Les dangers de la mouvance salafiste : par Mohamed Louizi (auteur de: « Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans »)

Mohamed Louizi a connu, de l’intérieur, l’épreuve de l’embrigadement salafiste. L’auteur de «Pourquoi j’ai quitté les Frères Musulmans » (Ed Michalon)  évoque, dans cet entretien à la Revue Civique, l’historique de la mouvance salafiste et explique en quoi elle « présente au moins trois dangers: la proscription de la raison, la monopolisation de la vérité et l’exaltation de la violence. » Mohamed Louizi était l’invité d’un petit déjeuner débat (juin 2016) à l’invitation du Groupe UDI du Sénat, d’IPSE (institut prospective et sécurité en Europe) et de l’EFD (European Foundation for Democracy).

Pour lui, « le groupe Etat Islamique ne fait que se servir des textes violents, et partage la même matrice idéologique salafiste avec les Frères musulmans (…) Entre Daesh et les Frères musulmans, dit-il, la différence est de degré et non de nature ». Il ajoute : «l’esprit jihadiste chez les « frères » est entretenu par un endoctrinement particulier. Il serait grave d’en minimiser l’ampleur et les effets » : « l’Etat français et les citoyens doivent comprendre que les Frères Musulmans sont une idéologie d’islamisation de la société et de l’Etat, un projet politique visant le sommet du pouvoir et la réalisation d’un rêve ‘califaliste’ planétaire ». Même si « l’UOIF se présente comme ‘légaliste’, respectueuse de la Laïcité et de la loi républicaine… »

Que faire ? «La première chose à faire, face à ce fléau, c’est d’abord de cesser d’être naïf et d’oser nommer les choses : l’islamisme et l’islam(s) ne sont pas synonymes». Et s’il y a un domaine où l’Etat se doit d’être vigilant, précise-t-il, «c’est le domaine de l’éducation et de la jeunesse ». Dans le cas de l’UOIF, il serait  «urgent de soumettre cette organisation à une grille d’évaluation adaptée aux sectes et en tirer les conclusions pratiques qui s’imposent». Il souligne que «l’UOIF a assuré récemment la diffusion de toute une littérature islamiste pronazis et pro-jihad, souvent en langue arabe.

Il faut plus globalement, ajoute-t-il, « repenser, au plus vite, l’islam apolitique, citoyen, éclairé, progressiste et non-violent au sein de la République, et donner plus de moyens à tous ces citoyens musulmans, qui s’emploient à leurs dépens à libérer la foi musulmane confisquée des jougs de l’islamisme ».

Mohamed Louizi, auteur de « Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans » (Michalon)

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La Revue Civique : Vous avez connu de l’intérieur la mouvance salafiste et la dérive de l’intégrisme. Maintenant que vous en êtes sorti, qu’est-ce qui vous paraît le plus dangereux dans cette mouvance ?

Mohamed Louizi : Permettez-moi de remercier La Revue Civique pour cet entretien. Effectivement, j’ai connu très jeune la mouvance islamiste des Frères musulmans de l’intérieur, durant une quinzaine d’années, de 1991 à 2006, au Maroc et puis en France. Je raconte ce parcours dans mon essai autobiographique : Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans, retour éclairé vers un islam apolitique (Michalon – 2016).

Pour le rappel, cette mouvance a été fondée en Egypte en 1928, par un jeune instituteur de vingt-quatre ans nommé Hassan Al-Banna – qui est aussi le grand-père maternel des frères suisses Tariq et Hani Ramadan. A l’époque, l’Egypte fut colonisé par l’Angleterre. Le Proche-Orient fut divisé entre français et britanniques suite aux accords de Sykes-Picot. L’Empire Ottoman, le califat pour les uns, « l’homme malade de l’Europe » pour d’autres, venait de chuter, quatre ans auparavant, laissant la place à la création d’une Turquie laïque, sous l’égide du militaire Mustafa Kemal Atatürk (1881 – 1938).

Par ailleurs, le débat sociétal, entre modernistes et conservateurs, fut très rude mais très riche aussi. L’Egypte se cherchait un horizon. La modernité occidentale prospectait son modèle. L’institution religieuse sunnite, représentée par Al-Azhar, s’y est opposée et a mené son combat religieux contre ce modèle considéré comme dangereux pour la foi et pour la communauté de l’islam. L’Arabie saoudite déployait son salafisme wahhabite des deux rives du Nil, pour contrer les « vents » du communisme soufflant depuis l’URSS. La production littéraire, intellectuelle et religieuse de cette époque témoigne de cette dynamique et de ces questionnements profonds qui préoccupaient et les religieux, et les hommes de lettres et l’intelligentsia égyptienne dans sa diversité et complexité aussi.

L’islam, un récit particulier de l’islam, était au foyer de ces questionnements presque philosophiques. L’essai du théologien azharite progressiste Ali Abderraziq : L’islam et les fondements du pouvoir (الإسلام و أصول الحكم), publié au Caire en 1925, résume à lui seul la dynamique de toutes ces forces opposées tout comme l’essai littéraire de Taha Hussein (1989 – 1973) intitulé : De la poésie préislamique (في الشعر الجاهلي) paru en 1926. Alors que les conservateurs défendaient la thèse (voire la croyance)  d’un rôle politique de l’islam et de ses normes, pour organiser et gérer la société égyptienne, le théologien Ali Abderraziq prenait le contre-pied de cette idée et prônait la sécularisation de l’Etat comme horizon et comme solution aussi. De même, il refusait le principe d’un « califat islamique », partant d’une remise en question de la dimension politique de la prophétie. Dans de tel climat, cet essai, prônant subsidiairement un « islam apolitique »,  avait fait grand bruit et son auteur avait subit toute sorte de pressions. Dans ce climat aussi, Hassan Al-Banna créa sa mouvance, trois ans plus tard, pour confirmer à sa manière que l’islam est fondamentalement politique. L’islamisme contemporain – l’islam politique – est donc né à ce moment précis sous le label des Frères musulmans.

L’objectif planétaire du « califat islamique» axé sur l’éducation

Hassan Al-Banna rêvait alors de rétablir le « califat islamique » planétaire, conquérant et impérialiste, et annonçait clairement ses objectifs politiques et géopolitiques. Cela passait d’abord par chasser les britanniques et libérer les terres. Mais la principale tâche qu’il s’est donnée, tout au long de sa vie et jusqu’à son assassinat en février 1949, c’était d’avoir une vision stratégique globale à long terme et une organisation optimale pour atteindre ses objectifs, étape par étape et permettre à l’islam politique de « dominer et de triompher partout » : c’est l’essence du projet Tamkine que les Frères musulmans conduisent depuis.

