Renforcer l’Europe sociale pour rétablir la confiance des Européens

L’Institut Jacques Delors, en collaboration avec le Ministère luxembourgeois du Travail, de l’Emploi, de l’Économie sociale solidaire, a présenté (mi-février 2016) un document de 124 pages proposant des mesures concrètes pour concilier les objectifs sociaux et macroéconomiques de l’Union européenne. C’est seulement de cette façon, estime le rapport, que l’Union pourra rétablir la confiance des Européens.

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« La force de l’Europe, ce sont ses citoyens, une force que nous devons préserver ». Voici les mots prononcés par Jacques Delors dans le rapport Un nouvel élan pour l’Europe sociale, rédigé par David Rinaldi. Le document s’inscrit dans le cadre d’un projet mené par l’Institut Jacques Delors avec le Ministère luxembourgeois du Travail, de l’Emploi, de l’Économie sociale et solidaire. Ensemble, ils ont réuni plusieurs hommes politiques de haut niveau, des ministres, des chercheurs et des partenaires sociaux, dont la Commissaire européenne pour l’Emploi, les Affaires sociales, les Compétences et la Mobilité professionnelle, Mme Marianne Thyssen. Objectif : tracer les voies possibles pour avancer sur le champ social dans les prochains mois en Europe.

Le rapport part d’un postulat : le message et les mesures émanant de l’Europe doivent changer car, se concentrant sur les questions macroéconomiques et budgétaires, écartant celles sur le bien-être et le progrès social, le projet européen perd le soutien des citoyens. Dans un contexte de divergences entre Etats-membres, d’exclusion sociale, de chômage de longue durée et de montée de l’euroscepticisme, autant de risques « réels » de désintégration européenne explique le document, seule l’Europe sociale pourrait promouvoir l’identité et la citoyenneté européennes puisque les bénéfices seraient partagés : un élan vigoureux en faveur du capital humain et des investissements sociaux permettrait de stimuler la croissance économique, d’améliorer la compétitivité et l’innovation, de favoriser la justice sociale et l’inclusion en réduisant les inégalités.

« Après les pompiers », écrivait Jacques Delors faisant référence aux efforts réalisés pour faire face à la crise financière, « l’Europe attend les architectes ». Le document n’appelle en aucun cas à transférer la politique sociale des mains des États membres à celles de l’Union : il évoque plutôt une meilleure coordination et, selon cette analyse, les avantages sociaux seraient des avantages économiques dans la mesure où ils permettraient d’améliorer la productivité de la main-d’œuvre et auraient des effets positifs sur les finances publiques, en diminuant la demande de protection sociale. Le rapport est pourtant très clair : le renforcement de la convergence des politiques sociales ne devrait pas se limiter à la zone euro ; toute l’Europe devrait être solidaire.

Le document, qui vise à susciter le débat, propose trois grands objectifs où s’insèrent des mesures concrètes pour parvenir à une Europe centrée sur ses citoyens. En voici les grandes lignes.

Penser au long terme : investir dans le capital humain

Les citoyens sont ceux qui « font l’économie et […] [ceux] qui innovent, créent, travaillent et dirigent les entreprises ». Si l’UE a établi l’objectif de promouvoir le capital humain dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, elle a lancé un paquet « investissements sociaux » qui demeure non contraignant. Le document préconise un véritable pacte stratégique centré sur les citoyens, à l’instar du plan d’action sur les marchés des capitaux ou du Fonds européen pour les investissements stratégiques (le FEIS), tourné vers l’avenir et visant à résoudre le problème des 23 millions de chômeurs en Europe. Ce pacte permettrait, affirme-t-il, d’attirer des investissements privés provenant de l’extérieur de l’UE.

Le rapport souligne à plusieurs reprises la valeur économique et productive des politiques sociales telles que « l’activation » des chômeurs, les services de la petite enfance et la formation tout au long de la vie. Pourtant, dans plusieurs pays européens au cours des dernières années, il s’est produit une réduction des budgets consacrés à l’Éducation, ce qui a aggravé les divergences. Pour l’Institut Jacques Delors, il est essentiel d’intégrer l’Éducation dans le semestre européen (le cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires au sein de l’UE) à travers la présence des ministres nationaux chargés de ce domaine. De cette façon, l’Union pourrait envisager des recommandations par pays qui accordent la priorité à la création de capital humain. Finalement, l’Institut préconise une réforme du pacte de stabilité et de croissance afin que les investissements sociaux ne soient pas comptabilisés dans l’évaluation du déficit budgétaire, comme c’est déjà le cas pour les dépenses consacrées à des projets cofinancés et le FEIS.

