Menée à échelle nationale et mondiale, la bataille à mener contre le coronavirus est plus que rude, elle est brutale. La contagion est terrible, elle fait férocement de trop nombreuses victimes. Tout le monde en convient, et cela justifie pleinement la mobilisation générale – et civique – que l’on connaît en France et en Europe. Et l’application stricte du confinement.
Pour autant, cette crise inédite reflète et porte aussi des progrès. Celle de l’information d’abord, planétaire, instantanée et continue. Elle nous livre jour après jour, heure par heure, un impressionnant et transparent panorama : celui de la progression – et dans certaines zones de la régression – de l’éprouvante contagion. Le niveau d’information est un progrès car il nous alerte – sur les zones les plus touchées mais aussi sur les bonnes pratiques -, il favorise en temps quasi-réel l’adaptation des dispositifs d’action, sanitaires, logistiques, politiques, il permet, dans la mesure du possible bien sûr, d’anticiper et de protéger.
« L’actualité inquiète à juste titre mais l’histoire, qui ne s’arrête pas, est aussi celle de formidables progrès réalisés contre toutes les pandémies »
Rien de tout cela, il y a encore 30 ou 50 ans. Par exemple quand la « grippe de Hong Kong » faisait des ravages terribles dans le monde entier et, entre 1968 et 1969 rien qu’en France environ 30 000 morts. Dans une quasi-indifférence générale. Dix ans auparavant, les Français, sous-informés, étaient bien désarmés aussi quand déferlait une « grippe asiatique » qui a fait, rien qu’en France, près de 100 000 morts ! Sans parler de 1918, c’était il y a quatre générations seulement, de la fameuse « grippe espagnole ». Pas d’informations planétaire en continu pour alerter et se confiner : au moins 25 millions de victimes (certaines estimations vont jusqu’à 50 millions). Et si on remonte encore plus loin, au Moyen Age et très loin de la mondialisation des échanges d’aujourd’hui, la fameuse Peste noire déferlait et décimait un tiers de la population européenne ! L’actualité inquiète mais l’Histoire est celle de formidables progrès réalisés contre toutes les pandémies.
La crise du coronavirus fait déjà beaucoup trop de victimes mais elle reflète aussi les énormes progrès de l’information et de l’adaptation non seulement des décisions publiques mais des sociétés elles-mêmes, y compris en Europe démocratique, où l’individu-citoyen est roi mais néanmoins capable comme jamais de se mettre en collective position de protection maximale. Le confinement est une défense qu’aucune pays n’avait connu jusqu’alors, sauf en période de guerre (il y a plus de 75 ans pour l’Europe).
Ces armes de défense passive et individuelle qui s’appellent l’activité numérique »
Cette capacité de défense collective représente un grand progrès face à l’adversité qui a surgi. Cette crise porte aussi des armes de défense passive qui font également que le confinement d’aujourd’hui ne ressemble en rien, et bien heureusement, aux caves dans lesquelles les populations se réfugiaient pendant la deuxième guerre mondiale pour s’abriter des bombardements. Ces armes de défense individuelle que chacun peut désormais utiliser s’appellent l’activité numérique. Le confinement est un abri physique qui n’empêche, en rien, de communiquer activement, peut-être plus activement encore qu’auparavant.
Cela permet le maintien d’une activité pour des millions de personnes : pour la plupart des élèves qui restent en lien avec l’Education nationale et leurs professeurs, comme pour une partie des adultes, ceux qui peuvent maintenir un lien d’activité professionnelle par la voie numérique. C’est une révolution à l’échelle d’un pays, une adaptation forcée et accélérée qui induit aussi une capacité de prise en charge personnelle, une autonomisation inédite, un esprit de responsabilité qui, aussi, peut être profitable en chaîne : à soi-même, à son entreprise, à la société dans son ensemble.
