L’odieuse chasse aux Roms en Italie ? (par Marc Knobel, historien)

Historien, chercheur, auteur d’essais –  « L’internet de la haine » (Ed Berg international) – et de chroniques, conseiller éditorial de la Revue Civique, Marc Knobel nous a transmis ce texte d’indignation et d’analyse, que lui a inspiré les déclarations du Ministre italien de l’Intérieur, leader du mouvement d’extrême droite, La Ligue, qui a annoncé l’organisation d’un vaste recensement des Roms. Une annonce qui ajoute un épisode à ce qui ressemble à une chasse aux étrangers, plus que problématique (en Italie et dans toute l’Europe) à l’heure de l’instrumentalisation des courants xénophobes d’opinion. 

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Voilà une déclaration honteuse, ignominieuse, discriminatoire et raciste. De quoi s’agit-il ? Le nouveau ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, qui est aussi le patron de la Ligue (extrême droite) a indiqué (le 18 juin 2018) sur une télévision régionale en Lombardie, dans le nord, sa région d’origine, qu’il comptait procéder à un recensement de la communauté Rom en Italie, pour « voir qui, comment et combien ils sont ». Matteo Salvini a annoncé le prochain recensement des Roms vivant en Italie afin éventuellement d’expulser ceux de nationalité étrangère, et «malheureusement» de garder les Italiens.

Cela permettra, a-t-il expliqué, d’évaluer la possibilité d’expulser ceux de nationalité étrangère qui se trouveraient en situation irrégulière ; quant aux «Roms italiens, malheureusement, tu dois te les garder à la maison», a-t-il déclaré lors de cette émission (Le Point, 19 juin 2018).

Marc Knobel, historien et essayiste, membre du conseil éditorial de La Revue Civique

Certains Roms sont présents depuis le Moyen-Âge

Précision utile: en Italie, en ce qui concernent les Roms, les estimations vont de 90.000 à 180.000 personnes. On inclut généralement trois catégories dans l’appellation « Rom »: les Roms proprement dits, les Sinti et les « Camminanti », que l’on pourrait traduire par gens du voyage. Ces derniers sont aussi appelé Siciliens errants. Nomades ou semi-nomades en Sicile, ils sont aussi sédentarisés dans le reste de l’Italie, surtout à Naples, Rome et Milan. Leurs origines sont incertaines et eux-mêmes ne se définissent pas comme Roms. La moitié d’entre eux dispose de la citoyenneté italienne.

Certains Roms considérés comme autochtones sont présents en Italie depuis le Moyen-Âge. Ils sont souvent désignés par leur région de résidence : Roms napoletani, Roms pugliesi, Roms calabresi… D’autres sont arrivés plus récemment de pays européens, principalement d’Europe centrale et orientale. On parle souvent d’eux comme « balkaniques » et vivent plutôt dans le nord de l’Italie. Un groupe, qui connait une importante croissance, sont les Roms roumains résume la RTBF (19 juin 2018).

Ces « Camminanti » sont de moins en moins nomades. Ils  parlent de moins en moins leur dialecte sicilien et leurs traditionnels gagne-pain, vente ambulante, petits métiers, se perdent. Leurs difficultés d’intégration, professionnelle ou scolaire, sont pareilles à celles des autres Roms. Et comme partout en Europe, les Roms vivent en marge de la société et sont discriminés.

« Nos règles communes européennes doivent être respectées par tous »

Revenons à la déclaration de Mattéo Salvini. Cette déclaration est absolument contraire à tous les principes qui guident aujourd’hui l’Union européenne. D’ailleurs, l’Union s’est, une fois n’est pas coutume, immiscée dans la polémique : notamment par la voix du Commissaire européen, Pierre Moscovici : « Bien qu’interférer dans les affaires intérieures d’un pays, commenter telle ou telle déclaration choquante ou effrayante, peut être une tentation à laquelle il est extrêmement difficile de résister, je résisterai de toutes mes forces. Je dis que la Commission européenne exercera ses pouvoirs avec les règles à sa disposition. Il y a des règles sur les questions économiques et financières mais aussi sur la primauté du droit. Ce sont nos règles communes et doivent être respectées par tous ».