Dans ses épîtres écrites, il dit : « Nous croyons fermement qu’il n’y a qu’une seule et unique idée qui est capable de sauver ce monde tourmenté, d’orienter l’humanité perdue et de guider les gens vers le droit chemin. Une idée qui mérite que l’on y sacrifie nos vies, notre argent et tout ce que l’on possède, que ce soit des choses dérisoires ou bien des choses très chères, pour la proclamer et l’annoncer aux gens, afin de les entraîner à l’embrasser. Cette idée, c’est l’islam ». Il rêva de permettre, à terme, à « la bannière d’Allah d’être arborée à nouveau au-dessus de toutes ces contrées qui avaient connues le bonheur de l’islam – disait-il – et l’appel à la prière, pendant un certains temps, mais qui, par malheur, ont perdu ses lumières et se sont retournées à la mécréance. En effet, l’Andalousie, la Sicile, les Balkans, le Sud de l’Italie et les îles méditerranéennes, toutes ces colonies islamiques d’antan, doivent revenir au domaine géographique de l’islam. La Méditerranée et la Mer Rouge doivent redevenir islamiques comme avant » !

Mohamed Louizi témoigne des dérives sectaires du salafisme (Michalon)

Pour atteindre cet objectif planétaire, l’instituteur Hassan Al-Banna avait défini un ordre de priorité axé sur l’éducation. Il projetait d’éduquer « l’individu musulman », puis le « foyer musulman », puis le « peuple musulman », pour atteindre le « gouvernement musulman » qui, disait-il : « conduira ce peuple musulman à la mosquée », en précisant au passage : « nous ne  reconnaissons aucun régime de gouvernance politique qui ne se base pas sur l’islam et qui ne puise pas ses lois de sa source [la Charia]. Nous ne reconnaissons ni ces partis politiques, ni ces configurations traditionnelles de gouvernement, que les mécréants et les ennemis de l’islam nous ont imposé ». Il préconisait d’atteindre donc le « gouvernement musulman » dans chaque pays comme étape intermédiaire. Car dans l’esprit et la lettre d’Hassan Al-Banna, la construction du « califat islamique » rêvé est la résultante de l’annexion, au gouvernement islamiste central, de toute « partie de notre patrie islamique divisée par les politiques occidentales, et désunifiée par les convoitises européennes » disait-il. Ceci est le substrat politique des Frères Musulmans, depuis le moment fondateur, qu’ils transmettent à leur relève, de génération en génération.

A lui seul, ce substrat idéologique, tel qu’il est décrit dans les épîtres d’Hassan Al-Banna, représente un vrai danger surtout auprès des jeunes. Car, à en croire Hassan Al-Banna, tout se résume à l’idée-islam, au Dieu-islam, au prophète-islam, au récit-islam, au dogme-islam, au culte-islam, au territoire-islam, à la loi-islam, à la nation-islam et, j’ose dire, au tout-islam. En dehors de cette idée, de ce Dieu, de ce prophète, de ce récit, de ce dogme, de ce culte, de ce territoire, de cette loi, de cette nation, et de ce tout-islam, tout est fait pour convaincre le jeune qu’il n’y a point de salut. Ni dans la vie d’ici-bas, ni dans la vie de l’au-delà, telle qu’elle est décrite par une littérature moyenâgeuse frérosalafiste effrayante, largement diffusée. En plus de ce danger psychologique caractérisé, aux conséquences graves et imprévisibles, cette mouvance présente au-moins trois autres dangers autant graves que fortuits : Premièrement, la proscription de la raison. Deuxièmement, la monopolisation de la vérité. Et troisièmement, l’exaltation de la violence.

En effet, le frérosalafisme place le texte religieux au-dessus de la raison. Celle-ci n’est reconnue que dans la mesure de sa totale soumission au texte. Le texte est le maître. La raison en est l’esclave. Le texte est l’autorité suprême. La raison, le subordonné.  Par textes religieux, il faut entendre principalement le Coran, les Hadiths (paroles attribuées au Prophète) et les Athars (paroles attribuées aux compagnons du Prophète, à leurs successeurs et aux successeurs de leurs successeurs : Les fameux trois siècles ou trois générations dites bénies). Les Frères musulmans, cet « appel salafiste » comme l’écrivait et le décrivait Hassan Al-Banna dans les années trente, emprisonnent la raison en-dessous d’un « plafond sacré ». Celui de tout un héritage historique révolu depuis plusieurs siècles. Ils ne reconnaissent à la raison aucun droit de remettre en question ce « plafond sacré » et interdisent dans les faits toute démarche réflexive et critique nécessaire.

Une autorité absolue du texte, qui neutralise toute pensée critique

Cet héritage représente chez eux « la » vérité absolue, transcendant le temps et l’espace. Ainsi, pour être un « bon » musulman, il faut simplement se soumettre totalement à l’autorité du texte et neutraliser toute pensée critique. D’ailleurs, lorsqu’ils définissent l’islam, dans leur littérature, comme étant la « soumission » à la volonté de Dieu, il faut plutôt entendre que l’islam des Frères musulmans est la soumission de la raison aux textes des trois premiers siècles fondateurs. En cela, ils s’inscrivent fidèlement dans une triple idéologie jurisprudentielle, théologique et « philosophique », théorisée par un trio historique célèbre : le juriste l’imam al-Chafi’i (766 – 820), le théologien Abou al-Hassan al-Ashari (874 – 936), et le mystique Abou Hamid al-Ghazali (1058 – 1111). Le premier a créé le principe même de ce « plafond sacré » et a intronisé définitivement l’autorité absolue des textes. Le deuxième, qui fut rationaliste moutazilite à ses débuts, a fini par rebrousser chemin et tracer une autre voie médiane entre le rationalisme moutazilite et le littéralisme salafiste – l’école asharite – tout en étant, dans son exercice cultuel, plutôt proche du juridisme de l’imam al-Chafi’i. Quant au troisième, avec son livre « L’incohérence des philosophes », publié en 1095, il avait condamné à perpétuité l’approche rationnelle, la raison critique et le destin intellectuel de toute la rive sud de la Méditerranée.

