Catherine Lalumière : l’ardeur européenne à renforcer

Évoquant les éléments de la citoyenneté européenne, la Présidente de la Maison de l’Europe, Catherine Lalumière, évoque les « deux sentiments contradictoires » qui traversent l’opinion: « l’Europe bouc-émissaire » et « l’Europe solution ». Mettant en garde contre la montée du premier, avant les élections européennes de 2014, l’ancien ministre en appelle aux « actions pédagogiques, qui doivent être menées avec plus d’ardeur ». Par l’école, notamment. « Les symboles sont également importants », ajoute-t-elle: « le drapeau et l’hymne européen, par exemple ». Il faudrait aussi que « l’Union européenne s’incarne dans des visages ». Face au risque d’abstention et de montée des extrêmes, conclut-elle, « nous devons redoubler d’efforts pour faire prendre conscience de la grandeur, des raisons d’être et des atouts du projet européen ». Entretien.

La REVUE CIVIQUE: La Citoyenneté a une réalité, historique et juridique, essentiellement nationale en France. Néanmoins, quelle(s) dimension(s) européenne(s) donnez-vous à la notion de Citoyenneté ?
Catherine LALUMIÈRE:
La citoyenneté européenne a une existence juridique qui a été instituée, très officiellement, dans le traité de Maastricht, entré en vigueur en 1992. La citoyenneté européenne a une définition claire: est citoyen européen tout citoyen d’un État-membre. Elle ne se substitue pas à la citoyenneté nationale mais s’ajoute à la citoyenneté nationale. La citoyenneté européenne n’est plus une idée ou un rêve, c’est aujourd’hui une réalité, ce qui ne veut pas dire que le droit règle tout ; on le verra sans doute plus loin.

Quels sont les droits et obligations qui découlent de la Citoyenneté européenne ?
Les citoyens européens bénéficient d’un certain nombre de droits, parmi lesquels celui de voter au suffrage universel pour la désignation des parlementaires européens. Ils ont également le droit de vote (et d’éligibilité) aux élections locales dans des pays de l’Union européenne dont ils ne sont pas originaires après un certain temps de résidence dans ce pays. Ils ont aussi le droit de bénéficier de la protection diplomatique de la part d’ambassades et de services diplomatiques de pays qui ne sont pas le leur quand leur pays n’est pas représenté diplomatiquement dans le pays où se produit l’incident dont ils sont l’objet. Ils ont aussi le droit de pétition et peuvent saisir le Parlement européen en déposant, sous certaines conditions de formes, une pétition.

Je pourrais encore allonger cette liste des droits dont peuvent se prévaloir les citoyens européens, sans oublier les droits généraux qui précédaient le traité de Maastricht, comme les droits liés aux quatre grandes libertés de circulation (des personnes, des marchandises, des services et des capitaux) reconnus dès le traité de Rome et les principes de la Charte des droits fondamentaux, qui est désormais incluse dans le traité de Lisbonne.

Droits multiples

Il y a de multiples droits, les devoirs, eux, sont moins nets. Il n’y a pas de service militaire européen, ni d’impôt européen, pour l’instant. Les devoirs, qui sont généralement liés à la citoyenneté nationale, ne sont pas transposés au niveau européen. Le citoyen européen a quand même un devoir, qui est un concept plus familier aux Allemands qu’aux Français: c’est le « devoir de loyauté » envers l’Union européenne. C’est moins précis et non formulé dans les textes juridiques de référence, mais c’est tout de même important car cela signifie, par exemple, que nous devons respecter les valeurs, les objectifs et l’esprit de l’Union européenne: elle nous a reconnu la qualité de citoyens de l’Union européenne, avec de nombreux droits, nous lui devons donc un minimum de respect.

Précisément, la dimension européenne de la citoyenneté n’est pas toujours assez reconnue (c’est un euphémisme !) dans et par les États-nations. Comment faire en sorte, alors que les forces nationalistes et les tentations de repli sont de plus en plus fortes avec la crise économique, que cette dimension soit reconnue, et mieux partagée par les citoyens eux-mêmes ?
Certains citoyens ignorent leurs droits, la première des choses serait donc qu’ils aient pleine conscience de cette reconnaissance juridique. Cependant, nous ne pouvons parler décemment de citoyenneté que si les gens éprouvent un sentiment d’appartenance. Le droit ne suffit pas. Je renvoie au beau texte d’Ernest Renan: « qu’est-ce qu’une Nation ? » Il faudrait que se tisse un lien entre l’Union européenne et ses citoyens semblable à celui qui unit le citoyen à sa Nation. Évidemment, cela demande du temps et une imprégnation, des expériences en commun, des jours brillants, des jours tristes,… c’est le fruit de l’Histoire.

