Brexit et les défausses nationales, « au nom du peuple »… (par Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde)

Dans une chronique « Au nom du peuple » publiée dans Le Monde (daté du 1er/07/16), que nous publions ci-dessous, l’éditorialiste de ce quotidien, Françoise Fressoz (auteur notamment de « Le stage est fini », Albin Michel), revient sur ce qu’on pourrait appeler les racines du Brexit.  En particulier sur la grande dérive qui, depuis des années, consiste « à se défausser, à chaque difficulté, sur l’Europe. Alors que la responsabilité des décisions incombait aux Etats, à leurs représentants politiques et à travers eux au peuple. Mais comment le lui dire ? »

…………………………………………………………

C’est donc ça le Brexit! Aucun plan B, nulle liesse populaire, un peuple en état de sidération et des dirigeants qui ne savent pas par quel bout attaquer le tricot! Pour tous ceux qui ont construit leur fond de commerce politique sur le rejet de l’Europe, ce qui se passe en ce moment de l’autre côté de la Manche fait figure de contre publicité absolue : au lieu de la libération annoncée, un gigantesque désarroi. A la place du bonheur promis au peuple, le poison de la division : jeunes contre vieux, Londres contre le reste de l’Angleterre, sans parler de l’Ecosse qui ne veut en aucun cas quitter l’Union européenne. Et pour tenter d’avancer malgré tout, des partis plus divisés que jamais. Rarement la Grande-Bretagne aura paru aussi incertaine de son destin.

« Europe, terrible révélateur des fragilités françaises »

Pour qui entend combattre Marine Le Pen et son « Frexit », l’argument crève les yeux : tout sauf ça ! Et pourtant avec quel entrain une partie de la droite s’est-elle précipitée dans le sillage du Front national pour cogner sur la construction européenne et exiger que tout change et très vite : à peine la Grande- Bretagne partie, il fallait « un nouveau traité avant la fin de l’année » (Nicolas Sarkozy), un référendum pour redonner la parole au peuple (Bruno Le Maire) sans oublier le démantèlement de la commission européenne (Henri Guaino, Laurent Wauquiez, Eric Ciotti) comme si le sus aux fonctionnaires bruxellois était l’exercice obligé pour calmer la vindicte populaire. Et tant pis si, au contraire, elle l’attise ! L’Europe est le terrible révélateur des fragilités françaises. Comme partout ou presque sur le continent, le peuple a décroché. Un parti politique, le Front national, en a fait habilement commerce, liant la question sociale et le malaise identitaire dans un rejet systématique de la construction européenne érigée en bouc émissaire de tous les maux. La vague migratoire a fait le reste. Derrière, les autres partis rament. D’où l’assaut de démagogie. Pour tenter de récupérer le peuple, il faut parler à ses émotions, attiser ses passions et son ressentiment, sans songer à expliquer ni argumenter.

Trop bête le peuple et trop décriée « l’élite » européenne qui avait cru pouvoir faire son bonheur malgré lui ! On en est là et ce qui est apparu mardi 28 juin lors du débat à l’Assemblée nationale n’est pas franchement encourageant : pas de souffle ni de vision sur les bancs de l’hémicyle. Juste une droite et une gauche communiant dans la même critique d’une œuvre qu’elles ont pourtant contribué l’une et l’autre à bâtir, alternativement ou conjointement lors des cohabitations parce que le projet, historique, les transcendait. Qu’il y ait eu des ratés c’est un fait et de gros : l’euro sans la convergence économique, l’élargissement trop rapidement mené, la sécurité insuffisamment assurée, les frontières mal contrôlées etc etc…

Mais la plus impardonnable faute aura été de se défausser à chaque difficulté sur l’Europe, alors que la responsabilité des décisions incombait aux Etats, à leurs représentants politiques et à travers eux au peuple. Mais comment le lui dire ?

Françoise FRESSOZ
éditorialiste au Monde