France en Europe : un leadership perdu

Martin Quencez, expert en sécurité transatlantique, coopération, défense et politique étrangère française du German Marshall Fund of the United States, dévoile dans l’étude Keeping Europeans Together de l’European Council on Foreign Relations, les raisons du malaise d’une nation qui semble avoir perdu sa capacité de négociation au sein d’une UE à la dérive. Il préconise une France ouverte et plus déterminée à peser en Europe pour la faire évoluer.

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En tant que pays fondateur de l’Union européenne, la France a toujours ressenti un fort sens de responsabilité envers le projet européen, explique Martin Quencez. Traditionnellement, les objectifs fondamentaux de l’intégration européenne (à savoir, la promotion de la paix et le renforcement de la croissance économique) ont largement été assimilés par les élites françaises depuis la signature du Traité de Rome en 1957. Pourtant, 60 ans après, analyse l’auteur, l’attitude de la France envers le « rêve européen » est devenu plus complexe et le rôle de la France en Europe a été remis en question par ses voisins mais aussi par les Français. Au-delà des problèmes structurels bien connus (stagnation économique et conflits sociaux), ce malaise pourrait être expliqué par de récurrents malentendus entre les Français et leurs partenaires européens.

Les défis du leadership français

Le commerce, l’industrie de la défense, les secteurs agricole et du tourisme … ils jouent tous un rôle clé dans le maintien de l’engagement français dans le développement de l’UE. Outre ses intérêts économiques, il y a des éléments favorisant la cohésion et la construction européenne qui sont bien ancrés dans l’idée culturelle et historique de la France. À l’heure actuelle, les élites françaises sont plutôt frustrées que cet engagement n’ait pas été plus largement reconnu par aucune nation européenne. Cette frustration se renforce en raison des deux défis stratégiques auxquels la France doit faire face aujourd’hui.

Premièrement, explique Martin Quencez, l’hégémonie de l’Allemagne en Europe remet en question la capacité de la France à peser dans le processus de prise de décision au sein des institutions européennes. La France, en effet, s’est toujours considérée comme un pont entre le monde méditerranéen et l’Europe continentale. Cette idée serait toujours valable si l’écart économique entre Paris et Berlin n’avait pas doublé depuis 1990. Ainsi, explique cet auteur, aujourd’hui le couple franco-allemand serait devenu profondément déséquilibré et aucune puissance ne serait en mesure de contester le leadership allemand au sein de l’UE. Retrouver la puissance économique serait donc un objectif primordial pour la France si elle compte renforcer son influence politique comme autrefois.

Deuxièmement, la France, avec le Royaume-Uni, a toujours joué un rôle de premier rang en matière de sécurité en assumant des responsabilités en Europe. Les passés coloniaux des deux pays leur ont donné une vision globale qui est unique au sein du continent. Pourtant, le Brexit et ses implications, loin de renforcer le poids de la France dans ce domaine, soutient l’auteur, pourrait isoler la France face à ses partenaires européens. Il est vrai que les dirigeants politiques français ont souvent regretté le manque de soutien apporté par d’autres nations européennes lorsque les troupes françaises ont été déployées dans la région du Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans le Sahel. L’utilisation de l’article 42.7 du Traité de Lisbonne après les attentats terroristes à Paris en novembre 2015 et, aujourd’hui, l’initiative française sur le processus de paix au Moyen-Orient sont deux exemples qui illustrent la volonté française de forcer les autres États membres à s’engager davantage dans les questions de politique étrangère et de sécurité, essentiels pour l’Europe dans son ensemble.

La responsabilité française

L’affaiblissement du rôle français ne doit pas être seulement attribué à l’incompréhension des autres pays européens : la France, affirme Martin Quencez, est aussi responsable. En fait, Paris a été souvent critiquée ces dernières années, affirme l’auteur, car elle semble avoir confondu le leadership avec l’unilatéralisme. Par exemple, explique Martin Quencez, les opérations militaires en 2013 au Mali, même si elles ont été célébrées ex post par la majorité des États-membres, ont pris par surprise la quasi totalité des pays européens, démontrant que la France avait peu d’intérêt (ou de confiance) dans le long processus diplomatique nécessaire dans l’UE pour construire une coalition. En outre, le silence français sur la question de la crise des réfugiés a endommagé la légitimité de ses demandes de soutien dans d’autres domaines. Dans une certaine mesure, analyse l’auteur, la tradition gaulliste explique comment la France aperçoit l’UE, à la fois parmi les élites et les citoyens, car selon cette vision, la coopération européenne serait utile dans la mesure où elle sert comme véhicule des ambitions mondiales de la France. Faudrait-il penser autrement ?, semble-t-il suggérer.

Le leadership français n’a donc pas été réduit en raison d’un soi-disant manque d’engagement du pays dans le projet européen (ce qui n’a jamais été le cas) mais plutôt parce que la France n’est plus capable de réunir ses partenaires autour des besoins communs ; ainsi apparaît-elle isolée sur certaines questions. Sa priorité doit donc être d’améliorer sa communication à Bruxelles et favoriser la confiance entre ses partenaires européens. De ce point de vue, une croissance économique soutenue et la réduction des tensions sociales seront, affirme Quencez, cruciales pour renforcer la crédibilité de la France au niveau européen et sa propre communication.

Il y a cependant des raisons pour l’espoir : le débat national en France se concentre sur « quelle Europe » l’on veut, plutôt que sur la question « plus ou moins d’Europe », ce qui démontre que le principe de la solidarité européenne n’est pas remis en question. La France reste une société qui n’a pas renoncé à l’idée de la coopération européenne ; il faut seulement donc qu’elle retrouve sa place au sein du projet commun.

Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ

(octobre 2016)

► L’analyse complète (en anglais Keeping Europeans Together)

► L’Europe va-t-elle réussir sa rentrée ? (analyse de Jean-Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman)