La Fondation allemande Friedrich Ebert a publié (en anglais) une étude d’opinion sur les attentes des Européens en matière d’intégration et de coopération européennes. La photographie présentée sur l’état d’esprit des citoyens européens (de huit états membres) est contrastée. Tout n’est pas négatif pour l’Union européenne.
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L’intensité avec laquelle la crise a frappé l’Europe diffère de pays en pays. Aujourd’hui, du point de vue économique, trois grandes familles sont apparues sur notre continent. D’abord, il y a des pays qui, comme l’Allemagne, la Suède, le Danemark ou le Luxembourg, se sont stabilisés rapidement. Juste derrière se trouvent tous ceux qui sont dans la voie du redressement économique, comme le Royaume-Uni, l’Autriche et la Pologne. En troisième lieu, on retrouve les pays avec qui la récession a été particulièrement dure : l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et, quasi en faillite, la Grèce. Deux pays subissant une stagnation économique prolongée, la France et l’Italie restent inclassables.
Les difficultés économiques des dernières années ont provoqué de forts changements sur la scène politique européenne. La Fondation allemande Friedrich Ebert a publié (février 2016) le sondage « The European Union Facing Massive Challenges – What are Citizens’ Expectations and Concerns? » afin de comprendre quels sont les choix, les attentes et les peurs des Européens relatifs à l’avenir du projet commun. Les huit pays sélectionnés l’ont été en tenant compte de leur représentativité : quatre pays fondateurs (l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays Bas) ; deux pays occidentaux du sud et du nord ayant rejoint l’UE plus tard (l’Espagne et la Suède) ; et deux appartenant à l’Europe centrale (la République Tchèque et la Slovaquie). Sur ces pays nommés, trois sont en bonne santé économique (l’Allemagne, la Suède et les Pays Bas) ; trois sont dans l’impasse (la France, l’Italie et l’Espagne) ; et deux se trouvent dans une situation intermédiaire (la République Tchèque et la Slovaquie). Voici les principaux résultats de l’étude.
Les inquiétudes des Européens
Malgré la crise, près des deux tiers des personnes sondées se sont décrites comme faisant partie de la classe moyenne avec peu de variations par pays. Les deux exceptions sont l’Italie et l’Espagne, où deux fois plus de citoyens considèrent qu’ils appartiennent aux couches sociales les moins favorisées.
Les priorités des Européens sont très claires. Alors que l’on leur demandait de répondre spontanément « quel est le premier problème de l’Europe », 60% s’est référé à la crise des réfugiés. Comme solution, il y a une tendance à préférer une limitation des flux plutôt qu’à favoriser l’accueil et l’intégration, surtout dans les deux pays de l’Europe Centrale, où l’inquiétude est plus répandue malgré le fait qu’ils reçoivent un partie moins significative de réfugiés.
Sur la politique migratoire et d’asile de l’Union européenne, une autre fondation allemande, la Fondation Bertelsmann apporte dans le rapport Border Protection and Freedom of Movement des données qui confirment cette tendance : 79% des citoyens européens sont favorables à une politique migratoire commune. En effet, 52% d’entre eux affirment que l’UE devrait avoir la responsabilité de cette gestion, car, selon 87% des personnes sondées, l’Europe a une responsabilité commune dans « la protection de ses frontières extérieures ». Au-delà de cela, 79% des Européens croient que la politique de quotas est la meilleure solution pour partager avec solidarité les coûts de l’hospitalité, même si le pourcentage des soutiens dans les pays de l’Europe centrale descend à 54%. Interrogés sur la question des sanctions pour les pays qui refusent leur partie respective de solidarité, seulement 41% des citoyens de l’Europe Centrale les considèrent opportunes, alors que 77% des ressortissants des pays de l’Europe Occidentale soutiennent cette mesure.
La deuxième priorité des Européens est le chômage (36%), en particulier pour les Français (44%), les Italiens (45%) et les Espagnols (45%). Ensuite, la relance économique est en troisième position (25%), suivie de loin par la lutte contre le terrorisme (15%), la réduction de la dette (13%) et la paix (12%), qui « ne sont pas de vraies inquiétudes pour les Européens », selon le document.
Indépendamment de la performance de leur pays, les Européens sont aussi inquiets par l’avenir de leur économie nationale. Même si les Allemands et les Hollandais sont les plus optimistes, ils ne le sont que dans une faible majorité de 46%. Les plus pessimistes, sans surprise, sont les méditerranéens : les Espagnols (82%) et les Italiens (80%), suivis des Français (75%).
Qu’est-ce que l’Europe pour vous ?
Ils existent d’énormes disparités lorsqu’il faut évaluer si l’appartenance de leur propre pays à l’Union européenne est avantageuse pour leur vie quotidienne. Globalement un tiers des Européens sondés sont satisfaits et presque la moitié considèrent que bien qu’il y ait des risques, l’Europe apporte autant de bénéfices en échange. Les Espagnols sont les plus optimistes (44%), suivis des Allemands (34%), alors que les plus sceptiques sont les Français, les Hollandais, les Italiens et, surtout, les Tchèques (44%).
52% des Européens considèrent que l’Europe est démocratique mais 44% voudraient que le Parlement européen soit doté de plus de compétences. Sur le rôle de la Commission les avis ne sont pas unanimes : les Hollandais et les Suédois souhaitent (à 45% et 39%, respectivement) réduire ses compétences, alors que 53% des Italiens et 49% des Espagnols veulent les élargir. Pourtant, 38% des Européens, notamment en République Tchèque et aux Pays Bas, font encore référence au déficit démocratique de l’UE et considèrent que l’Europe est même « antidémocratique ».
Certes, le débat sur le contenu social de l’Europe est sur la table mais, selon ce sondage, on retrouve tout de même 52% des Européens qui estiment que l’Europe est plus sociale qu’antisociale, à la seule exception de la Suède, en raison, très probablement, du caractère particulièrement développé de son État-providence. De même, une majorité considère que l’UE est plus favorable aux employeurs qu’aux employés et que la prospérité dont jouit l’Union est en plein déclin. Enfin, une partie significative des citoyens sondés estime que l’Europe contraint plus qu’elle ne donne de liberté, s’éloignant ainsi de ses valeurs fondatrices.
Quels partis soutenez-vous ?
Le tableau politique traditionnel s’est effondré. Interrogés sur la confiance qu’ils accordent aux partis politiques, par exemple pour la gestion de la crise des réfugiés, seul 17% nomme le groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), grâce au soutien qu’ils obtiennent en Allemagne, en Suède, en Italie et en France. En deuxième position, les conservateurs (regroupés dans le Parti Populaire européen, PPE) reçoivent un soutien de 13%, grâce à la popularité de la CDU/CSU de Angela Merkel en Allemagne et du Parti Populaire de Mariano Rajoy en Espagne. Un détail inquiétant, pourtant, c’est que le troisième parti, presque au même niveau que le deuxième (à 11%), est le regroupement de l’extrême droite européenne, appelé « L’Europe des nations et des libertés » (ENL), dont fait partie le Front National, accompagné par les xénophobes de « L’Europe de la liberté et de la démocratie directe » (ELDD), dirigés par l’UKIP britannique, qui sont à 7%. De plus, 45% des sondés en France soutient le Front National sur ce sujet car ils considèrent que leur gestion de la crise des réfugiés pourraient être efficace, une situation qui se répète en Italie et aux Pays Bas.
Cependant, quand la question se fait sur le chômage et la relance économique, les réponses sont un peu différentes. Ainsi, 19% des Européens font confiance au groupe S&D pour résoudre le chômage, suivi des conservateurs à 14%, alors que quand il s’agit de stimuler l’économie c’est aux conservateurs qu’ils donnent une confiance majoritaire à 20%, suivis des S&D à 17%. Cette situation se répète en matière de lutte contre le terrorisme, où les conservateurs (16%) sont plus soutenus que les socialistes (9%). Pourtant, il est aussi significatif qu’une proportion égale de citoyens (16%) font confiance aux partis des groupes ENL et ELDD sur cette question.
