garde contre la mutualisation de la dette ou l’augmentation de la contribution allemande au trésor européen mais soutiennent les plans promis par Macron concernant la transformation du marché du travail. Et finalement, le soutien à Macron représente une manière subtile, pour les deux partis, de s’attaquer mutuellement !

Quoi qu’il en soit, le gouvernement allemand partage globalement l’approche de Macron concernant l’avenir de l’Europe. Angela Merkel considère que l’UE est un multiplicateur de l’impact de l’Allemagne en Europe et dans le monde. Mais contrairement à Macron, souligne Josef Janning, Merkel adopte une approche qualifiée d’ « ultra-pragmatique » à l’égard du projet politique européen. Elle souhaite, aussi bien que Macron, une intégration plus forte des pays européens mais, après des années de travail, elle est profondément sceptique sur les possibilités réelles de changement.

La vision de Madrid

La victoire d’Emmanuel Macron sur Marine Le Pen a été très bien accueillie par une Espagne, elle aussi très soulagée. L’Espagne est désireuse d’avancer dans l’intégration européenne sur plusieurs chantiers, dont la majorité sont des priorités françaises : l’achèvement de l’Union économique et monétaire, ainsi que le développement d’une politique de sécurité et de défense commune, comme l’explique Borja Lasheras, l’expert espagnol de l’ECFR. L’Espagne est généralement côte à côte avec la France en faveur d’une coopération accrue en matière de défense et d’intégration fiscale, des domaines où les pays méditerranéens sont plus ambitieux que l’Allemagne. Madrid attend que, sous Macron, la France s’engage une fois pour toutes sur la scène européenne et donne un nouvel élan au projet à 27.

Pourtant, l’optimisme à Madrid est tempéré car les Espagnols sont bien conscients des difficultés auxquelles Macron est confronté, aussi bien au niveau national qu’européen. Des doutes demeurent sur la façon dont le gouvernement français sera capable d’équilibrer les exigences divergentes qu’il y aura sur la table. Ces doutes sont renforcés, indique ce think tank, par la perception espagnole selon laquelle la France est un pays intrinsèquement incapable de réformer son économie, son secteur public et sa loi du travail. Pour autant, à Madrid, on espère que, sous l’égide de Macron, la France pourra insuffler un changement, conclut Borja Lasheras.

La vision de Rome

Silvia Francescon, l’experte italienne de l’ECFR, explique que, du chef de l’État italien, Mattarella, au Premier ministre Gentiloni, en passant par le ministre chargé des Affaires étrangères Alfano, tous ont salué chaleureusement la victoire de Macron. Comme un signe d’espoir et de confiance dans l’avenir. Macron a démontré aux hommes politiques italiens que l’on peut gagner tout en restant à « contre-courant », son mouvement pro-européen ayant su surmonter l’humeur nationaliste vécue en France, notamment avec la montée du Front National.

Quoi qu’il en soit, il est certain que Gentiloni et son ministre de finances, M. Padoan, pousseront l’idée, aux côtés de Macron, de création d’un Ministre commun des finances de la zone euro, une idée tout à fait italienne d’ailleurs, ainsi que pour une nouvelle intégration en matière de Défense. L’augmentation des fonds pour le programme Erasmus et le remplacement de 73 eurodéputés britanniques par des candidats transnationaux, affirme Silvia Francescon, seront aussi des domaines d’entente, tout comme les engagements de lutte contre le changement climatique, les dossiers du commerce et des migrations. Les dossiers où en revanche il y aura moins de cohésion, ajoute-t-elle, seront ceux relatifs aux sanctions contre la Russie et au processus d’adhésion des Balkans.

Pier Carlo Padoan

Le Ministre italien, Pier Carlo Padoan

La vision de Sofia

Après avoir été obligé de former un gouvernement de coalition avec le Front patriotique nationaliste, explique l’experte Vessela Tcherneva, le Premier Ministre bulgare, Boiko Vorisov, a reçu avec intérêt le succès de Macron car il espère que le déclin du soutien aux partis nationalistes et xénophobes se produira aussi en Bulgarie.

Cependant, l’élection d’Emmanuel Macron devrait mettre les hommes politiques bulgares en alerte car le Président français souhaite une intégration souple, favorisant les pays appartenant à la zone euro au détriment de pays, comme la Bulgarie, qui devra choisir sa voie : soit elle rentre dans l’euro et avance avec les autres, soit elle devra rester en retrait. C’est pour cela, explique Vessela Tcherneva, que, même si le Front patriotique n’est pas d’accord, le premier pas du Premier ministre Borisov vers le gouvernement Macron devrait être la demande d’adhésion au mécanisme de taux de change européen, connu pour être la « salle d’attente » de l’euro.

La vision de Varsovie

Selon Piotr Buras, l’expert sur la Pologne du think-tank européen, après la victoire de Macron le principal défi pour la Pologne sera de construire une relation de travail stable et de rétablir une confiance minimale avec le nouvel exécutif français, perdue au moment du soudain rejet par le gouvernement national-conservateur polonais du contrat avec Airbus pour la production d’hélicoptères pour l’armée polonaise à l’automne 2016.

Cet auteur souligne que l’arrivée de Macron au pouvoir en France ne semble pas insuffler de l’optimisme chez les polonais. La critique de Macron concernant l’État de Droit en Pologne est une source de tension, compte tenu aussi du fort programme souverainiste du gouvernement polonais. Macron, en tant que représentant d’un libéralisme pro-européen et profondément anti-droite-extrême, est en contradiction avec ce que le gouvernement de Varsovie représente. L’autre problème, aux yeux des Polonais au pouvoir, est le vif intérêt de Macron pour une réforme ambitieuse de la zone euro, notamment la création d’un budget distinct pour celle-ci.

Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ

(mai 2017)

► L’analyse complète : Views from the Capitals: Working with President Macron, par plusieurs auteurs, de l’European Council on Foreign Relations (en anglais)