L’axe Buisson-Sarkozy : sidérante intrusion au sommet de l’Etat (documentaire France 3)

Il est des documentaires qui survolent un sujet, restent à la surface, parfois avec talent.  Et d’autres qui apportent une profondeur de champ, historique, politique et psychologique, éclairant et saisissant la réalité d’une personnalité. « Patrick Buisson, le mauvais génie », documentaire dirigé par les journalistes Ariane Chemin et Vanessa Schneider, réalisé par l’équipe de Tancrède Ramonet et de Morgane Productions, se situe clairement dans cette deuxième catégorie de documentaires. Ceux qui resteront, en mémoire : individuelle et sans doute collective, compte tenu de l’actualité du sujet traité.

Voici la bande-annonce de ce documentaire de France 3 :

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Sa première diffusion aurait donc pu mériter de ne pas être placée en toute fin de soirée au programme de France 3, ce jeudi 27 novembre. Mais peu importe : cet excellent documentaire (que l’on peut découvrir en replay sur le site de cette chaîne, qui le rediffusera d’ailleurs plusieurs fois à son antenne) éclaire le téléspectateur-citoyen, avec une haute précision, sur l’engagement et les profondes racines d’extrême droite de Patrick Buisson, personnage sulfureux , intronisé au sommet de l’Etat, cinq ans durant, par Nicolas Sarkozy comme son « hémisphère droit » à l’Elysée.

Une appartenance durable au courant maurrassien

et lepéniste, tendance antisémite

Une bonne partie du documentaire est consacré à l’appartenance, longue et durable, de cet homme cultivé au courant maurrassien d’une extrême droite traditionnaliste et lepéniste, courant qui a pour partie versé dans le racisme et l’antisémitisme à diverses périodes, y compris récentes. Cette appartenance  est mise en lumière, et en perspective, par de nombreux témoignages, et documents. Même si l’intéressé a bloqué l’accès aux archives de « sa » chaîne, Histoire, et d’autres – complices, ou simplement craintifs ? – n’ont pas autorisé l’accès aux archives de LCI (un potentiel  deuxième volet du documentaire, à l’avenir, pourra nous en donner les obscures raisons).

Cette appartenance du « mauvais génie » n’a pas été une courte « erreur de jeunesse », elle a duré de très longues années, dans les années 70 et les années 80, plus de 20 ans passées dans le militantisme actif d’une extrême droite virulente, qui n’avait d’ailleurs pas peur de s’afficher, à l’époque, comme telle : Patrick Buisson, très proche collaborateur (des années durant) de Jean-Marie Le Pen, s’est hissé à la tête d’un hebdomadaire peuplé d’idéologues xénophobes et racialistes, certains aux très nets penchants antisémites et révisionnistes – « Minute » – pour poursuivre, avec d’autres ensuite, sa grande œuvre de promotion des idées dîtes « identitaires », nom de code qui, à l’extrême droite dans les années 80 et 90, renvoyaient systématiquement à l’obsession (instrumentalisée) des origines ethniques et aux croyances religieuses : le documentaire, interrogeant intelligemment les tenants de ce courant d’extrême droite, fait ainsi la démonstration des méthodes et des réussites buissonniennes : de Bruno Mégret, ancien numéro deux du FN (« nos idées ont progressé, triomphé même » estime-t-il aujourd’hui) à Nicolas Sarkozy, qu’on ne voit pas témoigner sur celui dont il était pourtant si proche et qu’il a installé sans vergogne, en 2007, au plus haut sommet de l’Etat comme grand commanditaire occulte de sondages et, politiquement, comme « dealer de haine » (l’expression est de Georges-Marc Benamou [1]), ceci jusqu’à sa campagne, perdue, de 2012.


Minute Pétain – Patrick Buisson, le mauvais génie par france3

 

Une affaire d’écoutes clandestines. Sarkozy avait pourtant été alerté

sur les méthodes de l’ex-lepéniste

De toute cette période sarkoziste, qui reflète une grande faiblesse présidentielle vis-à-vis d’un tel personnage (et sans doute d’autres), Nicolas Sarkozy a un souvenir apparemment plus flou que Patrick Buisson lui-même. Et pour cause ! Ce tout puissant conseiller du Prince, lui, a gardé en mémoire de son enregistreur de poche et de son ordinateur personnel, toutes les conversations privées et les réunions qu’il a eues (elles furent très fréquentes et nombreuses) avec ce chef de l’Etat pour le moins imprudent. Une incroyable affaire d’écoutes clandestines, qui n’a sans doute pas dit son dernier mot. Car Patrick Buisson, on le sait, tient là, sous couvert de « documents de travail » pour son œuvre éditoriale de pseudo-historien, une redoutable bombe à retardement, à fragmentations, pouvant anéantir ce qui reste d’ambition politique pour le candidat aux Primaires ouvertes de la droite et du centre.

