Deux points obscurs à éclaircir, M. Fillon : la Russie et le FN

Cette tribune de Jean-Philippe Moinet, est publiée par L’Obs

L’avantage des surprises électorales, pour les observateurs de la vie politique, est de forcer l’adaptation rapide des questionnements à adresser aux candidats. A l’approche du 2ème tour de la primaire ouverte de la droite et du centre,  tous les projecteurs se braquent désormais vers le grand favori, l’homme qui a surgi avec  surprise : François Fillon. Introverti, apparemment timide, ce nouveau favori  doit désormais assumer le rôle du présidentiable, annoncé et exposé. Il  n’est naturellement en rien désobligeant, la situation l’exige même, de l’interroger (et de s’interroger) sur deux points qui apparaissent obscurs dans son positionnement : la Russie de l’autocrate Poutine et le FN des Le Pen (père, fille et petite-fille).

En effet, l’ancien député de la Sarthe, devenu député de Paris, ne l’a lui-même d’ailleurs pas caché lors du dernier débat télévisé, qui précédait le 1er tour des primaires, même le sujet important n’a curieusement amené les journalistes à lui demander de préciser son argumentaire : il est favorable à un très net rapprochement stratégique avec la Russie de « Vladimir », dirigeant qu’il tutoie d’ailleurs à loisir, comme le montre un document de FranceTVinfo, où il apparaît en pleine complicité avec le maître du Kremlin ( http://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/video-le-cher-vladimir-de-fillon-au-president-poutine-lors-d-un-forum-en-russie_416741.html  )

Son rapprochement géopolitique n’est pas un simple souhait de dialogue (évident en diplomatie), ni une simple équidistance à réaliser entre notre allié les Etats-Unis et une Russie si peu démocratique, équidistance sourcilleuse que tend à affirmer son concurrent et challenger, Alain Juppé. Ce dernier invoque une certaine idée du gaullisme, appliquée à l’Europe.  Le rapprochement souhaité par François Fillon va bien plus loin et cela pose questions. Dont celles-ci  : pourquoi avoir signé, en compagnie de Jean-Frédéric Poisson (ce candidat du 1er tour, très aimablement reçu à Damas par le dictateur syrien Bachar El Assad, et qui s’est rallié à lui), une proposition de résolution parlementaire, concocté par le très russophile député LR Thierry Mariani, visant à  lever les sanctions européennes contre la Russie (rappelons que ces sanctions ont été  actionnées quand la Russie a militairement annexé la Crimée, menaçant la paix aux portes de l’Ukraine et de l’Europe) ? Pourquoi un tel geste « pacifiste » vers un dirigeant russe qui ne l’est pas vraiment ?

Le terrible calvaire d’Alep provoqué par les forces russes et syriennes

L'OBS

L’OBS ouvre le débat sur « le vrai Fillon », au-delà de ce qui en apparaît.

Et pourquoi un tel rapprochement avec le Président russe au moment où, en Syrie, toutes les organisations non gouvernementales encore présentes le disent,  un terrible calvaire est subi par des populations civiles, à Alep en particulier, là où les forces russes et syriennes sont complices de frappes militaires meurtrières et parfois aveugles, ordonnées sous prétexte d’éradiquer Daesh de cette zone ?

Comment ne pas voir qu’un rapprochement stratégique avec Poutine, renforcerait la violence de cet étau, qui enferme dans la dictature ce pays martyrisé, meurtri c’est vrai par Daesh mais aussi, depuis plus de 4 ans, par un régime qui a cyniquement instrumentalisé la menace islamiste (réelle) pour faire tirer son armée sur son propre peuple ? Comment enfin ne pas voir, non plus – à moins que cette myopie soit volontaire ?! -, la dangerosité de la complicité renforcée de la Russie, non seulement avec la dictature syrienne mais aussi avec le régime iranien et son bras armé dans la région, le Hezbollah, dont les milices, du Liban à la Syrie, font régner un ordre islamique terrifiant que ne saurait cautionner un dirigeant réellement démocrate ? Sans parler (mais il faut le préciser) de la menace que le même Hezbollah iranien fait peser, militairement et volontairement bien sûr,  sur le Nord d’Israël, risquant à tout moment de réactiver un conflit et d’embraser encore plus cette région devenue poudrière.

