L’analyse des réseaux criminels russes, qui vise l’Europe (par ECFR)

Aujourd’hui, le crime organisé russe serait responsable d’environ un tiers de l’héroïne qui circule en Europe et d’une grande partie des importations d’armes illégales. Tel est le verdict de Mark Galeotti, chercheur à l’European Council on Foreign Relations, think-tank européen. Les organisations criminelles prennent différentes formes, dans différents pays, appuyant directement ou indirectement de nombreux gangs locaux européens. Bien que la police européenne essaie de les poursuivre, souligne cet auteur, elle est incapable de lutter contre ce fléau car la grille de compréhension de ces gangs est obsolète. Décryptage. 

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Ce qui rend le crime organisé russe, même s’il n’est pas étatique, aussi difficile à appréhender provient notamment du fait qu’il développe une relation fluide avec les appareils de sécurité du Kremlin, les gangs étant en contact avec divers services de renseignement et de sécurité russe. Ces réseaux criminels auraient déjà été exploités par le Kremlin, affirme cet expert, à des fins de renseignement et comme instruments d’influence politique. Une question devenue d’autant plus importante aujourd’hui que la Russie s’attaque ouvertement à l’unité européenne et à l’efficacité de la politique occidentale.

Mais qu’est-ce que le crime organisé russe ? Mark Galeotti le définit non par rapport à l’ethnicité ou la langue, mais par sa relation avec les objectifs de la Russie. Par exemple, certains gangs géorgiens qui ont été découverts dans des opérations en France, en Italie et aux Pays Bas maintiennent des liens forts avec la Russie. Artur Yuzbashev, un criminel géorgien arrêté en France en 2013 pour son rôle dans un réseau de cambriolage international, avait un garde du corps tchétchène et avait été arrêté à Moscou en 2006. Il avait alors passé deux mois de prison, en raison d’accusations liées à la possession de drogues, mais ce passage avait surtout été l’occasion d’établir des liens avec des groupes criminels russes avec lesquels il aurait maintenu le contact, après son arrivée en France en 2010.

La « Route du Nord » de multi-trafics

La « Route du Nord » illustre aussi cette thèse : environ un tiers de l’héroïne afghane qui réussit à traverser les frontières européennes arrive sur le continent grâce à cette route qui passe par la Russie, avec des flux vers l’Europe de marchandises contrefaites, de cigarettes non taxées mais aussi de migrants clandestins, d’esclaves sexuels ou encore d’ouvriers victimes de la traite provenant de Russie et de Chine. Et ce n’est pas tout : le réseau existe aussi en sens inverse car l’argent obtenu dans ces activités illicites serait transféré en Russie afin de le blanchir dans un système financier connu pour son manque de transparence. Ces opérations, et d’autres relatives au trafic de biens volés, de denrées alimentaires et d’autres articles comme des objets de luxe, sont en grande partie menées en passant par la Pologne, la Lituanie, puis la Biélorussie.

Des affiliations politiques et des liens commerciaux favorisent ainsi le développement des réseaux criminels russes en Europe. En Bulgarie, par exemple, l’intensité des relations commerciales russes (près d’un quart du PIB du pays est directe ou indirectement lié à la Russie) et le poids qui en dérive de la communauté russe sur la politique locale ont également aidé les réseaux criminels à pénétrer dans le pays. Dans d’autres pays comme la Hongrie, où le réseau d’influence russe était en train de reculer depuis 2000, des gouvernements nationaux comme celui de Viktor Orbán sont en train de mener une politique visant à attirer des investissements massifs provenant de la Russie. Ce qui permettra à ces réseaux, considère cet expert, de se redéployer sur le sol européen. Cependant, l’existence d’alliances et de relations politiques ne garantit pas toujours, avertit Galeotti, la pénétration effective de ces réseaux. Le cas italien en est très illustratif puisque même si de nombreux réseaux criminels italiens ont de forts liens commerciaux avec des gangs russes, leur installation dans le pays n’a jamais été possible.

En outre, ils existerait des preuves, selon cet expert de l’European Council on Foreign Relations, démontrant que les services russes ont développé des capacités informatiques permettant de surveiller et de pirater les communications européennes. L’accusation a été portée aussi aux Etats-Unis. De puissants réseaux de cybercriminels mettraient ainsi en œuvre des manoeuvres politiques d’influence, par exemple durant les périodes électorales, l’espionnage de masse étant une arme politique non négligeable visant à déstabiliser.

Le manque d’approche européenne commune

Face à ces dynamiques, conclut l’expert, les États membres de l’UE et ses institutions ont exprimé la nécessité de relever le défi de la criminalité organisée et transnationale. Des rapports, comme le Plan d’action du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la criminalité transnationale organisée (2016-2020), énoncent des fondements, données et éléments utiles pour la prise de décision et des mesures efficaces à ce sujet. De même que les travaux des agences de sécurité comme Europol et Eurojust. Pourtant, il est très important, avertit l’expert, de renforcer la lutte contre la criminalité organisée en général et de relever les défis spécifiques posés, selon lui, par le crime organisé russe.

Pour s’attaquer rapidement au problème, il est préconisé de cibler les structures utilisées par ces réseaux afin de blanchir des fonds financier. Une préoccupation est soulignée : l’échec des pays européens à établir des institutions véritablement efficaces et coopératives capables d’identifier les bénéficiaires ultimes de ces structures criminels et de suivre les flux d’argent. En effet, c’est aussi le manque d’approche commune européenne qui contribue à consolider les activités illicites de ces organisations criminelles et terroristes (qui peuvent être imbriquées). Cela concerne les services de police et de renseignements de tous les États membres de l’UE dans la mesure où nous nous trouvons, considère Mark Galeotti, dans une forme moderne de guerre.

A ses yeux, la campagne politique que la Russie est en train de mener pour diviser les États européens et pour démanteler l’UE constitue une forme de guerre froide incessante. Résister avec succès, conclut l’expert de l’European Council on Foreign Relations, exigera une forte prise de conscience de la part des leaders européens, une forte volonté d’action, ainsi que une mobilisation décisive de ressources nationales.

(mai 2017)

► L’analyse complète: Crimintern: How the Kremlin Uses Russia’s Criminal Networks in Europe, par Mark Galeotti de l’European Council on Foreign Relations (en anglais) :