Dans mon essai autobiographique, il y a ce passage que je reproduis ici. Je me cite : « Hasard du calendrier ou concordance surprenante entre deux attaques datant de l’année 1095 : une première, externe, décrétée par le pape Urbain II annonçant le début des Croisades, et une seconde, interne, décrétée par Abou Hamid Al Ghazali dans son livre Incohérence des philosophes (تهافت الفلاسفة), s’en prenant plus particulièrement à l’œuvre philosophique d’Al Fârâbî (872-950) et d’Avicenne (980-1037). Une attaque salafiste dont l’effet catastrophique s’avéra, par la suite et jusqu’à nos jours, encore plus profond, plus durable et plus difficile à contrer aussi. Le philosophe Averroès (1126-1198) tenta de réhabiliter la philosophie et la science en s’attaquant méthodiquement à l’ouvrage d’Al Ghazali. Mais le mal était déjà fait. Le livre d’Averroès Incohérence de l’Incohérence (تهافت التهافت) ne pouvait pas arrêter la chute vertigineuse vers les abîmes de l’enfer. À son tour, Averroès fut excommunié et ses livres brûlés par les élèves d’Al Ghazali et ceux qui transmettraient son œuvre aux générations futures, jusqu’aux wahhabites et Frères musulmans ! » Fin de citation.

Dans cette optique, la vérité ne se construit pas le long d’un cheminement, le long d’une quête. Le frérosalafisme prétend que cette vérité unique et définitive existe et qu’elle est exclusivement islamique. Il suffirait de l’apprendre par cœur, de l’héritage textuel passé de trois générations révolues, et de la reproduire machinalement, sans réfléchir, à l’identique et à l’infini. Le progrès n’est plus un avenir à construire en avançant. C’est un passé à imiter en reculant. La raison des ancêtres de l’Arabie inhibe la raison universelle. Un récit de l’islam de l’Arabie bédouine devient la référence, la vérité. Par conséquent, le mariage entre les deux dangers, à savoir la proscription de la raison et la monopolisation de la vérité, a engendré un fils légitime, un troisième vrai danger pour l’humain et pour la vie. Celui de l’exaltation de la violence. L’Epitre du Jihad (رسالة الجهاد) d’Hassan Al-Banna, que j’ai traduit dans mon essai à partir de la page 213, démontre la convergence mortifère de ces trois dangers. Elle est rédigée à partir de cet héritage textuel exalté : huit textes coraniques, trente-et-un hadiths et le résumé des avis des principales écoles juridiques de l’islam sunnite. Pour affirmer, en définitif, que « faire jihad est une obligation pour tout musulman » jusqu’au jour dernier.

La peine de mort pour apostasie

C’est bien dans cet héritage qu’il est écrit : « Celui qui change sa religion, tuez-le ! », instaurant la peine de mort pour apostasie. Ou ce texte légitimant l’usage de la violence pour contraindre les gens et les convertir à l’islam par les armes : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils témoignent que nul n’est en droit d’être adoré qu’Allah et que Mohammad est son envoyé, qu’ils accomplissent la prière, qu’ils s’acquittent l’aumône légale. S’ils font cela, ils auront préservé vis-à-vis de moi et leur sang et leurs biens sauf ce que l’Islam permet d’en prélever légalement. Quant à leur compte, c’est Allah le Très-Haut qui se charge de le dresser ». Ou ce texte : « Celui que vous trouvez qui pratique l’acte du peuple de Lot, alors tuez l’actif et le passif !» Ici, « l’acte du peuple de Lot » signifie l’homosexualité selon la majorité des juristes sunnites. C’est aussi dans cet héritage que l’on trouve les textes légitimant la lapidation par exemple, ainsi que tout un arsenal textuel de guerre, glorifiant le martyr et légitimant la conquête des « mécréants » chez eux. Hassan Al-Banna le rappelle dans son épître en mettant en perspective des textes comme : « Ce que ressent le martyr au moment d’être tué est semblable à ce que ressent celui qui se fait piquer par un moustique » : c’est-à-dire, il ne ressent rien, donc pas de peur. Ou celui-ci : « L’imam (le calife) a le devoir d’envoyer une expédition à la demeure de la guerre (Dar al-Harb) une ou deux fois par an » rappelant un avis juridique largement partagé par les principaux juristes sunnites.

Le groupe Etat Islamique ne fait donc que se servir de ces textes violents et partage la même matrice idéologique salafiste avec les Frères musulmans. Daesh n’est pas le seul à se servir de cette matrice. Les mêmes textes génèrent presque les mêmes effets à des périodes différentes. Les Frères musulmans ne sont pas en reste. Entre Daesh et les Frères musulmans, la différence est de degré et non de nature. Dans son récent article : « Les Frères musulmans en plein mutation », publié sur Mediapart le 17 juin (ici), Pierre Puchot, malgré sa modération connue au sujet des Frères musulmans, est obligé de concéder aujourd’hui que : « […] Des sections de base agissent indépendamment de leur direction et choisissent de passer à l’action violente de manière ciblée, contre l’État. Ce qui se traduit la plupart du temps par des assassinats de policiers, d’officiers militaires, ou le placement de bombes artisanales devant des bâtiments des forces de l’ordre, ou ceux des banques des Émirats arabes unis […] ». Cette violence inouïe ne peut être expliquée par la seule situation politique tendue après la destitution de Mohamed Morsi. Les Frères musulmans, depuis la création de la mouvance, sont dotés d’une branche jihadiste, une milice paramilitaire qui s’appelle « l’organisation spéciale », al-Tanzim al-Khas (التنظيم الخاص). Ils s’en servent à chaque fois que c’est nécessaire. Dans les années 30 et 40, cette organisation était l’actrice d’assassinats. Elle avait alimenté la guerre en Palestine par des combattants avant la création d’Israël. En 2006, la presse égyptienne avait dévoilé sa ressuscitation à Al-Azhar. Depuis la chute de Morsi, elle revient à la charge. L’esprit jihadiste chez les « frères » est entretenu par un endoctrinement particulier. Il serait grave d’en minimiser l’ampleur et les effets.

Vous dénoncez notamment les méfaits de l’UOIF, ses pouvoirs de nuisance, courant qui cherche pourtant, à travers le CFCM notamment qu’il souhaite réintégrer, à se présenter comme l’un des acteurs reconnus de l’Islam en France. Quelles sont les dangers que portent l’UOIF en France et comment pensez-vous que l’Etat et les citoyens doivent y faire face ?

Depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, les Frères musulmans ont su s’implanter  un peu partout dans le Monde. En Europe, cette organisation est présente à travers la FOIE (Fédération des Organisations Islamiques en Europe) domiciliée à Bruxelles, à quelques centaines de mètres seulement de la Commission Européenne, et présente dans vingt-sept pays. En France, cette organisation s’active « principalement » sous le nom de l’UOIF avec des ramifications régionales et locales depuis 1983. Je dis bien « principalement », car il serait très réducteur de croire, ou de faire croire, que son idéologie et son projet islamiste ne seraient représentés et portés que par la seule UOIF.

Bien au contraire, l’idéologie d’Hassan Al-Banna et le projet Tamkine des Frères musulmans sont portés aussi par d’autres acteurs islamistes venant d’autres pays comme le Maroc, l’Algérie ou la Tunisie. Pour ne citer que ces trois pays du Maghreb. Monsieur Anouar Kbibech par exemple, l’actuel président du CFCM est issu du MUR (Mouvement Unicité et Réforme), la branche frériste marocaine, qui contrôle le PJD (Parti Justice et Développement) et qui bénéficie d’une présence effective en France. Par conséquent, les divergences tactiques apparentes, entre les uns et les autres, ne doivent surtout pas éclipser les accords tacites souterrains, les solidarités constantes et surtout les convergences dans les buts lointains et les moyens mis en œuvre.

Les diverses portes d’accès au cœur de la République

Dans le Coran, il est écrit que le prophète Jacob (Israël), le père du prophète Joseph, avait demandé à ses fils d’accéder à l’Egypte par diverses portes : « Ô mes fils, n’entrez pas par une seule porte, mais entrez par portes séparées » (Coran, 12, 67). C’est un peu ce que l’islamisme et ses différentes factions font en diversifiant les appellations et les portes d’accès au cœur de la République. De ce point de vue, il serait injuste d’accabler la seule UOIF et d’épargner les autres. L’islamiste est « un et indivisible » dans son but ultime. Mais il est aussi multiple dans ses représentations sur le champ du réel. Un adage arabe dit : « Parmi les hérissons, il n’y a pas un qui est lisse ». Tous se ressemblent. Tous s’assemblent, pour mener un projet à long terme, visant le Tamkine politique comme horizon lointain et œuvrant d’arrache-pied, chacun à sa manière, chacun sous sa propre bannière, sur la voie de « l’islamisation » de la société et de l’Etat, par étape et par étage, comme condition sine qua non pour atteindre à terme le Tamkine politique. Et c’est en cela que réside le vrai pouvoir de nuisance, le vrai danger de l’UOIF et de ses sœurs.

Car « l’islamisation » est une vision de la société et de l’Etat, diamétralement opposée à l’autre vision basée sur la sécularisation, comme héritage de la Réforme et de la Révolution, mais aussi comme processus historique de transformation de la société et de l’Etat, ayant abouti démocratiquement, fort heureusement, à trouver un compromis dans la difficulté le 9 décembre 1905, et à définir un cadre normatif pacificateur, nommé la Laïcité, séparant les ordres. Celui des Eglises d’un côté, de celui de l’Etat, de l’autre côté. Faudrait-il toucher à ce cadre pour le réadapter à la réalité d’un islamisme conquérant ? La question est déjà posée mais aucune réponse pragmatique ne semble s’imposer pour l’instant.

Dans son discours de Castres, le 30 juillet 1904, Jean Jaurès résumait cette vision de la société et de l’Etat, ce qu’il avait nommé « les deux conquêtes décisives », en ces termes : « […] pour le grand effort qui va de la Réforme à la Révolution, l’homme a fait deux conquêtes décisives : il a reconnu et affirmé le droit de la personne humaine, indépendant de toute croyance, supérieur à toute formule ; et il a organisé la science méthodique, expérimentale et inductive, qui tous les jours étend ses prises sur l’univers. Oui, le droit de la personne humaine à choisir et à affirmer librement sa croyance, quelle qu’elle soit, l’autonomie inviolable de la conscience et de l’esprit, et en même temps la puissance de la science organisée qui, par l’hypothèse vérifiée et vérifiable, par l’observation, l’expérimentation et le calcul, interroge la nature et nous transmet ses réponses, sans les mutiler ou les déformer à la convenance d’une autorité, d’un dogme ou d’un livre, voilà les deux nouveautés décisives qui résument toute la Révolution ; voilà les deux principes essentiels, voilà les deux forces du monde moderne. Ces principes sont si bien, aujourd’hui, la condition même, le fond et le ressort de la vie, qu’il n’y a pas une seule croyance qui puisse survivre si elle ne s’y accommode, ou si même elle ne s’en inspire. » Cela résume l’héritage de presque quatre siècles de dynamiques sociétales à tous les niveaux : philosophique, religieux, politique, législatif, économique, social, artistique, littéraire, scientifique, industriel et technologique. Deux conquêtes décisives donc : Liberté de conscience et sécularisation de la connaissance qui représente l’âme de la modernité et du progrès. Les islamistes eux, n’y adhèrent pas. Pis, ils livrent bataille pour restaurer le moyen-âge !

En effet, le concept « islamisation » – théorisé et porté depuis plus de trente ans par les Frères musulmans depuis l’IIIT (L’Institut international de la pensée islamique), un think-tank aux Etats-Unis – est à l’opposé de cet héritage que résume Jean Jaurès dans son discours. Pour mieux approcher ce concept, je recommande la lecture de mon article synthétique : « L’islamisation », le bien commun des « frères » siamois (ici) qui livre quelques éléments d’analyse. Ainsi, l’on apprend qu’il est l’âme philosophique du projet Tamkine, pensée à partir du référentiel coranique, à l’opposé de l’idée de la « sécularisation de la connaissance ». Plus exactement, on parle plutôt d’ « islamisation de la connaissance » qui veut replacer le religieux (islamique) au foyer même de la connaissance humaine. Aucune connaissance, philosophique, scientifique ou autre, ne devrait être dissociée de la révélation coranique. Celle-ci, telle qu’elle est interprétée par les idéologues fréristes, prend le dessus sur toute autre connaissance induite par les seuls moyens des sens et de l’expérience. Le texte religieux prend le dessus sur l’observation expérimentale et sur les théories scientifiques. Le religieux valide, ou pas, les résultats de l’exercice scientifique.

