Injustement décriée, surtout en période électorale, l’Europe couterait trop cher et sert bien souvent de bouc émissaire pour justifier les carences nationales. Un peu de pédagogie demeure alors nécessaire, faits et chiffres à l’appui. C’est justement ce que propose l’émission « Europe Hebdo » des chaînes parlementaires, à travers son « Check Point ».
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« L’Europe nous coûte trop cher. » Cette phrase revient souvent, sous différentes formes, avec différents chiffres pour l’appuyer. Comme Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan, le désormais ex-candidat à la présidentielle française, François Asselineau, s’était fait le porte-voix de cette idée. Les chiffres avancés par ces candidats sont-ils réalistes ?
En conclusion du débat du 4 avril, le partisan du « Frexit » a déclaré : « Savez-vous, mes chers compatriotes, que la France donne chaque année 23 milliards d’euros à l’Union européenne et n’en reçoit que 14 ? ». Une soustraction plus tard, on comprend vite le message que François Asselineau tente de faire passer : la France perd, chaque année, 9 milliards d’euros dans l’aventure européenne.
Un calcul à l’intérêt limité
Ce calcul purement comptable a un intérêt relativement limité. Cette vision d’une Union européenne qui ne ferait que percevoir de l’argent pour ensuite le redistribuer est simpliste et réductrice. L’action de l’UE ne se limite évidemment pas à ces flux budgétaires, car ces fonds servent des politiques d’investissements dans les 28 États membres. L’objectif annoncé étant d’élever le niveau de vie de leur population et de faire progresser, ensemble, leur économie.
À terme, le principe de solidarité européenne est supposé profiter à tous. « Les fonds structurels visent à rendre plus compétitives les régions faibles, expliquait en février dernier Günther Oettinger, commissaire au Budget. Et, par exemple, pour chaque euro versé par l’Union européenne à la Pologne, une grande partie revient en Allemagne. »
« Les Polonais utilisent cet argent pour passer commande auprès de l’industrie allemande, pour acheter des machines allemandes ou des camions allemands. Donc les contributeurs nets comme l’Allemagne devraient s’intéresser aux fonds structurels. D’un point de vue économique, l’Allemagne n’est pas un contributeur net, mais un bénéficiaire net. »
Et ce qu’Oettinger déclarait ici à destination des lecteurs allemands du Handelsblatt vaut aussi pour la France, les Pays-Bas, l’Autriche et tout autre pays taxé de « contributeur net ». Investir ces quelques milliards a donc pour but de faire progresser l’économie des plus faibles, pour potentiellement en faire de nouveaux « clients ». L’équation se révèle dès lors nettement plus complexe que la soustraction de François Asselineau.
« Rabais britannique », cotisations « sucre »…
Quoi qu’il en soit, les chiffres qu’il avance sont-ils exacts ? Pour le savoir il faut se référer au rapport financier de la Commission européenne, le dernier en date portant sur l’année 2015. La contribution de chaque pays y est indiquée en page 29. Elle est le résultat d’un calcul basé notamment sur leur revenu national brut (RNB) et les ressources nécessaires au fonctionnement de l’Union européenne.
Autrement dit, pour constituer le budget de l’Union, la Commission détermine un pourcentage du total des revenus perçus par la population de chaque pays qui doit être prélever pour atteindre le budget fixé. En 2017, ce taux uniforme a été fixé à 0,6077137%.
De ses 2226 milliards d’euros de RNB, la France en a donc donnés 14 à l’Union en 2015. Quant à la Belgique, elle a contribué à hauteur de 2,8 milliards pour un revenu national brut de 415 milliards. Bref, une petite part du gâteau national. Mais à cela s’ajouteront encore des ressources liées à la TVA et ce qu’on appelle le « rabais britannique » ou « UK correction » – qui amène les autres États membres à combler le manque à gagner découlant de la réduction de la contribution britannique au budget européen négociée par Margaret Thatcher en 1984.
Résultat : pour la France, on arrive à une contribution de 19 milliards.
Mais il reste une dernière addition à faire pour considérer l’ensemble de la participation d’un État membre : les « ressources propres traditionnelles », c’est-à-dire les droits de douane – sur les importations en provenance de pays hors UE – et les cotisations « sucre » – une taxe européenne sur la production et l’entreposage du sucre et du sirop de maïs. Deux sources de recettes dont on pourrait considérer que les États membres auraient pu les percevoir eux-mêmes. L’addition finale tombe alors pour la France : 20,606 milliards d’euros.
La Belgique contribue proportionnellement plus que la France
La contribution réelle est donc déjà inférieure à ce qu’a affirmé François Asselineau. Notons au passage que ce montant ne représente que 0,93% du RNB français. Un pourcentage inférieur à d’autres États membres.
La Belgique et Chypre sont les pays qui contribuent proportionnellement le plus au budget européen, en versant l’équivalent d’1,32% de leur revenu national brut. Ce sont ainsi 5,4 milliards belges et 230 millions chypriotes qui sont perçus par l’Union.
Par rapport à la taille de leur économie, ces deux États membres contribue donc plus que la France.
Quant à ce que l’Europe, non pas « reverse », mais réinvestit en France, c’est une somme de fonds destinés à l’agriculture, au numérique, aux infrastructures, etc. suivant les politiques décidées au niveau européen.
Dans ce cadre, ce sont 14,468 milliards d’euros qui ont été réinjectés en France, comme le montre le rapport financier de l’Union européenne pour 2015. C’est d’ailleurs, en terme absolu, la plus grosse somme investie par l’Europe dans un État membre.
La différence en ce que la France donne et perçoit est donc de 6,138 milliards d’euros. Et non de 9 milliards. Même si elle reste négative, la balance présentée par François Asselineau est donc plutôt fausse.
Des chiffres prévisionnels plutôt que des résultats
D’où viennent donc les chiffres cités par l’homme politique français ? Il semblerait qu’il les ait piochés sur le site du ministère français de l’Économie et des Finances.
Une publication intitulée « Budget européen : la France 3ème contributeur net » fait état d’une « participation financière globale (…) de 22,6 milliards » et d’investissements européens en France de « 14,2 milliards d’euros ».
Le premier chiffre arrondi à la valeur supérieure et le second à la valeur inférieure, nous obtenons les 23 milliards donnés et les 14 milliards réinvestis.
Oui, sauf que cet article est daté du 18 novembre 2014. Il est écrit au conditionnel et présente « une annexe au projet de loi de finances pour 2015 ».
Il s’agit de prévisions faites sur le « brouillon » du budget européen 2015. Or, c’est bien au budget finalement adopté et à son application, et donc aux résultats publiés a posteriori, qu’il faut se référer pour obtenir les chiffres réels de la contribution de l’État français.