Bien sûr, et cela fait partie de l’énorme défi à relever pour tous les pays européens notamment, la crise économique risque d’être redoutable au-delà (du point de vue du calendrier) de la crise sanitaire. Le chômage partiel a très vite touché des millions de salariés en France, et sur la durée, cette situation sera problématique, les finances publiques (déjà lourdement endettées) ne pouvant s’étirer démesurément.
Bien sûr, des élèves vont décrocher pendant que d’autres, la plupart, vont s’accrocher et apprécier l’autonomie pédagogique. Bien sûr, de nombreuses entreprises, petites, micro-personnelles parfois, celles des indépendants, commerçants, artisans, artistes, se trouvent en très grande difficulté, se tournant vers un Etat qui retrouvent un devoir et une fonction – forcément transitoire – de grande « Providence », c’est-à-dire de soutien et d’assistance générale.
L’accélération ne va pas que dans un seul sens, négatif. La science et la médecine sont dans une course de vitesse, qui peut être gagnée »
Mais la course de vitesse engagée entre la contagion et la société peut être gagnée aussi, à terme, par une capacité de la Science et de la médecine à accélérer ses recherches, à expérimenter les meilleurs pratiques et à les diffuser aussi au corps médical d’abord, à la société toute entière ensuite, à l’échelle nationale et mondiale. L’accélération ne va pas que dans un seul sens, forcément négatif. La « culture du masque » par exemple, habituelle et normative en Asie, va le devenir en Europe et en Amérique.
Le virus éprouve et démontre aussi notre interdépendance, celle qui relie toutes les personnes et toutes les nations. La bataille qui lui est livrée manifeste également, en retour, une interdépendance réactive dans les réponses à apporter à cette crise, aux diverses crises entremêlées : sanitaires, économiques, sociales, technologiques…
Les faiblesses de la mondialisation activent, de ce point de vue, les capacités, actuelles et futures, de la même mondialisation : celle de l’information, qui n’a pas de frontières, celle des bons traitements médicaux, qui n’ont et n’auront pas de frontières, celle des coopérations entre Etats qui non seulement ne devront pas cesser mais devront se renforcer, sur tous les plans : scientifiques, économiques et financiers, politiques aussi.
Personne ne peut prédire l’avenir mais les capacités de résilience, individuelles et collectives, nationales et mondiales, peuvent aussi, à terme et par nécessité, faire quelques progrès substantiels. Historique avec cette crise du coronavirus, la réalisation d’une vaste interdépendance aboutit aussi, forcément et dans la douleur, à une meilleure prise en compte de cette réalité.
Le coronavirus force les intelligences collectives à se dépasser. Et à dépasser les frontières. »
Les Etats vont à l’évidence reprendre un rôle dans la réassurance de fonctions de protection, où la Santé publique sera remise à l’honneur. Pour éviter une chute libre et violente des économies (donc des emplois et des niveaux de vie), des mesures d’urgence sont exceptionnellement prises et, au-delà, des concertations coopératives seront durablement à trouver.
Alors que les réflexes nationaux ont logiquement prédominé dans une première période défensive, l’Europe devra être plus organisée et solidaire dans une seconde période déjà ouverte, en lien avec le reste du monde, pour faire face au risque d’une grande dépression, économique et sociale. La mondialisation devra être plus équilibrée, plus solidaire, elle ne se défera pas forcément: des échanges productifs devront perdurer, la nécessité de certaines « relocalisations » (par exemple de produits pharmaceutiques) apparaît clairement, mais nos points forts, comme l’agroalimentaire, auront besoin de s’exporter tout autant vers le reste du monde et peut-être davantage. Le regain de croissance en Asie, par exemple, avec les deux grosses locomotives que sont la Chine et l’Inde (pas loin de 3 milliards d’individus-consommateurs rien qu’à eux deux), restera une source d’espoir aussi pour les économies européennes, et donc l’emploi.
Le coronavirus a des impacts inattendus, en de nombreux domaines, il force les intelligences collectives à se dépasser, et dépasser des frontières qui ne séparent plus : ni les individus, ni les nations. C’est peut-être là une prise de conscience, et une source de progrès.
Georges LEONARD (25/03/20)