France et les chrétiens d’Orient : une problématique devenue aussi diplomatique

La cause et tragédie des chrétiens d’Orient est souvent sous-estimée, en Europe, quant à son importance du point de vue humanitaire, sécuritaire et géopolitique. Dans cet article, rédigé par l’historien et chercheur Marc Knobel, directeur des Etudes du CRIF, pour la Revue Civique, cet auteur attire l’attention sur la première grande conférence internationale (qui se tenait à Paris le 8/09/15), alors que les fanatiques criminels de Daesh continuent de massacrer, et d’enrôler, au Proche Orient et ailleurs. Opportune mise en perspective d’une problématique essentielle, à haute dimension diplomatique aussi.

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Le 8 septembre 2015, le Ministère des affaires étrangères organise à Paris une conférence internationale pour répondre à l’appel à l’aide des minorités syriennes et irakiennes.  Au moment où les marchés internationaux dévissent et les bourses mondiales subissent de très fortes chutes ; au moment les préoccupations géopolitiques et diplomatiques sont si nombreuses, il est important que la France continue de se préoccuper du sort des chrétiens d’Orient. Il appartient à la France, probablement, de jouer un rôle éminent en la matière et de tenter de sortir l’Europe de son inertie. L’enjeu est donc de taille pour la diplomatie française.

Rappel des faits

Première à s’être mobilisée sur le dossier des chrétiens d’Orient après la chute de Qaraqosh en août 2014, la France prit l’initiative. Déjà, Laurent Fabius et Bernard Cazeneuve (28 juillet 2014) expliquent que la France vient en aide aux déplacés qui fuient les menaces de l’Etat islamique et se sont réfugiés au Kurdistan : « La France est prête, s’ils le souhaitent, à en favoriser l’accueil au titre de l’asile. Nous avons débloqué, une aide humanitaire exceptionnelle pour leur porter assistance. La France continuera de mobiliser dans les prochains jours la communauté internationale pour que soit assurée la protection de ces populations… » Ce que la France fit, mais il faudra attendre quelques mois pour qu’une initiative diplomatique soit proposée.

En visite officielle à Rabat, le 9 mars 2015, le Ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, appelle la communauté internationale à se mobiliser pour défendre les chrétiens d’Orient. « J’ai décidé de convoquer le Conseil de sécurité des Nations Unies … pour une réunion qui sera consacrée à la situation des chrétiens d’Orient et des autres minorités », annonce le chef de la diplomatie française, lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue marocain, Salaheddine Mezouar. Quelques jours plus tard, le ministre commente cette initiative, dans une interview exclusive à La Croix (27 mars 2015)[1].

En premier lieu, Laurent Fabius souligne être « fidèle à la tradition » de la France depuis François 1er, en mobilisant la communauté internationale en faveur des chrétiens d’Orient, « en train d’être éradiqués ». Le Ministre précise que la France saisit le Conseil de sécurité sur la question : « Les chrétiens d’Orient sont en train d’être éradiqués. Compte tenu de l’extrême gravité de la situation, nous voulons poser un geste fort. Nous présidons le Conseil de sécurité, nous avons donc décidé de le convoquer sur ce sujet. C’est une première. J’espère que la Charte d’action que nous allons proposer sera une contribution utile. »

Selon le Ministre, la Charte comporte quatre volets :

Le premier volet est humanitaire afin de ne pas prendre seulement en compte les déplacés et les réfugiés, mais de permettre également leur retour.

Deuxième volet est sécuritaire : la coalition, les forces irakiennes et d’autres doivent pouvoir assurer leur sécurité aux minorités pourchassées.

L’aspect politique. En Irak comme en Syrie, les États doivent assurer une place satisfaisante à chacune des communautés qui les composent.

-Enfin, dernier volet, la lutte contre l’impunité : la France souhaite que le Conseil de sécurité saisisse la Cour Pénale Internationale pour les crimes commis.

Enfants, femmes, vieillards... dans la communauté des Chrétiens qu'ils trouvent sur leur chemin, les djihadistes privilégient les cibles faciles. Cruauté contre l'Humanité.