Il faut rappeler à cet égard qu’en avril 2011, la Commission européenne a publié une communication sur un cadre de l’UE pour les stratégies nationales d’intégration des Roms allant jusqu’à 2020, qui invitait la FRA (Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne) à mettre en place un système de suivi solide dans l’ensemble des États membres, à assister la mise en œuvre du programme européen d’intégration des Roms à l’échelle de l’UE et à mesurer régulièrement les progrès sur le terrain. Dans cette communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et aux comités des régions cadre de l’Union européenne, il était expressément mentionné que « les États membres doivent avant tout veiller à ce que les Roms ne subissent pas de discriminations et soient traités comme tous les autres citoyens de l’UE, avec un accès identique à l’ensemble des droits fondamentaux décrits dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Par ailleurs, une action est nécessaire pour mettre fin au cercle vicieux de la pauvreté qui s’entretient d’une génération à l’autre. »

En outre, il était rappelé expressément qu’un «nombre important de Roms vivant dans l’Union européenne sont des ressortissants de pays tiers en séjour légal. Ils partagent les conditions de vie difficiles de nombreux Roms possédant la citoyenneté de l’UE, tout en étant en outre confrontés aux difficultés des migrants provenant de l’extérieur de l’UE. Ces difficultés sont traitées dans le cadre des politiques de l’Union européenne afin de favoriser l’intégration des ressortissants de pays tiers, tout en tenant compte des besoins des groupes particulièrement vulnérable. » (Le texte complet de la communication de la Commission européenne sur les Roms

Les textes, européens et mondiaux, de référence

Résumons, car cette règle devrait être connue de tous.

1)      La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne interdit toute discrimination fondée « sur […] la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales ». Les chapitres consacrés aux libertés et à la solidarité établissent le droit à l’éducation et le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux. La Charte garantit également le respect de la diversité culturelle, religieuse et linguistique.

2)      Les gouvernements et les organisations internationales, principalement les Nations unies, les agences onusiennes, le Conseil de l’Europe, l’OSCE et l’UE, ont à plusieurs reprises énoncé et préconisé l’élimination de toutes formes de discrimination raciale et la promotion de l’égalité de l’accès à l’éducation dans des traités, des déclarations et des recommandations. Le premier texte traitant des problèmes Roms a été adopté par le Conseil de l’Europe en 1969, mais il a fallu attendre le début des années 1990 pour que la communauté internationale commence à s’intéresser de près aux Roms, et notamment aux problèmes directement liés aux droits de l’Homme, dont la protection contre la discrimination et la persécution et la représentation légale. On note que, depuis quelques années, les problèmes afférents au développement économique, aux conditions sociales et à l’éducation font l’objet d’une attention croissante. Les textes internationaux ont été assortis de nombreuses initiatives mises en œuvre par les gouvernements, des organisations non gouvernementales et des organisations internationales pour traiter divers problèmes relatifs à l’éducation des Roms, rappelle expressément un texte du Conseil de l’Europe intitulé : « Cadre politique et législatif pour l’éducation des enfants Roms. Textes de référence et systèmes d’appui », DGIV/EDU/ROM(2006)11.

3)      Le Conseil de l’Europe et l’OSCE sont les organisations supranationales les plus actives pour venir en aide aux Roms. Le processus d’adhésion à l’Union européenne constitue un moyen de pression essentiel pour influencer la politique des pays candidats à l’entrée dans l’UE, la question Rom figurant parmi les critères politiques fondamentaux de l’adhésion au sous-chapitre sur les droits de l’Homme et la protection des minorités, rappelle ce même texte.

4)      Il faut ajouter par ailleurs que le cadre juridique international comporte de nombreuses dispositions interdisant toutes les formes de discrimination raciale, directe ou indirecte. Parmi les instruments juridiques internationaux se rapportant aux Roms figurent la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée et ouverte à la signature et à la ratification par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2106 A(XX) du 21 décembre 1965.

5)      Parmi les instruments juridiques se rapportant aux Roms figurent également la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, Adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/135 du 18 décembre 1992.

Ainsi que les Directives de l’Union européenne relatives à l’égalité raciale et en matière d’emploi, notamment la Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique.

Temps troublés et recherche de boucs émissaires

En ces temps particulièrement troublés et détestables ou les sirènes populistes et les nationalistes revanchards flattent l’ego et les plus bas instincts ; En ces temps difficiles ou des misérables appuient, encouragent, promeuvent le sectarisme, l’exclusion, la dénonciation, la recherche de boucs émissaires, la détestation des étrangers et des minorités ou des réfugiés, il importe de rappeler les valeurs qui fondent nos démocraties.

Il est et il serait promptement insupportable que les démocrates se taisent et qu’indifférents, ils laissent s’installer ici ou là les/des entreprises de flicage, de regroupement de population et/ou un jour peut-être d’internement, d’expulsion généralisée qui, ce faisant, foulent/fouleraient/fouleront aux pieds les droits fondamentaux, la dignité, l’égalité, la fraternité et le respect essentiel que l’on doit à tout homme quelque soit son origine, sa religion, sa nationalité, son genre ou son sexe.

La protection des minorités ne peut faire l’objet d’aucun marchandage, d’aucun bas calcul politicard ou d’aucune démission honteuse.

Marc KNOBEL, historien et essayiste.

(juin 2018)