L’Ambassadrice d’Israël Alona Fisher-Kamm: « le monde a compris: face à l’Iran, défendre Israël c’est se défendre soi-même »

Chargée d’Affaires a.i d’Israël en France, l’Ambassadrice d’Israël en France est arrivée à Paris dans le tragique contexte de l’attaque terroriste du Hamas, quelques jours après le 7 octobre. Six mois après, et avant de repartir en Israël pour d’autres fonctions (son successeur sera l’Ambassadeur Joshua L. ZARKA à partir du 2 mai) , Alona FISHER-KAMM livre à La Revue Civique ici son analyse précise des relations avec la France, les gestes de solidarité de la société française malgré la montée de l’antisémitisme et l’évolution de la situation géostratégique après l’attaque inédite de l’Iran du territoire de l’Etat d’Israël et de quelques pays arabes voisins. Passionnante mise en perspective des événements.

– La Revue Civique : Vous êtes arrivée en poste à Paris juste après le 7 octobre. Les autorités politiques françaises ont d’abord été très solidaires d’Israël, le Président Macron a même souhaité la formation d’une coalition internationale de lutte contre le Hamas à l’image de celle qui s’était constituée contre Daesh; ensuite, il y a eu des variations, quelques nettes divergences même entre les deux Gouvernements, notamment à propos d’un cessez-le-feu à Gaza. Que retenez-vous de ces six mois, de positif et de négatif en ce qui concerne les relations France-Israël actuelles ?

-Alona FISHER-KAMM : Je suis arrivée à Paris à un moment tragique dans l’histoire de l’État d’Israël. Aujourd’hui encore, les massacres du 7 octobre raisonnent dans tous les esprits, laissant le pays en état de choc et traumatisé. Très vite, la France nous a témoigné son soutien, par plusieurs visites du Président de la République et d’officiels. Nous y avons été particulièrement sensibles, d’autant que la solidarité des autorités françaises s’est poursuivie dans les négociations pour la libération des otages et l’affirmation du droit d’Israël et de son devoir à se défendre.

« Cette résolution (de l’ONU) apparaît comme une récompense du terrorisme »

Je tiens à rappeler que jusqu’à ce jour, 133 otages restent détenus par les terroristes du Hamas qui continuent encore d’envoyer des roquettes sur les localités israéliennes. Ainsi, puisque qu’ils continuent de menacer Israël, promettant un nouveau 7 octobre jusqu’à la destruction de l’État, des dizaines de milliers d’Israéliens n’ont pu retourner chez eux au sud du pays.

C’est dans ce contexte, ajouté à l’attaque iranienne et à la faiblesse criante de l’Autorité palestinienne, que plusieurs pays amis ont voté une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU portant sur l’adhésion de la Palestine comme un État membre permanent des Nations Unis s’inscrivant en contradiction totale avec la politique traditionnelle prônant une négociation directe entre les deux parties. Cette résolution apparaît aujourd’hui comme une récompense pour les terroristes qui, loin de décourager à de nouveaux passages à l’acte, encourage l’extrémisme islamiste à poursuivre ses desseins.

Pour toutes ces raisons, les appels à un cessez-le-feu immédiat, sans le conditionner à la libération immédiate des otages, sont difficiles à comprendre. Et je dois dire que je ne cesse de m’interroger. S’il n’y avait pas eu le 7 octobre, cette résolution aurait-elle été portée jusqu’au Conseil de sécurité ?

« La confusion règne entre s’engager pour la paix au Moyen-Orient et soutenir un groupe terroriste comme le Hamas, dont le seul objectif est de détruire les valeurs démocratiques »

-La Revue Civique : Quelles sont les actions qu’il vous semble devoir, et pouvoir, être développées à l’avenir pour rapprocher les deux sociétés civiles, israéliennes et françaises, en particulier en ce qui concerne les jeunes qui, en France notamment, ont des représentations et images parfois négatives de la société israélienne, société pourtant très diverse ?

-Alona FISHER-KAMM : Je dois vous avouer avoir été très émue de voir, depuis mon arrivée, un soutien à Israël constant dans toutes les couches de la société française, traduit par les sondages d’opinion. Ce soutien, je l’ai aussi vu dans les rues par les affiches d’otages et les drapeaux israéliens brandis en signe de solidarité.

La multiplication des actes antisémites est pourtant inquiétante. La confusion règne entre s’engager pour la paix au Moyen-Orient et soutenir un groupe terroriste comme le Hamas, dont le seul objectif est de détruire les valeurs démocratiques en en exploitant les failles. L’État d’Israël est seulement l’incarnation de ces valeurs que les terroristes veulent détruire. Ce flou savamment entretenu fait des universités et des réseaux sociaux un terreau fertile de déstabilisation. C’est la jeunesse qui est avant tout exposée, et c’est donc là que nous devons œuvrer pour une meilleure connaissance du conflit israélo-palestinien et pour une perception plus juste de la diversité du peuple israélien.

