Directeur adjoint de la rédaction du Figaro chargé de l’international et auteur du livre « Les démocraties en danger » ( Grasset, 2014), Pierre Rousselin a répondu à nos questions sur les avancées et reculs de la démocratie dans le monde.
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La REVUE CIVIQUE : dans votre livre, vous réalisez un vaste panorama, utile, un bilan de « l’état démocratique de la planète ». 25 ans après la chute du Mur de Berlin, la démocratie a quand même bien progressé dans le monde (ne serait-ce qu’en Europe), non ?
Pierre ROUSSELIN : Bien sûr. Notre génération aura vécu l’une des périodes les plus fastes de l’histoire de l’humanité. Il y a eu, au tournant du siècle, un vaste élan démocratique, qui a suivi la chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’Union soviétique. En Europe, cela s’est traduit par la libération des nombreux pays qui s’étaient trouvés sous le joug communiste. La fin de la guerre froide a aussi apporté une bouffée d’air frais considérable à l’échelle de toute la planète, avec la fin des dictatures en Amérique latine, un début de démocratisation en Afrique et même l’ouverture spectaculaire de la Chine à l’économie mondiale qui lui a permis de tirer de la pauvreté des centaines de millions d’habitants. Malheureusement, cette période faste trouve aujourd’hui ses limites. On le voit dans le monde arabe, où les « printemps » de 2011 n’ont pas abouti aux résultats escomptés. Nous assistons à une sorte de reflux autocratique inquiétant que je cherche à analyser dans mon livre.
De grands « verrous », autocratiques et dictatoriaux, subsistent à l’échelle continentale parfois: la Russie de Poutine et la Chine communiste, malgré les ouvertures capitalistiques de cette dernière, ne restent-elles pas deux grandes puissances inquiétantes pour l’époque actuelle ?
Cela montre les limites de la « mondialisation heureuse », dont parlait Alain Minc. L’euphorie qui a suivi en Occident la fin de la guerre froide a fait croire que le monde entier finirait par adopter nos valeurs et nos modes de gouvernance démocratique. Les choses sont plus compliquées que cela. Nous ne sommes plus au centre de gravité de la planète et notre influence dans le monde est en train de diminuer au lieu d’augmenter. Il est urgent de s’adapter à la nouvelle situation et de préserver ce qui peut l’être de notre système démocratique. Cela implique, chez nous, un peu plus de rigueur dans la défense de nos valeurs républicaines et, à l’étranger, une vision plus réaliste de nos rapports avec des pays comme la Chine et la Russie, qui ont une approche différente et ont des intérêts légitimes dont il faut tenir compte.
Le monde arabo-musulman est en effervescence : depuis le « printemps arabe », venu de Tunisie, il y a eu illusions et désillusions démocratiques dans ces pays. Quel bilan tirez-vous de leurs avancées, ou de leurs reculs ?
Il faut savoir reconnaître ses erreurs. A la fin de la guerre froide, on a cru que le système démocratique avait définitivement triomphé à l’échelle mondiale. Avec les printemps arabes, on a cru que le tour du Proche-Orient était arrivé et que le renversement de tel ou tel dictateur suffirait à amener le pluralisme. Organiser des élections ne suffit pas. Encore faut-il bâtir des institutions, construire une société civile, imposer les valeurs fondamentales sans lesquelles il ne peut pas y avoir de vraie démocratie : égalité hommes-femmes, respect des minorités, droits de l’opposition, etc… Beaucoup reste à faire.
La lutte contre le djihadisme, en Afrique notamment, apparaît aussi comme un combat pour les droits démocratiques, pour celui des femmes en particulier, on l’a vu par exemple au Mali. La France intervient en protection en Afrique francophone, mais comment faire en sorte que ce combat de sécurité internationale, qui limite les violences du totalitarisme islamiste, ne soit pas assimilable à une forme de néocolonialisme ?
L’accusation de néocolonialisme a bon dos. Il ne s’agit plus d’imposer notre mode de vie aux autres mais tout simplement de le défendre chez nous. Le djihadisme est une attaque frontale contre la démocratie dans le monde arabe, en Afrique et en Occident. Tout doit être fait pour mobiliser les pays concernés contre ce fléau. L’effort doit être poursuivi sur le long terme en les aidant à construire des institutions stables et en apprenant la leçon des erreurs commises en Irak et en Libye, où, une fois l’opération militaire terminée, tout le monde s’est désintéressé de ce qui se passait et les djihadistes ont pu occuper le vide qui s’était créé.
Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET
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