Selon le niveau de vie, il semble que les couches sociales les moins favorisées ont tendance à rester plus attentifs aux discours de l’extrême droite et à s’éloigner des partis traditionnels, à l’exception de l’Espagne, où il n’y a pas de partis xénophobes ; et force est de constater qu’il y a, sur chaque thème politique, environ un tiers des répondants qui se disent méfiants à l’égard de tous les partis existants.
Quel avenir pour l’Europe ?
Pour 57% des citoyens, la liberté de mouvement entre les États membres, notamment pour les travailleurs, est intouchable. Les pays les plus favorables sont la Slovaquie (74%), l’Italie (73%), l’Espagne (66%), la République Tchèque (64%) et l’Allemagne (59%). Ce dernier chiffre, affirme le document, s’explique parce que l’Allemagne est le pays qui bénéficie le plus de la mobilité intra-européenne du marché du travail. Les données facilitées par le rapport de la Fondation Beltelsmann sont même plus percutantes. En fait, selon ce document, 79% des Européens estiment que la « liberté de mouvement doit être défendue à tout prix ».
De même, selon le sondage de la Fondation Friedrich Ebert, 58% pensent que ceux qui travaillent dans un autre État membre et qui, par conséquent, paient leurs impôts dans ce pays en question, doivent avoir le même droit que les nationaux à l’assistance sociale du pays d’accueil, mais « seulement après un certain temps ». Cette dernière condition est spécialement importante en Allemagne et aux Pays Bas, tandis que les Espagnols (70%) et les Italiens (47%) préfèrent une assistance sociale sans condition dès que la personne cotise dans le pays récepteur.
En matière économique, les Européens sont très favorables, contre toute attente, aux transferts fiscaux entre États membres. Des disparités d’opinion entre les pays existent, mais la différence n’est pas faite curieusement entre des pays contributeurs et des pays récepteurs : une majorité des Français et des Tchèques sont défavorables à la mesure ; alors que les Allemands, les Suédois et les Slovaques la soutiennent. Interrogés sur quelle devrait être la réponse des autorités européennes lorsqu’un État viole les règles communes, comme c’était le cas de la Grèce en juillet 2015, les citoyens méditerranéens (les Espagnols, les Italiens et les Français) ne souhaitent pas son exclusion de l’UE, même temporaire, alors que 83% des Hollandais et 81% des Allemands et des Suédois la considèrent compréhensible. Enfin, sur la question de l’élargissement de l’Union à de nouveaux membres, 31% des sondés sont contre, le reste étant indifférent ou favorable (27%), surtout en France et en Italie, même si l’admission suscite plus de scepticisme lorsqu’il s’agit de la Turquie ou de l’Albanie.
Bien que, dans le champ social, six Européens sur huit préfèrent un maintien du statu quo et, donc, un contrôle national des systèmes de protection sociale, la majorité des citoyens sondés sont d’accord sur le fait qu’il faut plus d’intégration européenne dans un nombre assez vaste de domaines, comme par exemple la politique énergétique et migratoire (excluant pour cette dernière la Slovaquie et la République Tchèque) ou en matière de protection des données personnelles. Il semble exister aussi un consensus sur la nécessité de constituer une taxe européenne pour les grandes corporations ainsi que d’harmoniser les taux d’imposition nationaux sur les sociétés pour décourager la création des paradis fiscaux au sein même de l’Union européenne.
Il y a donc des motifs d’optimisme, mais les hommes politiques feraient bien d’envisager une stratégie pour renforcer et étayer cette timide remontée du soutien citoyen au projet européen. La gestion des crises économique et migratoire a très clairement laissé une cicatrice dans l’opinion publique des huit pays concernées, mais une nouvelle prise de conscience de la nécessité d’une intégration approfondie prend de l’avance dans la plupart des États membres. Si les Pays Bas, la Suède, la République Tchèque et la Slovaquie sont plus sceptiques sur ce point, d’autres pays comme l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et la France sont prêts à faire le pas. Heureusement, les citoyens associent un nombre croissant de dossiers à l’Europe, car ils semblent comprendre que les enjeux nationaux ont besoin plus souvent que l’on croît d’une réponse concertée au niveau du continent.
Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ
(mars 2016)
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