« La géopolitique ne peut être le masque du cynisme »: Frédéric Encel, Prix du Livre géopolitique (itw vidéo)

Le Prix du Livre Géopolitique 2022 a été remis à Frédéric Encel, pour son livre « Les voix de la puissance. Penser la géopolitique du XXIème siècle » (éd Odile Jacob). Un essai qui fait oeuvre de pédagogie sur les rapports de force contemporains. Dans cette interview-vidéo accordée à La Revue Civique, réalisée dans la foulée de la réunion du Jury et de la remise de son Prix, l’essayiste souligne que « le cynisme ne peut tenir lieu de géopolitique » et que les études géopolitiques doivent au contraire intégrer « au moins une variable, morale, éthique, humaniste » qui intervient dans les prises de position, en tout cas du côté des espaces démocratiques. C’est l’une des leçons de la guerre en #Ukraine provoquée par le Kremlin, ajoute-t-il: « on peut constater la noirceur du monde, on ne doit pas s’en satisfaire ».

L’objectif, affirmé depuis des années par la France, d’une « Europe puissance » paraît à Frédéric Encel prendre une vigueur certaine, malgré les incertitudes des futurs contours d’une Europe de la Défense: « Je rends grâce au tandem Macron – Le Drian, déclare-t-il, de s’être évertué, échiné depuis cinq ans à convaincre les autres partenaires européens qu’il fallait monter en autonomie ». Et qu’il faut « accorder à l’Europe une dimension stratégique ».

Ce livre est Prix du Livre géopolitique 2022.

La Russie, Etat révisionniste qui se dit « victime » de l’Occident…

Extrait du livre, à propos de la Russie, « Etat révisionniste »: « Qu’on ne s’y trompe pas ; même exagérée et parfois fantasmée (il n’y eut guère de complot mais un réel appel des peuples européens vers l’ouest), cette représentation d’un humiliant dépeçage qui se poursuit, y compris sous couvert de relations économiques (la totalité des États est-européens ont rejoint non seulement l’UE mais l’OTAN) constitue un puissant carburant pour le nationalisme russe contemporain, et offre un indéfectible soutien au pouvoir en place au Kremlin, au moins en matière d’affaires étrangères. La Russie contemporaine est ainsi une puissance économiquement pauvre mais « riche » de son révisionnisme revanchard et on ne peut comprendre et prévoir ses coups de force qu’à cette aune. Il s’agit pour Moscou sinon de reconstituer l’empire soviétique ou de devenir ce que la Russie ne fut jamais, la première puissance mondiale – Poutine, réaliste froid et adepte de Clausewitz, n’est pas stupide – mais de stopper l’hémorragie et de reconquérir le plus de zones d’influence possibles. »

 » Prétendre que l’Europe n’aurait pas les moyens de devenir une grande puissance globale relève simplement du contresens « 

« Une chose est sûre : prétendre que l’Europe n’aurait pas les moyens de devenir une grande puissance globale relève simplement du contresens, avec la troisième masse démographique au monde – quatre cent soixante millions d’âmes – un niveau d’ingénierie et de formation parmi les trois plus élevés, une force financière très substantielle en dépit du Brexit, des États aux institutions solides et aux administrations globalement efficaces, la maîtrise du nucléaire civil pour plusieurs États, et militaire pour l’un d’eux (la France), la possession de flottes aériennes et navales redoutables pour certaines, un réseau diplomatique extrêmement dense, etc. Au fond, il conviendrait d’inverser la question et de se demander plutôt ce qui manque à l’UE pour incarner une puissance globale, si ce n’est la volonté ! » Bien sûr, les tous récents événements liés à la guerre provoquée par V Poutine en Ukraine ont mobilisé cette volonté. Même si la mise en oeuvre et les actes prendront, en matière stratégique, des mois et des années.

L’ouverture de la remise du Prix du Livre géopolitique s’est faite par le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Après l’introduction et présentation des livres « nominés » par Emilie Aubry, de la chaîne ARTE, rédactrice en chef de l’émission « Le dessous des cartes ».
Parmi les personnalités présentes, la comédienne Macha Méril et l’ancien Premier ministre, Manuel Valls.

(11/03/2022)