« L’islamisation » est aussi un plan d’action

Plus qu’un concept idéologique abstrait, « l’islamisation de la connaissance » est aussi une méthodologie et un plan d’action. Sa cible première demeure le domaine de l’éducation et de l’enseignement. L’élève à l’école, tout comme l’étudiant à l’université, ne doivent, selon les frères théoriciens, être laissés à l’abandon entre les mains de programmes éducatifs laïques et de professeurs animés par une rationalité à l’occidentale. Tout doit être fait pour l’intégration de ce concept dès les premières années de l’école et jusqu’à la fin des études supérieures. La rationalité dictée par la modernité occidentale, basée sur le sens et sur l’expérience, devait être remplacée par une autre « rationalité » dictée par le contenu de la foi islamique monothéiste, mettant la révélation coranique au-dessus des sens et de l’expérience. L’on se retrouve encore une fois face aux deux dangers précités : la proscription de la raison et la monopolisation de la vérité !

Depuis les années 1990, l’UOIF s’active dans le champ scolaire et universitaire pour diffuser cette idéologie très particulière de la connaissance. Déjà en 1994, l’UISEF (L’Union Islamique des Etudiants de France) – actuellement EMF, le bras étudiant de l’UOIF à l’université – avait organisé à Lille son premier colloque universitaire culturel sous le thème : Différentes approches de la méthodologie musulmane. L’objet étant de montrer, je cite : « la nécessité d’une méthodologie musulmane capable de penser la société à partir de notre cadre coranique, pour rendre le verbe divin compréhensible et dynamique ». La question de « spiritualiser la connaissance scientifique » avait fait l’objet d’une conférence entière. Dans la même année, l’UISEF avait organisé une série de conférences sous le thème : Pour un nouveau cadre laïque, où Tariq Ramadan par exemple disait, je cite : « L’islam de France respecte les principes de laïcité, mais défend une intégration positive des intimités ». L’autre versant de « The reasonable accommodation » en vogue au Canada et dans les pays anglo-saxons multiculturalistes. Ces deux thèmes, qui apparaissent distincts à premier abord, ne le sont pas du point de vue de la théorie de « l’islamisation de la connaissance » qui les unifie. Mis côte-à-côte, ils montrent un point de départ et un point d’arrivée. Ainsi, on peut lire avec l’UISEF : « Différentes approches de la méthodologie musulmane … pour un nouveau cadre laïque ». Pour y arriver, l’UISEF avait fait financer son projet d’ « islamisation » et d’ « appel à Allah » par les saoudiens, en profitant de ce que permet la République comme libertés d’entreprise et d’actions (Lire ici) !

Quelques années plus tard, ces étudiants islamistes en France, profondément marqués par la théorie de « l’islamisation de la connaissance », sont devenus cadres, animés par cette même vision opposée à la rationalité occidentale. Pour exemple, Abdellah Benmansour, cofondateur de l’UOIF et actuel président de la FOIE, avait publié en mai 2006, une tribune en arabe, dans le magazine Al-Europiya, intitulé : Cellule de la pensée (زنزانة الفكر), déplorant l’enfermement de la pensée occidentale dans une « grande prison obscure », à quatre murs. Chaque mur a été construit, selon lui, par un savant occidental.

A en croire Abdellah Benmansour, en 1859, Charles Darwin a battu avec sa théorie de l’évolution « le premier mur voilant l’horizon de la pensée humaine désireuse de connaitre Dieu ». Le deuxième mur a été construit en 1864, lorsqu’un Karl Marx avait posé les bases de sa théorie du matérialisme dialectique, expliquant « le mouvement de l’histoire par la production économique ». Le troisième mur a été construit par Emile Durkheim en 1895, l’un des fondateurs de la sociologie moderne, qui selon le frère Benmansour « explique l’histoire par le besoin de l’homme de vivre en société » et considère que le but ultime de l’individu est de « tisser des liens avec autrui pour atteindre le bonheur » en dehors de Dieu. Quant au quatrième mur, il a été construit par Sigmund Freud qui a « expliqué le mouvement de l’histoire par l’instinct sexuel ». Le président de la FOIE conclut en disant : « Avec la théorie de Freud, la pensée occidentale fut prisonnière. La civilisation des quatre murs est née. Son objet était de nier toute existence de Dieu dans l’univers pour que l’homme jouisse du bonheur dans la perversité » !

Mohamed Louizi dénonce l’idéologie et les pratiques de l’UOIF notamment.

Une partie de cette élite islamiste, endoctrinée à l’université dans les années 1990, est chargée désormais de créer et de gérer des écoles coraniques et des établissements de l’enseignement privé musulman sous (ou sans) contrat d’association avec l’Etat. Aujourd’hui, les Frères Musulmans de l’UOIF sont dotés d’un outil puissant : la FNEM (Fédération nationale de l’enseignement privé musulman), qui cherche à développer sur tout le territoire des établissements et des écoles privées pour former et préparer une élite islamiste, bien imprégnée de la théorie de « l’islamisation de la connaissance », porteuse des standards idéologiques du projet Tamkine, en rupture totale ou partielle, avec les « deux conquêtes décisives » décrites par Jean Jaurès. Amar Lasfar, l’actuel président de l’UOIF, dit dans un rapport interne parlant de l’école coranique : « Cette institution doit être une de nos préoccupations majeures. Elle est l’un des lieux de renouvellement de notre potentiel humain. Elle est le terrain de culture de nos idées et de notre pensée. Elle est l’institution qui héritera de nos acquis pour en faire un avenir meilleur ». Dans l’esprit d’Amar Lasfar, chaque enfant – abandonné par les parents et la République entre les mains des islamistes – est potentiellement le projet d’un frère musulman ! Mais la stratégie de l’UOIF ne se limite pas qu’à ça. Certes, l’enjeu de l’éducation et de la jeunesse demeure le premier enjeu principal, mais il y a au moins quatre autres enjeux :

Le deuxième, est celui du contrôle des lieux de culte et notamment ceux qu’Amar Lasfar appelle les « mosquées-cathédrales ». Cela permet aux Frères musulmans de diffuser leur idéologie, sous couvert d’un islam soi-disant de « juste milieu », auprès d’un grand nombre de fidèles tous les vendredis et week-ends, de se constituer une réserve humaine jeune et adulte importante notamment à travers l’école coranique et l’apprentissage de la langue arabe, de s’assurer une manne financière conséquente et pérenne et de dominer ledit « islam de France » et ses instances représentatives.