A première vue, il y a dans cette charte -ainsi exposée par le Ministre- une certaine cohérence. Il n’est pas possible d’ignorer le volet humanitaire. L’aspect politique est essentiel, il comporte de grands enjeux et de nombreuses problématiques. Et dans le dernier volet, le Ministre appelle justement à lutter contre l’impunité, suggérant que le Conseil saisisse la CPI, compétente pour les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité.

Justement, s’adressant au Conseil de sécurité qui tient une réunion pour la première fois consacrée à ce thème, Laurent Fabius appelle la communauté internationale à tout faire pour permettre le retour des minorités du Moyen-Orient.[2] « Je vais parler clair : au Moyen-Orient, nous faisons face à une entreprise barbare et systématique d’éradication ethnique et religieuse. Les musulmans sont, par leur nombre, les premières victimes des djihado-terroristes mais les communautés non musulmanes constituent des cibles privilégiées. Elles incarnent cette diversité que Daech veut faire disparaître. Les Chrétiens, les Yézidis, les Turkmènes, les Kurdes, les Shabaks – tous sont menacés par ce que j’appellerai le triangle de l’horreur : l’exil forcé, l’asservissement, la mort.[3] »

Nous le voyons ici, la France se positionne donc, alors que l’UE est absente. Interrogé sur ce point, Laurent Fabius répond : « En langage diplomatique, je dirais que dans ce domaine l’Union européenne a encore une marge de progression. En langage plus direct, qu’elle se montre malheureusement parfois frileuse. La France est-elle isolée ? Je crois plutôt qu’elle montre le chemin.[4] »

Soit. Mais, la France pourrait-elle aller plus loin ? Par exemple, militairement ? L’envisage-t-elle ? Le Ministre est catégorique : « Les dernières décennies nous ont montré que les solutions militaires imposées depuis l’extérieur ne fonctionnent pas. En outre, la France ne peut pas intervenir partout, ce n’est pas notre conception politique. Notre objectif constant, c’est la sécurité et la paix[5]. »

Si l’initiative de la France fut saluée, de nombreux observateurs estimèrent qu’elle restait  symbolique. Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon a néanmoins annoncé la mise en place d’un groupe de « sages » pour veiller à l’application de cette charte.

Comment rebondir alors ?

C’est justement l’enjeu de la conférence internationale de Paris, présidée par le Ministre des affaires étrangères, prévue le 8 septembre 2015. Une conférence qui est destinée à arrêter des mesures pour venir en aide aux minorités d’Orient persécutées.

Cette fois, trois volets sont au programme (et non quatre) et seront exposés devant une soixantaine de pays. Le premier, humanitaire, vise à adopter des mesures pour apporter une aide d’urgence aux déplacés à court terme et, à long terme et favoriser leur retour dans des conditions acceptables. Le deuxième volet est pénal et portera sur la poursuite à la CPI des responsables des persécutions. Le dernier volet, politique, a pour but d’engager les acteurs présents à un respect du pluralisme ethnique et religieux.

Cette conférence devrait se conclure avec la constitution d’un « plan de Paris » destiné à permettre à chaque participant de mettre en œuvre les décisions adoptées.

Admettons.

Ultime question : n’est-il pas trop tard néanmoins, puisque les chrétiens d’Orient fuient ou sont massacrés ?

Marc KNOBEL, historien, auteur,

directeur des Etudes du CRIF.



[1] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/afrique-du-nord-moyen-orient/evenements/article/la-protection-des-chretiens-d

[2] Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, préside à New York un débat du conseil de sécurité des Nations Unies sur les victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient.

[3] Voir à ce sujet : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/la-france-a-l-onu/evenements-et-actualites-lies-aux-nations-unies/presidence-francaise-du-conseil-de/presidence-francaise-du-conseil-de-23951/article/reunion-ministerielle-du-conseil

[4] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/afrique-du-nord-moyen-orient/evenements/article/la-protection-des-chretiens-d

[5] Id.

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Parfois beaucoup trop d'indifférence, à propos de la tragédie subie par les Chrétiens d'Orient, persécutés et pris pour cibles par Daesh et les islamistes "fous de Dieu" au Proche Orient

 

L'accueil de l'étranger, l'un des fondements des religions, du christianisme en particulier. Un principe à rappeler, même - ou surtout - quand des replis xénophobes peuvent traverser les opinions publiques