Nicolas Sarkozy avait pourtant été prévenu. Non seulement de la culture politique mais aussi des redoutables méthodes (qui vont avec) du personnage Buisson. L’auteur de ces lignes, en 2008, interloqué de voir l’ex-lepéniste ainsi intronisé auprès d’un Président de la République française en exercice, voyant les dérives que cela entraînait inéluctablement, avait d’ailleurs pris sa plume pour préciser, à l’hôte de l’Elysée, non seulement le parcours d’un personnage (qui n’avait jamais reconnu qu’il avait fauté dans ses années lepénistes), mais aussi ses pratiques et ses méthodes, typiquement d’extrême droite,  notamment celles que Buisson employait à la tête de Minute quand il avait été soupçonné publiquement par une partie des journalistes de sa rédaction de les mettre… sous écoutes clandestines. Méthodes de la « Stasi » est-allemande, bien pratiquées aussi à l’extrême droite de tous pays, les idéologies totalitaires se rejoignant aussi sur ce point. Méthodes dont Patrick Buisson, passé par le sas des années de « sondologues » permanent sur LCI (par le biais d’un directeur, Jean-Claude Dassier, interviewé dans ce documentaire), ne s’est manifestement jamais départi. Mais les alertes de 2008 étaient vaines. Président et conseillers – y compris ceux qui chargent aujourd’hui le même Buisson – ne voulaient pas entendre. Buisson était installé encore pour 4 ans au plus haut niveau de l’Etat !

La leçon de cette histoire ? C’est celle d’un aveuglement sarkoziste [2] autant que d’une détermination buissonnienne. Une leçon qui aussi, finalement, une morale : la vérité des hommes les plus manipulateurs et cyniques finit toujours par être connue ; et quand il s’agit de l’extrémisme, la vérité des méthodes (violentes) et des virulences (idéologiques) finit aussi, toujours, tôt ou tard, par se retourner contre leurs promoteurs. Et ces dangereux promoteurs, comme certains enregistrements, finissent par s’autodétruire.

Jean-Philippe MOINET,

fondateur et directeur de la Revue Civique,

a été Président de l’Observatoire de l’extrémisme.

Compte twitter : JP_Moinet

[1] Auteur d’un livre témoignage sur le quinquennat de Nicolas Sarkozy, « Comédie française » (Gallimard. 2014).

[2] Que je dénonçais déjà, assez isolé à l’époque, dans une tribune publiée par le journal « Le Monde », entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012 : http://revuecivique.eu/wp-content/uploads/2012/12/20120427-ump-buisson-sarkozy.jpg

Le documentaire en photos :

Patrick Buisson, pendant ses longues années dans le mouvement maurrassien-lépeniste. Son archivisme maladif était déjà connu...

Patrick Buisson, pendant ses longues années dans le mouvement maurrassien-lépeniste. Son archivisme maladif était déjà connu…

Philippe Méchet, le seul ex-sondeur (il était à la Sofres) à témoigner dans le documentaire diffusé par France 3

Philippe Méchet, le seul ex-sondeur (il était à la Sofres) à témoigner dans
le documentaire diffusé par France 3. « L’affaire des sondages de l’Elysée » est en cours…

Après le lepénisme flamboyant et virulent, la mue de Patrick Buisson, recruté par LCI en "sondologue"...

Après le lepénisme flamboyant et virulent, la mue de Patrick Buisson,
recruté par LCI (Jean-Claude Dassier) en « sondologue »… qui accentue les analyses sur les sujets « immigration-insécurité »…

Ici, Patrick Buisson exulte: avec Nicolas Sarkozy en 2005 (Jérôme Jaffré, à sa droite, Nicolas Beytout, à sa gauche), le courant va passer...

Ici, Patrick Buisson exulte : il trône (déjà) avec Nicolas Sarkozy en 2005 (Jérôme Jaffré, à
sa droite, Nicolas Beytout, à sa gauche). Avec l’actuel candidat « LR », le courant va passer…

Doc Buisson 12 Avec le Pape

Une fois intronisé à l’Elysée, l’ex-lépeniste non repenti sera un activiste des liens avec les réseaux catholiques (ici au Vatican avec le Pape), dans les courants français les plus traditionnalistes (reliés aussi avec Valeurs Actuelles et une partie de dirigeants du Figaro, issus de Valeurs Actuelles ou dans sa ligne

Le livre de Buisson sur les années d'Occupation nazie était pls que troublant. Pourtant, vue la puissance du personnage auprès du chef de l'Etat de l'époque de sa parution, de grands journaux et hebdos ont eu la critique très positive... Certaines "signatures" de presse n'ont pas été d'un grand courage...

Le livre de Buisson sur les années d’Occupation nazie était plus que troublant. Pourtant, vue la puissance du personnage auprès du chef de l’Etat de l’époque de sa parution, de grands journaux et hebdos ont eu la critique très positive… Certaines « signatures » de presse n’ont pas été d’un grand courage…

Fondateur de l'Observatoire de l'extrémisme, auteur, chroniqueur et directeur de la Revue Civique, JP Moinet a témoigné : d'une certaine solitude aussi quand, en 2008, animé par un article du Monde présentant Buisson comme "l'hémisphère droit" (expression de Sarkozy) du Président de la République, il a décidé de prendre sa plume et d'écrire au chef de l'Etat. Un ou deux conseillers de l'Elysée l'ont reçu... sans suite. Buisson était installé encore pour 4 ans au sommet de l'Etat !

Fondateur de l’Observatoire de l’extrémisme, auteur, ancien grand reporter au Figaro (période Giesbert), chroniqueur et directeur de la Revue Civique, JP Moinet a accepté volontiers de témoigner dans ce documentaire: d’une certaine solitude aussi quand, en 2008, remué par un article du Monde présentant Buisson comme « l’hémisphère droit » (expression de Sarkozy) du Président de la République, il décida de prendre sa plume et d’écrire au chef de l’Etat. Un ou deux conseillers de l’Elysée l’ont ensuite reçu… sans suite. Buisson était installé encore pour 4 ans au sommet de l’Etat !