L’avenir énergétique de l’Afrique

Entrepreneur disposant d’une expérience de 19 ans en banque d’investissement, Charlotte Aubin Kalaïdjian occupait jusqu’en 2009 la fonction de Managing Director chez Morgan Stanley, où elle a développé un portefeuille d’actifs financiers de plusieurs milliards d’euros en France et en Suisse. Elle a fondé, en 2010, GreenWish Partners, une société d’investissement spécialisée dans les infrastructures d’énergies renouvelables. Aujourd’hui, GreenWish Partners apporte son expertise à de nombreux décideurs, notamment pour l’Afrique subsaharienne, où les énergies renouvelables sont une solution économique, rapide et respectueuse de l’environnement. GreenWish construit ainsi un portefeuille d’actifs d’énergies renouvelables avec pour mission d’aider la région à réduire sa dépendance aux énergies fossiles : pour favoriser son développement durable.

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L’Afrique subsaharienne: une région de paradoxes

L’Afrique subsaharienne verra sa population doubler d’ici 2050, passant ainsi de 950 millions à 2 milliards d’habitants. Par ailleurs, le PIB de la région sera multiplié par 4 à horizon 2050, passant de 1591 milliards de dollars à 6000 milliards de dollars. Mais malgré des efforts importants engagés sur le chantier du développement et ses ressources fossiles et renouvelables, l’Afrique subsaharienne présente à la fois le taux d’électrification le plus faible et le coût de l’électricité le plus cher au monde. Cette situation de privation énergétique réduit le potentiel de croissance de la région de 1 à 2 points chaque année, selon la Banque Mondiale. A cela il faut ajouter une grande inégalité dans l’accès à l’énergie entre zones urbaines et zones rurales.

Capacités de production limitées et sous tension

Les 48 pays d’Afrique Subsaharienne, avec une population estimée à  950 millions d’habitants, possèdent une capacité électrique installée de seulement 74 GW (dont 40 GW en Afrique du Sud), égale à celle de l’Espagne pour une population 20 fois supérieure, dont une part  prépondérante fonctionnant à partir de combustibles fossiles. Le secteur de la production d’électricité est constamment sous tension, du fait de la pression démographique, avec pour conséquence des coupures intempestives d’électricité. Les infrastructures de transport et de distribution d’électricité sont très insuffisantes, faiblement connectées, vieillissantes et mal entretenues, causant des pertes électriques considérables. Seulement 75% de l’électricité produite est effectivement facturée.

Les besoins en infrastructures d’énergie sont estimés à 250GW à horizon 2030, ce qui nécessiterait un investissement annuel de 32 milliards d’euros. Objectif difficile à atteindre pour les compagnies nationales de production d’électricité, structurellement déficitaires et endettées.

L’accès à l’énergie comme condition au développement

590 millions de personnes en Afrique n’ont pas accès à l’électricité et la demande d’électricité sera multipliée par 7 à horizon 2050. Il faut distinguer néanmoins entre zones urbaines, qui présentent un taux d’électrification de 69% et zones rurales dont le taux d’électrification est de 25%. Ce « gap » s’explique, outre l’insuffisance des capacités de production par la faiblesse des revenus, la population rurale vivant avec moins de 1,6 euros par jour.

L’accès à l’énergie n’est pas explicitement mentionné dans les objectifs du millénaire des Nations Unis mais s’inscrit comme une condition indispensable pour leur atteinte. En effet, comment serait-il possible de réduire l’extrême pauvreté, assurer l’éducation en primaire pour tous ou encore améliorer la santé maternelle et infantile sans accès à l’électricité ? La Zambie est souvent citée comme un des pays d’Afrique subsaharienne ayant mis en place une politique d’électrification à la fois rurale et urbaine réussie. Le troisième plan zambien de développement national (1978–1983) a eu pour effet l’augmentation de la production agricole, la promotion d’industries rurales, la réduction de l’exode rural et l’amélioration générale des conditions de vie et d’emploi. Il a également permis de limiter la déforestation.

Repenser la stratégie énergétique de l’Afrique

L’enjeu de l’accès à l’énergie est également crucial pour les entreprises du secteur privé. Les déficiences dans l’approvisionnement en énergie en Afrique paralysent les entreprises 56 jours par an contre 1 jour sur 10 ans aux États-Unis.  Elles représentent jusqu’à 16% des recettes annuelles pour les industriels non dotés d’équipements d’appoint. Les entreprises fortes consommatrices d’électricité (cimentiers et miniers) sont ainsi contraintes à auto satisfaire leurs besoins, souvent à partir de générateurs au fuel, à un coût économique et environnemental exorbitant.

Le coût de génération élevé rend l’énergie électrique inaccessible à une majorité de la  population et contraint les États Africains à subventionner massivement le prix de distribution de l’électricité, freinant leur potentiel d’investissement, dans l’extension et la maintenance de leurs installations. Le tarif effectif de l’électricité en Afrique subsaharienne est de 0.11 euros/kWh, alors que les coûts de production sont de l’ordre de 0.14 euros/kWh et jusqu’à 0.24 euros/kWh. Ce constat cache cependant de fortes disparités au sein des pays d’Afrique subsaharienne. Ainsi, la Zambie et l’Afrique du Sud bénéficient des tarifs les plus bas au monde alors que le prix de l’électricité à Djibouti, en Gambie et au Gabon est parmi les plus élevés.

L’insoutenabilité économique et environnementale du mix énergétique actuel

43% de l ‘énergie électrique en Afrique subsaharienne est produite à partir de sources thermiques (fuel, gaz naturel) coûteuses et dont le prix est volatile.

A titre d ‘exemple, les importations de produits pétroliers représentent 17% des importations du Sénégal, la Senelec, société nationale d’électricité y consacre 800 millions de FCFA (1,2 millions d’euros) quotidiens pour le fonctionnement de ses centrales. Ces importations de fuel ainsi que les subventions sur le prix de distribution pèsent lourdement sur les budgets des États ainsi que leurs balances des paiements et entretiennent la dépendance au soutien multilatéral.

Par ailleurs, chaque kWh produit entraîne l’émission de 0,9 tonne de CO2 à partir de fuel et 0,88 tonne à partir de gaz naturel. Si aucune action n ‘est prise eu égard à l’augmentation rapide de la population, la dynamique de croissance de l’économie et la faiblesse de la consommation par habitant actuelle, l’empreinte environnementale de la production d’électricité en Afrique Subsaharienne atteindra des niveaux record à horizon 2050.

Repenser la stratégie énergétique de l’Afrique subsaharienne en intégrant les énergies renouvelables

Le difficile chantier de l’électrification de l’Afrique subsaharienne passe donc par des solutions efficientes, économiques, respectueuses de l’environnement, flexibles et adaptées aux besoins industriels, urbains et ruraux.L’Afrique subsaharienne est dotée de ressources solaires, hydroélectriques, géothermiques et éoliennes abondantes. L’énergie solaire est la plus abondamment disponible avec 85% de la surface de la région recevant une irradiation annuelle supérieure à 2000 kWh/m2. Le potentiel solaire photovoltaïque en Afrique Subsaharienne est estimé à 5477 GW.

La production d’énergie photovoltaïque offre la plus grande flexibilité : elle peut être décentralisée contrairement aux systèmes de production traditionnels qui sont souvent éloignés des centres de consommation et génèrent des coûts de transport importants. La technologie photovoltaïque est la plus facile à implémenter. Elle permet également une montée en puissance progressive par réplication et extension des centrales solaires en fonction des besoins et de la capacité des réseaux à intégrer de nouvelles capacités de génération. Elle peut alimenter à la fois le réseau électrique et des réseaux autonomes d’industriels ou de particuliers. Cette flexibilité ouvre de gigantesques perspectives pour l’électrification des zones rurales en Afrique subsaharienne, zones dans lesquelles le substitut privilégié pour s’éclairer reste la lampe à kérosène polluante et présentant des risques pour la santé et d’incendie.

Le prix des modules photovoltaïques a connu une chute vertigineuse de 50% ces 3 dernières années rendant la technologie solaire photovoltaïque la plus compétitive avec un coût de génération 20 à 40% inférieur au coût du mix énergétique actuel selon les pays.