Mais l’espoir de voir nos générations grandir ensemble dans une compréhension mutuelle ne me quitte pas. C’est l’initiative d’un collège du Sud-Ouest de la France venu me rendre visite à l’Ambassade qui m’a ouvert les yeux sur les possibilités que nous avons entre les mains pour raconter l’histoire d’Israël, celle du peuple juif et de ces traumatismes, de l’antisémitisme millénaire à la Shoah, de l’antisionisme au massacre du 7 octobre.

« L’un des objectifs des Accords d’Abraham de 2020 : la constitution d’une coalition de défense régionale contre cet ennemi commun, l’Iran »

-La Revue Civique : Le récente et inédite attaque de l’Iran contre le territoire de l’Etat d’Israël – attaque qui ne passe donc plus seulement par les bras armés de l’Iran dans la région (Hezbollah qui attaque à partir du Liban, le Hamas qui attaque à partir de Gaza, les Houthis qui attaquent en Mer Rouge) – et au-delà des ripostes israéliennes, cette attaque iranienne est-elle de nature à changer la donne sur le plan géopolitique et diplomatique ? N’ouvre-t-elle pas un espace et une série de discussions préventives à l’encontre de l’Iran non seulement entre Israël et les pays occidentaux mais aussi entre Israël et les pays arabes opposés ou cibles de l’expansionnisme iranien ?

-Alona FISHER-KAMM : L’Iran est effectivement dans les coulisses de tous les conflits au Moyen-Orient. C’est un facteur majeur de déstabilisation de la région, y compris dans les conflits qui n’ont aucun lien avec Israël. Exporter l’idéologie des Mollahs et détruire l’État d’Israël n’est que le premier acte de la stratégie du régime, accompli grâce à son réseau de proxys. Il les fournit en armes, finance le terrorisme et les appuie politiquement et diplomatiquement. Aussi, je vous laisse imaginer l’avenir de la région et du monde, si l’Iran parvenait à obtenir l’arme nucléaire.

Cela explique aussi les réactions des voisins d’Israël et celles de la communauté internationale lors de l’attaque d’ampleur de l’Iran contre Israël. Le monde a conscience du danger. Défendre Israël, c’est donc aussi se défendre soi-même. C’était d’ailleurs l’un des objectifs des Accords d’Abraham de 2020 : la constitution d’une coalition de défense régionale contre cet ennemi commun.

Concernant l’Autorité Palestinienne à l’avenir, « des réformes profondes et structurelles doivent être engagées pour reconsolider les liens et rétablir la confiance ».

-La Revue Civique : Même si pour le cabinet de guerre israélien (qui comprend des opposants à Benjamin Netanyahou) la fin de l’engagement militaire de Tsahal à Gaza est inconcevable sans la libération par le Hamas de tous les otages qu’il a capturé le 7 octobre, quelles perspectives ou hypothèses la classe politique israélienne commence-t-elle à esquisser en ce qui concerne « l’après » (après-guerre, après Hamas pour les interlocuteurs palestiniens) ? La volonté, américaine notamment, de voir apparaître et reconnaître une direction palestinienne « renouvelée » pour la gouvernance future de la Cisjordanie et de Gaza, cette volonté progresse-t-elle ou non côté israélien ?

-Alona FISHER-KAMM : Le conflit israélo-palestinien n’a pas commencé le 7 octobre. Il y a eu des hauts et des bas, mais Israël a pris des risques considérables en faveur de la paix, toujours avortés par les Palestiniens et se soldant systématiquement par une vague d’attentats terroristes. Le départ des forces militaires et des civils israéliens de la bande de Gaza en 2005, débouchant sur l’arrivée du Hamas au pouvoir, en est la preuve.

Le 7 octobre, Mahmoud Abbas avait enfin l’occasion de rompre avec sa vieille tradition politique plus qu’ambigüe avec le terrorisme. L’Autorité palestinienne verse depuis toujours une rente aux terroristes et à leur famille pour les récompenser d’avoir tué des Israéliens, glorifiant ainsi le passage à l’acte et incitant à la haine. Et, depuis le 7 octobre, la condamnation des massacres par le dirigeant palestinien se fait encore attendre.

L’Autorité palestinienne est-elle donc un partenaire raisonnable pour négocier la paix ? Des réformes profondes et structurelles doivent être engagées pour reconsolider les liens et rétablir la confiance. Mais comprenez mon désarroi. Comment imaginer l’avenir alors que le Hamas est encore au pouvoir à Gaza et qu’ils détiennent 133 otages ? Nos vies se sont arrêtées le 7 octobre, leur retour est notre condition pour pouvoir enfin penser à l’après. 

Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET

(29/04/2024)

Alona Fisher-Kamm et Jean-Philippe Moinet, fondateur de la Revue Civique et écrivain, se sont connus il y a plus de 25 ans. Elle était porte-parole, en charge des relations presse, auprès de l’Ambassadeur d’Israël en France Elie Barnavi, quand en 1998 Jean-Philippe Moinet, alors grand reporter au Figaro a été invité à Jérusalem pour couvrir la festival du film israélien. Où l’immense Roberto Begnini étaient venu présenter en projection « La vie est belle ». Depuis ce grand moment, Alona Fisher-Kamm et Jean-Philippe Moinet sont restés en contacts, échangeant réflexions et analyses sur la situation géopolitique globale, jusqu’à ces derniers jours.