Martin Vial

Auteur du livre « La Care Révolution, l’homme au coeur de la révolution mondiale des services » (Nouveaux Débats Publics) et de l’ouvrage collectif « Empreintes sociales, en finir avec le court terme » (Odile Jacob), Martin Vial a été le directeur général (de 2003 à 2014) du groupe Europ Assistance et a participé au Comité d’orientation sur l’adaptation de la société française au vieillissement de la population. Pour la Revue Civique, il évoque les enjeux de l’allongement de l’espérance de vie, enjeux vis-à-vis desquels « la société ne s’est pas vraiment organisée » alors qu’ils « impliquent d’adapter l’habitat et l’urbanisme » et que des progrès scientifiques phénoménaux ont lieu. Entretien sur cette grande question d’avenir.

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La REVUE CIVIQUE : Est-ce que la France est prête à cette grande révolution qu’est l’espérance de vie rallongée, avec les perspectives nouvelles pour une quatrième génération, ce qu’on a appelé le « 4e âge » ?
Martin VIAL : La question est plutôt de savoir si la société française est prête socialement et culturellement à accompagner cette révolution et si les décideurs politiques ont anticipé le phénomène.

Sur le plan culturel, dans la plupart des pays occidentaux, y compris en France, l’augmentation de l’espérance de vie et l’allongement de la durée de vie en bonne santé sont vécus comme des progrès. Le débat sur l’allongement du travail, le décalage de l’entrée en retraite est, lui aussi, depuis quelques années, de plus en plus largement accepté. Ensuite, est-ce que nous avons suffisamment anticipé ce nouveau défi ? La réponse est non. La société ne s’est pas vraiment organisée pour gérer une population qui n’est plus dans la vie active et qui se retrouve dans une position de dépendance physique et/ou économique ; ni sur le plan économique et financier, ni sur le plan de l’urbanisme et de l’habitat, ni sur le plan de l’environnement ergonomique. Les décideurs politiques ont eu tendance, depuis longtemps, à repousser ce sujet. C’est un sujet financier majeur et les décideurs publics, au lieu de prendre des mesures alternatives, même imparfaites, ont préféré repousser les décisions liées aux besoins financiers de l’accompagnement du vieillissement, et de ce qui a été nommé « la dépendance ».

Il y a donc encore une révolution culturelle à faire dans les esprits, du côté des politiques aussi ?
Il ne faut pas sous-estimer les décideurs politiques et leur compréhension des grands enjeux sociétaux. Cependant, les sujets comme le déficit de la Sécurité sociale ou le déficit des régimes de retraites sont traités en priorité. Pas celui du financement de la dépendance. C’est aussi un sujet qui n’est pas très valorisant : la représentation de la dépendance est pour chacun celle d’une dégradation future. Ce n’est pas aussi valorisant que de parler des générations qui entrent aujourd’hui sur le marché du travail.

La façon dont la société traite ses aînés
est signe de civilisation

Pourtant, la façon dont une société traite ses aînés est un signe de civilisation. Il y a une dimension éthique : nous avons une responsabilité par rapport à nos aînés, qui ont contribué à ce que la société est aujourd’hui, qui ont contribué à l’économie et qui ont façonné l’environnement social et économique du pays dont nous avons hérité. Sans oublier l’approche économique : c’est la population dont le patrimoine rapporté à l’individu est le plus élevé.

Y a-t-il une marge d’évolution pour se représenter autrement les séniors ? Car le plus négatif serait que ces populations soient en situation d’être encore plus isolées, sans assistance, sans que l’action publique ne s’en préoccupe vraiment ?
Nous ne pouvons pas dire que l’action publique ne s’en préoccupe pas : j’ai participé récemment à un groupe de travail préparant le projet de loi sur le vieillissement. L’idée est de prendre ce sujet, non pas uniquement sous l’angle du financement des dépenses mais, plus largement, sur la façon dont la société française doit s’adapter au vieillissement : comment faire pour que les aînés vivent mieux et moins isolés dans notre société, pour qu’ils puissent rester à domicile ?

Éviter les zones de « ghettos argentés »

Cela implique d’adapter l’habitat et l’urbanisme pour répondre aux besoins de cette société vieillissante pour éviter des zones de « ghettos argentés » (au sens de la couleur des cheveux). Autre question très concrète : quid de la conduite automobile ou de l’accès aux assurances et aux crédits ? Aujourd’hui, passé un certain âge, vous n’avez plus le droit à rien car le risque est considéré comme excessif par les assureurs et les banquiers. C’est justifié, mais des solutions techniques simples existent pour répondre à ces risques et contraintes.

Pour financer la dépendance, quelles sont les pistes que vous préconisez, sachant que les ressources publiques sont plus que limitées, du fait des déficits accumulés ?
Nous consacrons actuellement, hors la dépense privée des aidants familiaux évaluée à 10 milliards, plus de 1 % du PIB (soit environ 22 milliards d’euros) pour le financement de la dépendance. Nous savons que ce pourcentage va doubler, par simple tendance mécanique, dans les quinze ans qui viennent. Cette estimation date déjà d’il y a cinq ans et est, selon moi, un minorant. En effet, le niveau d’exigence des soins et de l’accompagnement des personnes dépendantes augmente par rapport au standard que nous avions il y a 10 ans, car les innovations technologiques actuelles permettent un progrès considérable de l’accompagnement, mais nécessitent, à court terme, un investissement financier non-négligeable. Jusqu’à récemment, je préconisais la solution d’une assurance-dépendance obligatoire dès l’entrée dans la vie active. Cette solution permettait d’avoir la plus large base possible avec le plus faible effort individuel possible.

Plusieurs scénarios de financement possible

Une nouvelle cotisation obligatoire, une quatrième branche à la sécurité sociale, c’est cela ?
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Propos recueillis par Paul TÉMOIN
(in La Revue Civique n°14, Automne 2014)