L’islamisme, l’idéologie totalitaire qui nous menace (le livre de Sifaoui)

Le dernier ouvrage du journaliste Mohamed Sifaoui, intitulé « Une seule voie : l’insoumission » (Plon; septembre 2017), est une autobiographie de l’auteur, de ses investigations, de ses engagements idéologiques et professionnels et de ses multiples combats politiques, en Algérie comme en France : contre l’islamisme, le terrorisme, la xénophobie, la misogynie, le conspirationnisme, mais aussi contre ce qu’il estime être la complaisance d’une certaine gauche, présente des deux côtés de la Méditerranée, à l’égard de l’extrémisme musulman. Il s’agit d’un  livre-pamphlet, dans lequel l’auteur assume totalement son point de vue, les clivages qui en résultent et le nombre d’ennemis amassés contre lui tout au long de sa vie.

Pour Sifaoui, l’islam politique (l’islamisme) est une doctrine totalitaire qui n’a rien de spirituel et qu’il faut même approcher comme l’un des plus grands dangers de notre époque. Notre génération aura à affronter ce fléau-là, écrit-il, au même titre que les précédentes ont dû faire face aux guerres mondiales.

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Synthèse de l’ouvrage.

La spécialisation de Mohammed Sifaoui sur les questions d’islamisme, d’extrémisme, de terrorisme et de liberté d’expression viennent de son expérience personnelle, d’abord, lui qui a été journaliste en Algérie pendant la crise islamiste traversée par ce pays de la fin des années 1980 à 1994, date de son départ en France (où il collaborera à la rédaction de Marianne), ayant été lui-même pris pour cible par les terroristes algériens. Sifaoui raconte dans cet ouvrage son expérience des islamistes qu’il a côtoyé en tant que journaliste d’investigation, que ce soit en Algérie, en France ou en Asie centrale.

Pour Sifaoui, l’islam politique (l’islamisme) est une doctrine totalitaire qui n’a rien de spirituel, qu’il faut approcher comme l’un des plus grands dangers de notre époque. Notre génération aura à affronter ce fléau-là selon lui, au même titre que les précédentes ont dû faire face aux guerres mondiales.

Une bataille idéologique et culturelle à mener

Ayant rencontré et étant resté en contact avec un certain nombre d’officiels algériens (Généraux, membres des services de renseignements, etc.), c’est en fin connaisseur des arcanes de l’Etat algérien que Sifaoui décrit, dans l’ouvrage, les multiples tensions en son sein et la façon dont s’y structure le pouvoir. Cela fait maintenant une vingtaine d’années que l’auteur exerce le métier de journaliste d’investigation en France, période qu’il décrit dans son autobiographie comme lui ayant permis de soupeser la différence entre la France en tant que pays « fantasmé » (la Nation d’Hugo et de Camus, des droits de l’Homme, de la laïcité), et la réalité de notre société.

Pour commencer, selon l’auteur, l’erreur des dirigeants politiques européens, et notamment français est de répondre par l’arsenal législatif, sans politique de fond : bataille idéologique et culturelle, selon lui non menée, ni en Europe, ni dans le monde musulman. Sifaoui regrette que les démocraties n’osent plus affirmer ce qu’elles sont. Il faudrait doubler cela d’une « politique de la ville » substantielle, et pas simplement de « comm’ », liée à des cellules de déradicalisation ou des slogans. La vraie politique de fond produira des résultats dans 10 ans, au contraire de ce type d’effets de manche ou du clientélisme de certains maires, estime-t-il.

Le dernier livre de Mohamed Sifaoui, chez Plon.

 

L’attitude parfois passive de certains musulmans

Sifaoui s’agace aussi de ce qu’il estime être les pudibonderies du débat politique français, et notamment du fait qu’on ne désigne pas clairement l’ennemi pour éviter l’accusation d’« islamophobie ». Ce serait une espèce de morgue culturelle de certains intellectuels français qui dénieraient à ceux qui viennent du Maghreb notamment d’avoir leur propre libre-arbitre. Sifaoui veut aller au-delà de cette assignation et s’autoriser la critique de l’Islam, comme celle de toute religion, dans un pays de liberté d’expression. Pour lui, l’Islam, comme d’autres religions, est interpellé par son intégrisme. Il critique à ce titre l’attitude parfois passive de certains musulmans qui ne critiquent pas ouvertement le phénomène dans des démocraties libres.