Ce qui amène au troisième enjeu, celui de la « représentativité » depuis que Nicolas Sarkozy a décidé, en 2003, d’inviter l’UOIF à s’asseoir à la table de la République et « d’intégrer les intégristes » au sein du CFCM et de ses instances régionales. Construire et contrôler ces « mosquées-cathédrales », à très grande surface – comme celle de Villeneuve d’Ascq et de Mulhouse par exemple – permet de s’assurer une « pole position » lors des élections du CFCM et des CRCM. Car, ce ne sont pas les fidèles des mosquées qui votent, pour choisir leurs « représentants religieux » auprès de la République, mais ce sont quelques délégués choisis par les dirigeants de chaque mosquée. Quant au nombre de délégués, il est défini proportionnellement à la surface de l’espace de prière. Ainsi, une salle de 100 m² donne droit à un délégué. Une salle de 2.000 m² donne droit à vingt délégués. En gros : « Dis-moi combien de mètres-carré de prière tu contrôles sur tout le territoire national, je te dirai quel est ton pouvoir d’influence au sein du CFCM et des CRCM ». L’on doit rendre hommage à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, qui a inventé le concept, peu démocratique, de la « représentativité au mètre-carré ». Inutile de chercher ailleurs une explication à la course effrénée de l’UOIF pour construire des « mosquées-cathédrales » par-ci et par-là, la démocratie « géométrique » régissant le CFCM depuis sa naissance livre un début d’explication. Certes l’UOIF avait claqué la porte de la direction du CFCM en 2013, mais elle fait tout désormais pour la réintégrer. Elle doit patienter un peu avant l’officialisation du grand retour (Lire ici).

Le quatrième enjeu est celui du contrôle de la culture et de la connaissance islamique, en inondant le marché du livre par la littérature frérosalafiste, en arabe et en français, et en organisant des activités, des foires et des rassemblements annuels grandeur nature, comme celui de Paris/Le-Bourget et les autres rassemblements régionaux. Ceux-ci permettent à l’UOIF de fédérer autour d’elle d’autres projets, d’autres forces associatives, de sous-traiter la radicalisation à des internationaux de passage en France et de se placer comme acteur majeur et puissant. Sans oublier le profit matériel que génèrent ces rassemblements pour le compte des Frères Musulmans. Pour preuve, selon les bilans comptables de la société GEDIS – qui organisent la foire annuelle au Bourget et qui traduisent et diffusent la littérature islamiste – en dix ans, entre 2004 et 2013, son chiffre d’affaires déclaré est passé de 671 313 € à 1 648 000 € : une croissance de 245%. Le gérant de la société GEDIS s’appelle Fouad Alaoui. Ancien président de l’UOIF et l’un de ses représentants au sein du bureau national du CFCM, durant presque une décennie. C’est lui qui avait fondé l’UISEF et était très actif en son sein pour la promotion du projet « islamisation de la connaissance » dans les années 1990,  financé en partie par l’Arabie Saoudite.

L’enjeu des œuvres « caritatives »

Enfin, le quatrième enjeu, ce sont les œuvres caritatives ou la Charity-Business (Lire ici). Avec au moins quatre organisations internationales actives sur le territoire français (Secours Islamique, CBSP, Human Appeal et Syria Charity), les Frères musulmans drainent des dizaines de millions d’euros chaque année par le biais de l’argent collecté tous les vendredis et tous les Ramadan auprès de fidèles généreux. Lors de ces campagnes d’appel au don, le musulman est rappelé à son appartenance dite prioritaire à « l’Oumma » islamique, ce corps géopolitique virtuel et indéfini car fantasmé et indéfinissable. Face à de tels discours, le jeune musulman se trouve tiraillé entre son appartenance citoyenne à la République et sa supposée appartenance à la nation-islam. Très difficile de choisir, surtout lorsque des Frères musulmans incendiaires, diffusant la propagande du Hamas palestinien sur le minbar, décrivent la France comme l’ennemi de l’islam et des musulmans.

Ainsi, l’Etat français et les citoyens doivent comprendre que les Frères Musulmans est une idéologie d’islamisation de la société et de l’Etat et un projet politique visant le sommet du pouvoir et la réalisation d’un rêve « califaliste » planétaire. L’UOIF se présente comme étant « légaliste » et respectueuse de la Laïcité et de la loi républicaine. Son président Amar Lasfar a déclaré en avril 2016, pour tenter de rassurer ses interlocuteurs officiels, après avoir été pris les doigts dans le pot de confitures lorsqu’il avait invité des islamistes sulfureux, antisémites, homophobes et jihadistes à Lille en février 2016 : « Nous ne comptons pas faire la révolution pour obtenir le pouvoir ! Notre Révolution, nous l’avons faite en 1789. Notre charia, c’est la loi de la République », soit.

Toutefois, Amar Lasfar fut très actif lorsque les premières affaires du voile à l’Ecole avaient éclaté notamment en 1994 au Lycée Faidherbe à Lille. En 2004, le même Amar Lasfar s’est opposé à la loi interdisant les signes religieux ostentatoires à l’Ecole. En 2005, alors président de la LIN (Ligue Islamique du Nord), il n’a pas hésité à émettre une fatwa (un avis juridique islamique) et la mettre entre les mains de la justice française, dans le cadre d’un procès relatif à l’inhumation d’un citoyen français de culture musulmane, qui avait formulé une dernière volonté auprès de ses enfants demandant d’être incinéré. Sa veuve, qui fut en instance de divorce, s’y est opposée et Amar Lasfar l’a soutenu par une fatwa qui disait : « La Ligue Islamique du Nord, autorité religieuse dans le Nord Pas de Calais, affirme que la religion musulmane n’admet que l’enterrement comme procédé d’inhumation de l’être humain. Tout musulman connu en tant que tel auprès de la communauté musulmane ne peut être considéré comme apostat […] Seule une autorité judiciaire musulmane dans un pays musulman doit définir et vérifier les causes de l’apostasie d’une personne ». Ce propos date de 2005, quelques années après 1789 !

L’on peut multiplier les contre-exemples qui démontrent que les Frères Musulmans menacent sérieusement la République, la Laïcité et les libertés fondamentales. La première chose à faire, face à ce fléau, c’est d’abord de cesser d’être naïf et d’oser nommer les choses : L’islamisme et l’islam(s) ne sont pas synonymes. S’il y a un domaine où l’Etat se doit d’être vigilant, c’est le domaine de l’éducation et de la jeunesse.

Pour faire face à la radicalisation qui sévit dans certains quartiers, que préconisez-vous aujourd’hui, en complément (ou en correction) des mesures prises ? Après les attentats subis en France en 2015, est-ce que la France a pris les bonnes dispositions et la mesure du problème posé ?