Les installations solaires offrent également la possibilité d’approvisionner en site isolé les industriels consommateurs d’électricité tel le secteur minier ou cimentier, généralement totalement approvisionné par des installations au fuel. Leur budget énergie peut représenter jusqu’à 50% de leurs charges totales. L’implémentation de solutions solaires permet ainsi de substituer une partie de leur approvisionnement en énergie fossile, avec un impact favorable sur leur budget et leur empreinte environnementale. Sur sa durée de vie, de la fabrication des composants à son démantèlement, une centrale photovoltaïque rejette 44 g de CO2/kWh contre 281g CO2/kWh pour une centrale au fuel.

L’implication croissante des acteurs

Tirée par les succès marocains et sud africains, l’Afrique subsaharienne est entrée dans une dynamique de promotion des énergies renouvelables. En 2005, seule l’Algérie s’était engagée en faveur de la promotion des énergies renouvelables. Aujourd’hui, 33 pays sur les 48 du continent ont initié des mesures concrètes. L’Union Africaine s’est fixée pour objectif de construire 600MW de projets solaires à l’horizon 2020 et d’électrifier 100 millions d’Africains d’une source d’énergie respectueuse de l’environnement. Les pays de l’Afrique de l’Ouest ont lancé en 2010 le Centre Régional pour les Énergies Renouvelables et l’Efficacité Énergétique (CEREEC) de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) afin de coordonner, appuyer et cofinancer les initiatives en faveur des énergies Renouvelables dans les pays membres de même que la SABER initiée par la BOAD. Les banques de développement africaines et internationales consacrent des budgets colossaux pour le financement de ces infrastructures d‘énergies renouvelables à travers le continent. Enfin, le secteur privé africain et international est aujourd’hui très actif sur le développement de projets solaires en financement privé se substituant aux états moyennant un contrat de rachat de l’électricité avec les sociétés nationales d’électricité.

L’exemple du Mali

Le Mali a triplé son PIB sur la dernière décennie, passé de 1,96 milliards d’euros en 2000 à 7,81 milliards d’euros en 2009. Le pays reste cependant l’un des plus pauvres au monde classé à la 171 ème place sur 183 pays.

La République du Mali dispose d’une capacité électrique de 440 MW composée à 70% de source thermique et 30% de source hydroélectrique. Ce mix énergétique est ainsi fortement dépendant des prix du pétrole sur le marché international et positionne le Mali parmi les coûts de génération les plus élevés d’Afrique entre 0,265 et 0,314 euros/kWh.Le faible taux d’électrification de 27,1% (2010) s’explique non seulement par la grande pauvreté qui sévit dans le pays mais également par l’étendue du territoire (2 fois la France) dont l’électrification entraînerait des coûts majeurs en infrastructures de transport et de stockage.

La production d’électricité provient à 55% de la société nationale d’électricité EDM (Electricité du Mali) et à 45% de producteurs indépendants. La capacité installée sur le réseau de la société d’électricité du Mali (EDM) couvre à peine la moitié de la demande actuelle d’électricité. Un énorme potentiel énergétique

Le pays dispose d’un énorme potentiel en ressources énergétiques notamment solaire. L’irradiation moyenne sur le territoire Malien est estimée à 5-7 kWh/m2 par jour, au dessus de la moyenne subsaharienne qui se situe à 4-5 kWh/m2. De plus la durée d’ensoleillement est de 7 à 10 heures par jour. Plusieurs initiatives ont été mises en place par le gouvernement malien en faveur des énergies renouvelables,notamment la Stratégie Nationale pour le Développement des Energies Renouvelables, adoptée en 2006 dont l’objectif est l’augmentation de part des énergies renouvelables dans le mix énergétique du pays de 10% à horizon 2015. Par ailleurs, Le Fonds d’Electrification Rurale, mis en place en Mai 2005 cofinance les études de faisabilité et des investissements pour l’électrification rurale. Cette stratégie porte déjà ses fruits, plusieurs projets solaires développés et financés par le secteur privé de capacité entre 30 et 50MW bénéficiant d’un contrat d’achat avec EDM d’une durée de 28 ans verront bientôt le jour au Mali.

Charlotte AUBIN KALAÏDJIAN,

Fondatrice de GreenWish Partners