Une mobilité de la main d’œuvre plus équitable et plus efficace

Pour Rinaldi, la mobilité présente des avantages pour les Européens, qui peuvent progresser sur les plans culturels et professionnels, et pour l’économie de l’Union, en jouant un rôle de stabilisateur. Une mobilité qui, de nos jours, se heurte à la variété de systèmes de sécurité sociale et de qualifications. Les hommes politiques, en effet, adoptent souvent une position dénigrant la mobilité. Certes, le risque d’exode des jeunes est probablement la principale inquiétude des pays d’origine mais l’image négative est aussi perceptible dans les pays d’accueil, qui craignent le risque d’une compétition sociale. C’est la raison pour laquelle Jacques Delors est favorable à la création d’une inspection du travail européenne, à l’amélioration de la reconnaissance automatique des diplômes et à l’application de la directive sur le détachement des travailleurs.

Il faudrait aussi mettre l’accent sur l’équité, constate l’institut. Pour cela, les autorités devraient veiller à éviter une flexibilisation excessive qui pourrait entraîner un nivellement par le bas et affaiblir les normes sociales européennes. De même, l’Institut estime souhaitable de mettre sur pieds un programme de mobilité Erasmus Pro d’apprentissage pour les jeunes Européens. L’UE pourrait ainsi proposer chaque année 200 000 apprentissages d’une durée de deux ans sur tout le territoire européen.

 Rétablir la convergence socio-économique

La dimension sociale est « essentielle » pour la survie de la zone euro, défend ainsi Jacques Delors. Elle permettrait de renforcer la légitimité et la durabilité de l’Union économique et monétaire (UEM) et de l’UE dans son ensemble. Le rapport soutient la création d’un outil anticyclique automatique, fondé sur un système de réciprocité commun et empêchant l’intensification des disparités entre les résultats économiques et sociaux des États membres. Avant tout, pourtant, il est nécessaire de trouver les moyens de donner plus de marge de manœuvre aux États membres qui souffrent de déséquilibres sociaux et économiques excessifs.

Puisque les propositions ne visent pas à créer un grand système de protection sociale à échelle européenne, mais plutôt à assurer le bon fonctionnement des vingt-huit systèmes nationaux pour favoriser une convergence économique ascendante, l’UE devrait se limiter à coordonner deux niveaux : dans la révision des normes sociales en facilitant le dialogue entre les institutions nationales de ce domaine ; dans le contrôle des décisions de l’Union, en faisant en sorte que l’assainissement budgétaire et les recommandations par pays ne compromettent pas la cohésion sociale dans l’UE. À cette fin, il serait souhaitable d’intégrer l’Europe sociale dans l’élaboration des politiques de l’UE à tous les niveaux, en incluant une analyse de l’impact social de chaque mesure.

Un rapport pour l’avenir

L’Institut Jacques Delors met l’accent sur de nouvelles perspectives visant à consolider notre présent commun en Europe et construire un avenir plus stable et plus prospère. Selon Rinaldi, l’intention est de susciter un débat et non d’imposer des propositions. Le ministre luxembourgeois du Travail, M. Schmit, prévoit d’entamer un processus de réflexion au sein du Conseil européen et des autres institutions européennes pour évaluer les possibilités de réforme.

Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ

(février 2016)

 

Pour aller plus loin :

Un nouvel élan pour l’Europe sociale, le rapport de l’Institut Jacques Delors, par David RINALDI (04/02/2016) 

Un contrat social pour l’Europe : priorités et pistes d’action, une note d’analyse du Commissariat général à la stratégie et à la prospective du Premier Ministre français, par Marine BOISSON-COHEN et Bruno PALIER (décembre 2014) 

La réalité sociale de l’Europe sortant de la crise, par Patrick DIAMOND, Roger LIDDLE et Daniel SAGE, de la Fondation européennes d’études progressistes (en anglais The Social Reality of Europe After the Crisis, 16/02/16)

►La mobilité du travail dans la zone euro : remède ou fléau ? Par Anna AUF DEM BRINKE et Paul-Jasper DITTRICH, article en anglais de « L’Institut Jacques Delors : Notre Europe » , 01/03/16