A ces questions précises, celui qui est désormais placé en favori de la primaire, et donc potentiellement de la prochaine élection présidentielle, doit répondre et convaincre. Sans en rester à la surface d’un propos  éculé sur l’historique relation amicale avec la Russie ou sur une Europe rêvée qui, comme le disait le Général de Gaulle, s’étendrait de l’Atlantique à l’Oural… ousur, comme M. Fillon l’a dit au 20 heures de TF1, que la Russie est, je cite, »le plus grand pays du monde ». Ah, bon ? Il n’est pas précisé (c’est à dessein ?) dans quel domaine. Le développement démocratique, ou la superficie ?

Et pourquoi demander la levée de sanctions européennes alors que de nombreux pays d’Europe, de l’Est notamment, considèrent toujours la Russie militarisée comme une réelle menace ? Pourquoi le faire alors que les Etats-Unis de Trump semblent encore plus tentés qu’hier de se désintéresser de notre Europe, voire de la délaisser à son sort sécuritaire, le parapluie américain de l’OTAN n’étant plus vraiment une préoccupation pour le prochain Président, qui a fait toute sa campagne sur le protectionnisme et le repli isolationniste des Etats-Unis ?

M. Fillon regrette-t-il ou non son propos sur « le moins sectaire » à choisir entre PS et FN ?

A ces questions, qui concernent notre avenir et celui de l’Europe, s’ajoutent des questions sur le Front national, le parti d’extrême droite étant devenu l’un des noeuds de notre politique intérieure. Le favori de la primaire regrette-t-il, ou non, avoir déclaré, après la défaite de son camp en 2012, qu’entre un candidat PS et un candidat FN,  non seulement il n’avait pas à choisir – c’est la thèse du « ni-ni », dénoncée par Nathalie Kosciusko-Morizet – mais que finalement il fallait choisir « entre le moins sectaire » ?! Le favori surprise de cette primaire n’est jamais vraiment revenu clairement sur cette déclaration, reprise depuis  avec allégresse par tous les tenants, buissoniens, d’un rapprochement organisé entre la « droite forte » de LR et le parti lepéniste, sous couvert d’un « souverainisme » commun naturellement… D’ailleurs, Jean-Frédéric Poisson, qui a décidément plus d’un point commun avec François Fillon, a déclaré le 12 octobre dernier (à Valeurs Actuelles), qu’il fallait mettre fin à la règle du « cordon sanitaire » qui sépare nettement le FN du parti « Les Républicains ». François Fillon approuve-t-il, ou dénonce-t-il, cette toute récente déclaration ?  La réponse (ou non réponse) filloniste a une très haute importance politique, pour les mois et les années à venir.

On le voit, les sujets de la Russie et du FN ne sont pas très éloignés. Dans les deux cas, des inquiétudes fortes se sont exprimées, quant aux positions affirmées et aux orientations possibles de François Fillon. On a connu d’ardents républicains proclamés (par exemple l’UDF et chiraquien, Charles Million, avant 1998) s’engager d’un seul coup, par (mauvais) calcul politique, sur la pente très dangereuse, pour eux, d’arrangements plus que déraisonnables, coupables,  avec le parti d’extrême droite. Parti qui, naturellement, est le premier à tirer profit des ambiguïtés ou complaisances qui lui font face, et dont il se sert naturellement pour prospérer encore plus.

Aussi, par respect pour ses électeurs, très nombreux réunis sur son nom dimanche dernier lors du premier tour des primaires de la droite et du centre, il apparaît de première importance, à l’occasion notamment du dernier débat télévisé qui précèdera (et éclairera) le second tour de cette primaire, que l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy fasse une entière lumière sur ces deux points – la Russie et le FN – deux points obscurs qui font légitimement l’objet, à cinq jours d’un scrutin décisif, de lourdes interrogations et de profondes inquiétudes.

Jean-Philippe MOINET,

ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, directeur  de la Revue Civique, chroniqueur et directeur conseil de l’institut Viavoice.

(24/11/16)

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