Fin mai dernier, j’ai participé à un workshop international à Tunis sur le thème : « Islamisme, radicalisation et déradicalisation en Europe ». Dans l’argumentaire, il y avait ce passage que je reproduis tel quel ici: « Le terme de « radicalisation » est aujourd’hui en vogue. Il a été lancé pour éviter l’amalgame entre l’islam et la violence, éloigner le risque d’une ségrégation des communautés musulmanes vivant en Occident et ne pas poser la violence comme l’apanage des religions en général. Par-delà la noblesse de l’intention, ce terme supposé neutre peut-il lever les confusions ? Ne pose-t-il pas immédiatement le sujet de savoir si nous vivons aujourd’hui la radicalisation de l’islam ou l’islamisation de la radicalité ? Or, ce questionnement ne nous renvoie-t-il pas à son tour à la case de départ ? » Ce débat continue à préoccuper et à opposer des esprits éclairés tels que Gilles Kepel et Olivier Roy. Tout ceci pour dire simplement que lutter contre l’indéfini est presque inutile. Ne doit-on pas d’abord commencer par nommer les choses et oser le bon diagnostic ? Comme dans l’analyse mathématique, déterminer le domaine de définition d’une fonction est un préalable à son étude.

Il est urgent de changer de paradigme, et d’élargir le spectre

Il est un constat partagé par des observateurs, consistant à dire que la conception de la radicalisation chez certains acteurs, au niveau de l’Etat, est très restrictive. L’on murmure par-ci ou par-là que ce qui préoccupe aujourd’hui l’Etat et ses services de sécurité, se seraient uniquement ces jihadistes prêts à passer à l’acte terroriste. Comme si la radicalisation commençait à ce stade du passage à l’acte. Comme si elle n’était pas un processus idéologique et psychologique, relativement long et très complexe, dont le passage à l’acte ne représente, en vérité, que l’aboutissement fatal.

Pour cela, il me paraît urgent de changer de paradigme, d’élargir le spectre et d’oser une analyse structurelle globale. La radicalisation n’est pas une mutation imprévisible. Au contraire, c’est une construction consciente ou inconsciente sur la base d’ingrédients idéologiques et psychologiques connus. Cette construction produit à la fois des cellules jihadistes opérationnelles – 3ème génération comme l’explique si bien Gilles Kepel dans Terreur dans l’Hexagone (Gallimard – 2015) – en détachement trompeur, prêtes à commettre l’abjecte en toute autonomie, mais aussi une armée de jihadistes réservistes, se fondant dans la masse incognito, qui les soutiennent, ne serait-ce que par la propagande complotiste. L’on ne doit pas agir uniquement en traitant les fruits amers et oublier, au passage, les branches et les racines maudites. Au lieu de s’acharner à vouloir tuer les moustiques, ne faudrait-il pas s’opérer efficacement à assécher les gîtes larvaires et les marécages ?

Dans cette construction macabre, l’islamisme ne s’appuie pas uniquement sur des leviers idéologiques, comme le contenu de « L’épître du Jihad » d’Hassan Al-Banna, ou « Jalons sur la route » de Sayyid Qotb ou le contenu de « L’appel à la résistance islamique mondiale » d’Abou Moussab al-Souri. Il sollicite d’autres leviers psychologiques issus du registre de la victimisation et souffle délibérément, et sans cesse, sur les braises de certains sentiments destructeurs comme l’humiliation, le rejet, l’exclusion, le racisme, la discrimination et surtout ladite « islamophobie ». L’objet étant de créer dans les têtes et de nourrir la rupture communautariste. Face à ce genre de manipulations, il faudrait rappeler à l’Etat ses devoirs de garantir les mêmes droits à tout un chacun et de veiller à ce que ces droits soient respectés partout pareil. Car le racisme et la discrimination ne sont hélas pas uniquement des sentiments subjectifs mais des réalités sociales et économiques exigeant une prise de conscience sociétale et des mesures étatique à la hauteur des exigences. Cela étant dit, l’islamisme se sert de ces fléaux dans sa propagande comme catalyseurs de division et de création du sentiment de l’humiliation.

Ainsi, il n’est point question de laisser aux islamistes le champ libre pour instrumentaliser ces fléaux. L’Etat sait taper sur la table pour rappeler à l’ordre certains islamistes. Encore faut-il qu’il le fasse systématiquement et prendre des mesures encore plus significatives. Certes, en février 2016, le Ministère de l’Intérieur a adressé un avertissement écrit à l’UOIF suite à l’invitation d’islamistes internationaux radicaux à son rassemblement contesté de Lille en plein état d’urgence. Mais quelques semaines plus tard, la même UOIF était invitée au Ministère de l’Intérieur, pour assister à la réunion de l’Instance de Dialogue, qui avait pour sujet : la lutte contre la radicalisation. Amar Lasfar et un autre responsable frériste ont réussi à immortaliser cette présence par un selfie à côté d’un Bernard Cazeneuve, visiblement embarrassé. Une semaine plus tard, le même Amar Lasfar prévoyait de donner une conférence intitulé « L’union dans la diversité », dans une mosquée roubaisienne, à côté du fameux imam salafiste de Brest, Rachid Abou Houdeyfa. Comment peut-on confier la lutte contre la radicalisation islamiste à des islamistes radicaux ? Comment peut-on se limiter à appeler les membres du CFCM à lutter contre le « fanatisme », comme l’a fait dernièrement le ministre de l’intérieur devant les représentants de cette instance, sachant que certains parmi ses acteurs sont des fanatiques notoires ?

Par ailleurs, l’on ne pourrait parler de lutte contre la radicalisation islamiste sans évoquer la non-cohérence française en matière de politiques étrangères. Car au-delà des déclarations officielles alarmistes et va-t-en-guerrières de certains responsables aux lendemains des attentats, le comportement de la France, depuis le départ de Jacques Chirac, manque de cohérence et nourrit indirectement le discours islamiste victimaire. En effet, comment peut-on à la fois vouloir combattre l’idéologie de la mort frérosalafiste et continuer à hypothéquer l’équilibre de la balance commerciale française, en l’assujettissant par exemple au pétrodollar de l’Arabie Saoudite, qui finance et soutient la diffusion du salafisme wahhabite et des groupes terroristes, et au pétrodollar du Qatar qui finance et soutient le salafisme des Frères musulmans et leurs milices ? Pourrait-on espérer un aggiornamento français concernant l’alignement atlantiste de la France sur les choix stratégique de l’OTAN et des USA ? Y’aurait-il (ou pas) une corrélation entre l’augmentation du risque et du nombre d’attentats, depuis quelques années, et la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN annoncé par Nicolas Sarkozy, depuis Washington, au lendemain de son élection, mettant un terme à une décision souveraine prise par Charles De Gaulle depuis plus que quarante ans ?

