Corinne Lepage : l’ex-première dame se comporte « en héroïne de vaudeville »

Corinne Lepage

L’ancien Ministre Corinne Lepage s’insurge, dans cet entretien avec la Revue Civique, contre le livre de Valérie Trierweiler : « Je pense que la France est suffisamment dans la souffrance, et les institutions publiques suffisamment mises à mal, pour que celle qui a bataillé pour être reconnue comme la première dame de France ne se comporte pas comme une héroïne de vaudeville à la recherche de la phrase qui tue. Ceci étant, j’ai tout à fait confiance dans le bon sens de nos concitoyens, qui font la part des choses entre la vie privée et la vie publique et ne sont pas obligés de prendre pour argent comptant les citations que fait Madame Trierweiler de son ex-compagnon. L’idéal serait que ce livre, après un lancement en fanfare, termine sa course dans l’indifférence générale ».

Et de s’inquiéter d’une dérive médiatique : « C’est évidemment participer de la course à l’audimat en cherchant toujours à flatter le public dans ce qui est le plus croustillant : le sexe et l’argent. Et transformer les téléspectateurs en voyeurs, en leur permettant de regarder par le trou de serrure de la chambre présidentielle, n’est pas à la gloire des médias ».

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La REVUE CIVIQUE: La sortie du livre de Valérie Trierweiler, « Merci pour ce moment », nouvel épisode surréaliste et sur-dimensionné de « pipolisation » de la vie politique, ne risque-t-il pas de renforcer encore le discrédit de la vie politique et des institutions ?
Corinne LEPAGE : Je peux comprendre qu’une femme soit blessée par une rupture brutale. En revanche, je trouve indigne de sortir un ouvrage qui constitue un assassinat moral d’un Président de la République en exercice relatant une vie conjugale à l’Élysée.

Je pense que la France est suffisamment dans la souffrance aujourd’hui et les institutions publiques suffisamment mises à mal pour que celle qui a bataillé pour être reconnue comme la première dame de France ne se comporte pas comme une héroïne de vaudeville à la recherche de la phrase qui tue. Ceci étant, j’ai tout à fait confiance dans le bon sens de nos concitoyens, qui font la part des choses entre la vie privée et la vie publique et ne sont pas obligés de prendre pour argent comptant les citations que fait Madame Trierweiler de son ex compagnon. L’idéal serait que ce livre, après un lancement en fanfare, termine sa course dans l’indifférence générale.

« Le sexe et l’argent… »

Ce mécanisme vie privée/médiatisation/vie politique, qui semble inéluctable, peut-il néanmoins être limité, et si oui comment ? Les médias, même dits sérieux, peuvent-ils rester en réserve de sujets relatifs à la vie privée, en l’occurrence amoureuse, des responsables politiques ?
Il est clair que ce sont les médias, à commencer par « Paris-Match » dont l’auteure est salariée, qui créent l’événement. Sans doute, pour beaucoup de supports, parler du livre a consisté à inviter des commentateurs et des responsables politiques d’une part pour en dire du mal, d’autre part pour en tirer les conséquences sur la personnalité et la popularité du Président de la République, ce qui revient indirectement à valoriser le livre quant à son contenu. C’est évidemment participer de la course à l’audimat en cherchant toujours à flatter le public dans ce qui est le plus croustillant : le sexe et l’argent. Et transformer les téléspectateurs en voyeurs, en leur permettant de regarder par le trou de serrure de la chambre présidentielle n’est pas à la gloire des médias.

Les médias dont la tâche est d’informer sont-ils pour autant tenu de considérer comme une information a fortiori faisant l’entrée des journaux télévisés, la publication d’un livre sur la vie privée du Président de la République ? Rien n’est moins sûr. Mais le sensationnel et la course à l’audimat l’emportent. De plus, à partir du moment où l’essentiel est de faire parler de soi, que ce soit en bien ou en mal, et que beaucoup sont prêts à passer sur le divan de tel ou tel journaliste pour conquérir le public, tout est possible. Le plus symbolique de toute cette affaire est sans doute que Madame Trierweiler est une journaliste politique et que publiant ce livre, elle a parfaitement conscience de la dégradation volontaire de la chose politique à laquelle elle se livre.

« L’émergence de la société civile en politique »

Cela peut faire l’objet de multiples questions, mais quel serait, aujourd’hui, la première mesure à prendre pour redonner confiance en la politique ?
La détestation de la classe politique, considérée comme arrogante, incompétente et malhonnête, la défiance de quatre Français sur cinq à l’égard des partis politiques, la fragilisation des institutions publiques avec une défiance généralisée sont malheureusement très bien établis. La confiance se mérite, elle ne se décrète pas. En conséquence, elle passe par une transformation profonde des partis politiques, par un bouleversement des institutions et surtout par l’émergence de la société civile en politique.

Il est aujourd’hui indispensable que les hommes et femmes de bonne volonté, qui ont à leur actif une compétence et une volonté de servir l’intérêt général puissent participer à l’exercice du pouvoir. Cette émergence d’hommes et de femmes d’expériences diverses, issus de l’entreprise, des associations, du monde scientifique, est de nature à montrer un vrai changement et donc une nouvelle dynamique qui pourra susciter la confiance. Parallèlement, l’échelon local, celui que nos concitoyens connaissent, doit être le lieu de réappropriation de la confiance, seul lieu à partir duquel une nouvelle construction peut se mettre en place.

Propos recueillis par Paul TEMOIN
(05 septembre 2014)

► La tribune de Jean-Philippe Moinet sur le Huffington Post : « 3 raisons de ne pas lire le livre de mon (ex ?) amie Valérie Trierweiler »