Fraternité en réflexion : le «Grand Pardon», un sens universel. Par Marc Knobel.

Dans la promotion des valeurs de la République, le terme de « Fraternité », qu’on retrouve aussi dans les principes fondamentaux des religions (hormis leurs intégristes, naturellement), est souvent éludé. On le considère souvent trop flou, en comparaison aux termes de Liberté et d’Egalité qui se traduisent par un arsenal juridique, protégé en France par la Constitution (et les tribunaux en cas de litige, par exemple quand il s’agit de la liberté d’expression).

Nous ouvrons néanmoins ici une réflexion d’ordre philosophique sur cette notion de Fraternité, à partir d’un texte qui traite du sens du « Pardon ». Son auteur, Marc Knobel, qui est et reste un homme engagé, essayiste, historien, directeur des Etudes du CRIF, livre à la Revue Civique ce texte élaboré à l’occasion des fêtes juives qui aboutissent au fameux « Grand Pardon ».

Son texte est une invitation, à s’investir, à être fraternel, solidaire et responsable. Ce texte renvoie aussi à l’identité (culturelle) de chacun mise en relation (et parfois en tension) avec l’identité des autres. Ce texte vise aussi à faire « vivre dans toute son amplitude, ce que Kant appelait la pensée élargie » : le « miracle de la sortie de soi « , qui est « une énigme douloureuse »…

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Marc Knobel, auteur d'ouvrages et de tribunes, notamment sur la diffusion des thèses extrémistes, racistes, antisémites et négationnistes, sur Internet. Un acteur engagé de la vie publique.

Je nous/vous demande pardon

La période de dix jours, entre le nouvel an juif, communément appelé Rosh Hashanah, et le Grand Pardon, du nom de Yom Kippour, a pour nom Techouva. Elle est consacrée à regretter les mauvaises actions et les mauvaises pensées qui ont été commises durant l’année écoulée et à demander pardon, à Dieu ainsi qu’à ses semblables, avec sincérité. Il devrait s’agir aussi de se réconcilier avec ses ennemis et de réparer les/des préjudices. Aussi, puisque l’occasion m’est donnée de demander pardon, je veux en mon/notre nom, à tous et à toutes, humblement …

Demander pardon de ne pas vouloir voir au-delà de ce que je suis, de ce que nous sommes ; de ce que je vis, de ce que nous vivons. De ne pas imaginer d’autres vies, d’autres lieux, d’autres pensées, d’autres vécus et de croire que nous serions, sommes le centre, l’épicentre, le delà et l’au-delà.

Comme si nos petites vies, nos héritages et notre culture formaient un tout. Alors, que de partout s’éveillent d’autres vies, se disent les choses, se vivent les moments, se pensent et s’aiment tant de gens que nous ne voyons pas et qui ne nous disent rien. Absolument rien.

Demander pardon de ne pas être sensible lorsque mon prochain a faim/soif/ froid. Demander pardon de ne pas me/nous lever lorsque des Hommes trainent leur carcasse, leur vie si misérable. Demander pardon de ne pas les rassurer, lorsque des gens ont peur.

Demander pardon de ne pas savoir que faire et dire devant la souffrance de ces peuples, partout et toujours.

Demander pardon de fuir le regard des autres, parce que je ne saurai, nous ne saurions nous regarder devant une glace. Demander pardon devant ce visage qui pleure, sans me/nous demander ce que je puis/nous pourrions  faire pour le/les consoler. Demander pardon parce que je n’ai pas pu aider/ nous n’avons pas pu aider cet esclave, ce « Nègre » que l’on peut fouetter et qui doit « crever », si jamais l’envie lui prend de fuir au loin. Cet autre, ailleurs.

Demander pardon d’être absent collectivement (ou presque) lorsque ce supplicié, ce condamné ne peut plus rien espérer, si ce n’est sa condamnation à mort. Sans broncher. Demander pardon devant ce déshérité, ce damné de la Terre, ce misérable d’entre les misérables, cet affamé, ce pauvre qui regarde au loin, vers l’Occident. Alors que je devrais/nous devrions hurler. Et non pas seulement offrir une petite pièce.

Demander pardon de ne pas me/nous soucier de cette victime innocente. De ne pas voir cette innocence. D’être absent, cruellement. Demander pardon de ne pas croire que nous pourrions former chaîne humaine et de solidarité, partout et toujours.

Demander pardon d’ignorer que de nos veines coulent le sang et que mon/notre sang est semblable à celui d’un autre ; que mon cœur, notre cœur, nos cœurs, battent comme n’importe quel autre cœur en ce bas monde. Qu’il n’y a aucune différence entre les fibres, en notre peau blanche, jaune et noire, et que tous les êtres humains forment une chaîne, qui devrait être solidaire, belle et aimante.

Demander pardon devant tant d’arrogance, de cupidité, de lâcheté, de petite misère, d’égoïsme petit bourgeois…

Demander pardon d’être indifférent, de ne pas savoir, de ne pas pouvoir, de ne pas vouloir, de ne pas assez dire, de ne pas comprendre, de ne pas former, de ne pas aimer, de ne pas assez aimer, de ne pas être capable de, de ne pas sentir suffisamment et ressentir toujours, de ne pas donner, de ne pas fraterniser, de ne pas…

« Prière »

Si je me dis que je ne dois plus douter de Toi. Si je me dis que c’est Toi qui a épargné mon père. Que c’est Toi qui fais tomber la pluie et donne la vie. Si je me dis que c’est Toi qui offre tant, que c’est Toi qui donne la force et l’espoir.

Alors, je te supplie de venir aux Hommes.

Il est encore tant d’abréger tant de souffrances humaines, car l’Homme vois-tu qui (Te) demande pardon, il essaie (en vain) de se corriger, d’aimer son prochain, d’avancer, de construire, de bâtir, d’aimer.

Pardon, dit-il.

C’est ainsi qu’un jour, il ne pourra même plus dire pardon.

Il sera trop tard.

Marc KNOBEL,

essayiste, historien, 

est auteur notamment de « L’internet de la haine » (Berg international éditeur)

La fête juive de Yom Kippour: un "Grand Pardon", à sens universel aussi, où chacun fait retour sur soi, ses valeurs, et ses manquements

 

 

Le Grand Pardon au cinéma: le célèbre film d'Alexandre Arcady. La mise en scène d'une forme de pardon, qui montre qu'il n'oublie pas...