D’un autre côté, au lendemain des attentats de janvier 2015, Manuel Valls avait avoué l’existence de « failles » dans le domaine des renseignements. Au soir même du vendredi 9 janvier sur l’antenne BFM TV, il avait déclaré : « Il y a une faille, bien évidemment ; quand il y a dix-sept morts, c’est qu’il y a eu des failles ». Aux attentats du 13 novembre à Paris, il y a eu 130 morts et plus de 350 blessés. On a le sentiment que ces « failles » existent toujours. Dans son livre : Résistance ! (Seuil – 2016), Antoine Peillon résume les causes de ces « failles » en écoutant des sources policières et des experts en renseignement qui, unanimement, confirment que « les défaillances du renseignement intérieur sont d’abord le fruit de la destruction, en 2008, du maillage territorial assuré par les RG, lorsque ceux-ci ont été absorbés en partie par la DCRI. Plusieurs dizaines d’implantations locales des RG ont alors été fermées ». La création du SCRT (Service central de renseignement territorial) en 2014, avec peu de moyens et de coordination efficace avec la DCRI, ne semble pas pouvoir compenser le déséquilibre causé par cette « destruction » décidée par Nicolas Sarkozy.

Par l’UOIF, une littérature islamiste pro-nazis et pro-jihad

Lorsque j’avais dénoncé les invités sulfureux de l’UOIF, le 25 janvier dernier, il m’a paru surprenant que le Ministère de l’Intérieur, avec ses services de renseignement, n’avait pas agit avant. Quelques temps plus tard, l’on m’a expliqué que les propos antisémites, jihadistes et homophobes de ces islamistes, tenus en arabe, ne leurs étaient pas connus avant, même si leurs vidéos sont abondamment présents sur la toile. Ils ont fini par être déprogrammés. Mais l’UOIF a récidivé une nouvelle fois, en mai dernier, lorsqu’il avait invité à sa foire annuelle du Bourget au moins deux autres islamistes sulfureux : l’égyptien antisémite Omar Abdelkafi et le soudanais Issam Al-Bachir. Ce dernier figure parmi les signataires de l’appel au jihad armé en Syrie, lancé par une coalition de cheikhs frérosalafistes, depuis le Caire en juin 2013, quelques semaines seulement avant la chute de Mohamed Morsi. L’on connait désormais la suite tragique des événements. Encore une fois, les services de renseignement semblent ne pas avoir détecté cette énième provocation. Toutefois, sous la pression du site Ikhwan Info (lire ici et ici), l’UOIF les a déclarés « souffrants » lors de la cérémonie d’ouverture. Mais la même UOIF a assuré la diffusion de toute une littérature islamiste pronazis et pro-jihad (lire ici) souvent en langue arabe. La France étant toujours en état d’urgence et les Frères musulmans n’en ont cure.

L’autre chantier prioritaire est celui des financements étrangers. Pour une fois, l’on ne peut pas dire que les services de l’Etat ne savent rien. Toujours dans son essai Résistance ! Antoine Peillon le démontre bel et bien, chiffres, dates et détails issus des fiches du renseignement à l’appui, en particulier dans les deux chapitres « L’hydre des Frères musulmans » et « Le piège salafiste ». La question est de savoir pourquoi avec un tel niveau de connaissance des tenants et des aboutissants des circuits obscurs du financement de l’islamisme, l’on ne fait presque rien ? Pourrait-on supposer que « la diplomatie du chéquier » déjoue et neutralise les protections et impose un « laissez-faire laissez-passer » aux décideurs politiques et aux agents des administrations douanières et fiscales ? Pourrait-on hypothéquer le présent et l’avenir de la République pour espérer faire prospérer la vente d’engins militaires à des monarchies finançant le terrorisme et assurant sa logistique ? En 2012, la presse avait fait savoir que le Qatar part à l’assaut des banlieues françaises (lire ici), qu’en est-il quatre plus tard ? La montée en puissance de l’islamisme dans certains quartiers ne pourrait-elle pas trouver un début d’explication dans ces investissements et financements étrangers ? L’on pourrait mettre en difficulté l’islamisme et ses acteurs par une stricte application des règles du droit pénal et fiscal. Mais encore faut-il le décider.

Enfin, s’il y a un chantier qui mérite une attention particulière de la part de l’Etat et ses services, c’est celui de l’éducation et de la jeunesse. Il en va de notre avenir commun. On sait maintenant que « Les écoles musulmanes inquiètent le gouvernement » (Lire ici). Tant mieux ! Mais au-delà de l’inquiétude louable, il va falloir prendre des décisions courageuses pour contrôler davantage les écoles coraniques, gérés par des frérosalafistes, et durcir les conditions d’ouverture des écoles et d’établissements privés « dits » musulmans. Si la loi ne permet pas actuellement de telles actions, le législateur peut la modifier, l’amender et même en concevoir une nouvelle à la hauteur des défis. Dans le cas de l’UOIF, il serait urgent de la soumettre à une grille d’évaluation adaptée aux sectes et en tirer les conclusions pratiques qui s’imposent, notamment concernant le financement par l’Etat de certains établissements de l’enseignement privé gérés par l’UOIF. Peut-on financer l’enseignement privé d’une secte ? L’enseignement privé « musulman » a le droit d’exister comme l’enseignement privé d’autres confessions. Mais l’enseignement privé « islamiste » ne doit pas avoir droit de citer au sein de la République. Encore moins grâce à l’argent du contribuable. « Moi, Président de la République », je protégerai les enfants et la jeunesse du piège islamiste. Pour cela, « Il faut une grande politique », pour reprendre l’expression de Michel Onfray dans son livre Penser l’islam (Grasset – 2016). Car il va falloir repenser, au plus vite, l’islam apolitique, citoyen, éclairé, progressiste et non-violent au sein de la République et donner plus de moyens à tous ces citoyens musulmans, qui s’emploient à leurs dépens pour libérer la foi musulmane confisquée des jougs de l’islamisme. La République saura-t-elle leurs prêter main forte ? Sera-t-elle à la hauteur ?

Le livre de Mohamed Louizi, un témoignage, vécu de l’intérieur (dans le Nord de la France notamment), des dangers de l’islamisme. Une mise en alerte globale.