Sifaoui invite à trouver un équilibre entre ceux qu’il appelle les « idiots utiles » de l’islamisme et « l’extrême droite » et son racisme décomplexé, dénonçant notamment le journaliste Éric Zemmour. Le message clé de Sifaoui est que l’on peut être profondément républicain et antiraciste, et l’être tout autant à l’encontre de l’Islam politique dans le cadre d’un Etat de droit comme la France. L’auteur entend donc combattre l’idée véhiculée selon lui par l’extrême droite selon laquelle tout musulman serait approbateur du projet islamiste, et un élément perturbateur en puissance.

Sifaoui en veut énormément aussi à une certaine gauche sur le sujet, qu’il accuse de trahison dans le combat à mener contre ce nouveau totalitarisme, et au fait que ce dernier s’en prenne frontalement aux valeurs de civilisation les plus élémentaires. Il parle d’ « islamo-gauchisme » et dénonce une certaine gauche qui s’en prendra sans vergogne au catholicisme par exemple mais pas à l’islamisme, souvent par clientélisme électoral selon lui. Ces gens préfèrent se mobiliser contre des personnes comme l’auteur plutôt que contre les vrais islamistes.

Le journaliste dénonce aussi le concept de « déradicalisation » vanté par les politiques au pouvoir en France, car selon lui la radicalisation résulte d’un long cheminement personnel, qui ne peut s’inverser aussi facilement par simple « bonne parole ».

Un témoignage fort et courageux,

bien que partial comme tout pamphlet

Sifaoui explique qu’il a choisi de payer le prix fort pour son engagement sur ces sujets aussi passionnels. Il ne se considère pas comme une victime malgré les menaces et tentatives d’attentats contre lui. Il estime que cela lui donne même la responsabilité de témoigner, ayant vécu la guerre civile en Algérie et ayant réalisé plus anciennement des reportages auprès des mouvements djihadistes les plus violents.

 

Analyse de l’ouvrage

Premièrement, il s’agit d’un livre très instructif pour comprendre les ressorts idéologiques et psychologiques des islamistes politiques ou des djihadistes, ainsi que leur sens stratégique. Ce livre permet également de mieux comprendre le fonctionnement interne d’un certain nombre d’Etats du Maghreb, du Moyen-Orient ou d’Asie centrale.

C’est également un témoignage fort et courageux, bien que partial comme tous les pamphlets, ou l’auteur, déjà menacé de mort et contesté dans son intégrité par toutes sortes de gens, met littéralement « sa peau sur la table » pour paraphraser Louis-Ferdinand Céline. On saisit mieux, à travers le témoignage de Sifaoui, le poids de son sacrifice en constatant ce qu’il en coûte de s’opposer publiquement et dans la durée à l’Islamisme : une vie de harcèlement et de diffamations au quotidien. L’extrême gauche et l’Etat algérien, qui l’accusent tous deux de « traitrise » pour des raisons différentes, ne sont pas en reste.

Factuel et bien documenté, c’est un témoignage précis et crédible. Seul un élément manque, en tout cas  de la même précision qui caractérise le reste du travail de l’auteur : son analyse de la montée des conservatismes, populismes et sentiments identitaires en Occident, un peu légère et simplificatrice comparé au reste. Espérons un nouveau livre de Mohammed Sifaoui pour décrire le phénomène avec la même rigueur qui caractérise le reste de l’ouvrage. Auteur à suivre…

Théo LABI

(octobre 2017)

Mohamed Sifaoui a collaboré avec l’un des frères de Mohamed Merah, Abdelghani Merah qui, dans ce livre « Mon frère, ce terroriste », condamne tous les mécanismes insidieux qui amènent à verser dans l’idéologie meurtrière de l’islamisme et du djihadisme.