Mais l’histoire ne s’accélère-t-elle pas avec la crise ? Et cette accélération ne met-elle pas à nu l’enjeu pour les Européens: s’unir vraiment, ou décliner vraiment ?
La crise a des effets contradictoires. D’un côté, et dans l’immédiat – c’est ce que l’on observe – la crise conduit certaines personnes à se détourner de l’Europe et de son projet. Ces personnes accusent ainsi, à mon avis injustement, l’Union européenne d’être responsable, en totalité ou en partie, des difficultés rencontrées.
Dans un premier temps, domine donc un sentiment de déception et de critique, vis-à-vis d’une Europe qui ne nous protège pas assez.

L’Europe-solution

Mais un autre sentiment se développe: devant ces difficultés, certaines personnes prennent conscience qu’en réalité les difficultés dues aux changements considérables qui se sont produits dans le monde ne peuvent pas être surmontées au niveau simplement national et que, s’il y a une solution, elle sera européenne. Ce sentiment se développe dans certains pays et certains secteurs de la population.
De ces deux sentiments contradictoires, l’Europe bouc-émissaire et l’Europe solution, je souhaite bien sûr que ce soit le deuxième qui l’emporte mais l’opinion est, en ce moment, en balance et la crise aiguise les sentiments négatifs.

Pour la promotion du sentiment d’appartenance à l’Europe, quelles sont les bonnes pratiques que vous avez pu observer, en France ou dans d’autres pays européens ?
Pour développer ce sentiment d’appartenance, il faut du temps. Nous sommes à 50 ans des débuts de la construction européenne, c’est peu encore au regard de l’Histoire, il nous faut encore du temps.
Ceci étant, il y a des actions pédagogiques qui doivent être menées avec plus d’ardeur, le rôle de l’école pourrait être extrêmement important auprès des jeunes, en leur faisant prendre davantage conscience de l’importance de l’Union européenne, cette « chose » qui peut leur paraître lointaine et abstraite. C’est tout simplement l’instruction civique, assez élémentaire, qui existe d’ailleurs dans ses grandes lignes mais qui doit être développée.

Mais il n’y a pas que cela. Les symboles sont également importants: le drapeau et l’hymne européen, par exemple, ont leur importance. Or, ils ne sont pas toujours visibles ou audibles.
De plus, les personnes qui incarnent le pouvoir au niveau européen devraient être plus connues, davantage promues. Il faudrait que l’Union européenne s’incarne aussi dans des visages, comme les États-membres sont incarnés dans le visage de leur chef d’État ou de gouvernement, ainsi en France où ce rôle d’incarnation est dévolu au Président.
Enfin, connaissant mieux les pouvoirs et les compétences de l’Union européenne, les citoyens prendraient conscience que les institutions européennes modèlent leur société, leur quotidien et leur avenir. Les citoyens ne les connaissent que de façon très floue et confuse, ce qui est anxiogène pour eux. Le lien de confiance n’existant pas, il laisse place à la méfiance. C’est le risque actuel.

Climat malsain de xénophobie

Y a-t-il un État-membre plus exemplaire, plus avancé que la France dans sa pédagogie européenne ?
La Belgique et le Luxembourg sont des pays très européens, l’Allemagne aussi. J’ai connu l’Espagne quand elle est entrée dans l’Union, les Espagnols étaient alors presque unanimement pro-européens ; ils le sont moins depuis l’entrée de l’Espagne dans la crise.
Ce qui se passe, mais plus ou moins dans tous les pays de l’Union, les anciens comme les nouveaux États-membres, c’est qu’ils ont des problèmes économiques et sociaux qui deviennent des problèmes politiques, qui produisent du scepticisme voire de la colère envers les institutions de l’Union européenne. Indéniablement, aujourd’hui, dans tous les pays de l’Union, nous assistons à un retour des nationalismes avec des tendances populistes évidentes. Avec le repli sur soi, une frilosité, un climat malsain de xénophobie, le rejet des autres. Il faut y prendre garde.

Cela risque d’être le sujet dominant d’ici les élections de 2014 ?
Il faut être lucide: les prochaines élections des parlementaires européens risquent de se dérouler dans un climat délétère, avec une forte tendance à l’abstention et une tendance à voter pour les extrêmes. Malheureusement, c’est ce qui menace. Il faudra donc redoubler d’efforts pour faire prendre conscience de la grandeur, des raisons d’être et des atouts du projet européen.

Propos recueillis par Georges LÉONARD
(In La Revue Civique n°11, Printemps-Été 2013)

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