Corinne Lepage émet des réserves sur le plan de relance et déclare à La Revue Civique: « l’écologie n’est pas de gauche ou de droite, elle est devant ».

Ancienne Ministre de l’Environnement et avocate Corinne Lepage détaille, dans cet entretien avec La Revue Civique, son point de vue sur le plan de relance présenté par le gouvernement, plan qui recèle, selon elle, d’importantes lacunes quant à l’orientation affichée de transition écologique. Pour peser à l’avenir dans le débat public et favoriser une prise de responsabilités, cette personnalité indépendante estime qu’un rassemblement des écologistes « pragmatiques » est nécessaire, elle évoque la recherche actuelle de « synergies » avec EELV en perspective des prochaines élections (régionales notamment). Et souligne: « convaincre un nombre croissant de nos concitoyens de la nécessité de confier des responsabilités aux écologistes impose de parvenir à concilier avec une exigence écologiste forte des positions davantage partagées par nos concitoyens sur d’autres thématiques comme la Laïcité, l’ordre républicain, le combat contre l’islamisme radical dont les thématiques et la gouvernance sont l’antithèse des valeurs de l’écologie ». Entretien.

La Revue Civique: le plan de relance qui atteint 100 milliards pour la France, 1700 milliards au niveau européen, est-il selon vous à la hauteur pour relancer efficacement l’économie et limiter la crise sociale liée à la crise sanitaire et au confinement du printemps ?

-Corinne LEPAGE : Ce sont évidemment des sommes astronomiques que l’on a du mal à conceptualiser. La crise du Covid a conduit  l’Europe à accepter de faire ce qu’elle n’avait jamais voulu, à savoir émettre directement des obligations à hauteur de 750 milliards d’euros qui viennent s’ajouter au budget communautaire dont une part non négligeable sera également utilisée pour la relance.

La question posée est celle de savoir comment ces fonds massifs, dont il ne faut pas être grand clerc pour imaginer qu’un deuxième effort de la même importance ne pourra être envisagé, vont être utilisés. Autrement dit, comment lier l’impératif d’éviter la crise sociale majeure à laquelle nous sommes confrontés et la relance de l’activité économique, le financement de la transition absolument indispensable. Si tel n’est pas le cas, et si les sommes sont utilisées pour sauver l’emploi dans des entreprises des secteurs économiques qui sont condamnés à la disparition, alors ces sommes n’auront été que de peu d’utilité car elles ne permettraient, à l’instar de l’exemple du charbon ou de l’acier, que de pouvoir payer des salaires pour des activités vouées à la disparition et non des emplois pérennes dans des activités d’avenir.

 » 70 milliards du plan de relance ne sont pas ‘éco-conditionnés’, ils peuvent parfaitement tourner le dos à la transition écologique ».

-Le plan national présenté par le Gouvernement de Jean Castex consacre 30 milliards à la transition écologique. C’est inédit pour accélérer par exemple la rénovation thermique des bâtiments et contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. Est-ce la bonne direction ? Quelles sont les défauts ou les limites que vous voyez dans le détail de ce plan ?

-C’est effectivement une première en termes d’investissement à laquelle il faudrait ajouter les 40 milliards que va mettre sur la table le secteur financier public pour la lutte contre le dérèglement climatique et l’adaptation. Néanmoins, plusieurs bémols doivent être apportés à cet enthousiasme. D’une part, figurent dans les 30 milliards des investissements qui ne sont pas ceux de la transition : aéronautique, automobile, nucléaire notamment. D’autre part, les 70 milliards restants ne sont aucunement éco-conditionnés ce qui signifie qu’ils peuvent parfaitement être utilisés pour des investissements qui tournent totalement le dos à la transition.

De plus, une fois retirés les sommes revenant à l’automobile et l’aéronautique qui ne s’investissent pas dans la transition ainsi que les 470 millions offerts au nucléaire, figurent dans les sommes restantes des investissements dont l’impact reste à mesurer. Ainsi, les 7 milliards consacrés d’ici 2030 à l’hydrogène ne vont pas à un hydrogène vert, c’est-à-dire issu des énergies renouvelables, mais à un hydrogène bas carbone c’est-à-dire issu du nucléaire. De même, dans les centaines de millions consacrés au volet agricole, avec beaucoup de flou sur la répartition des sommes, le volet « bio » reste très modeste, le volet substitution des pesticides est squelettique alors qu’il s’agit d’une problématique majeure.

Enfin, les sommes consacrées à la rénovation des bâtiments restent très modestes dans le plan de relance ( 2 milliards) mais pourront très probablement être complétées par les sommes prévues dans le plan climat lancé par la BPI. Et strictement rien n’est prévu en faveur des énergies renouvelables et en particulier concernant la mise en œuvre des dispositions de la directive de décembre 2018 qui prévoit la massification de l’autoconsommation collective.

Corinne Lepage évoque des « synergies » en discussion avec EELV.

« Parler de famille écologiste signifie à l’évidence se référer à une palette beaucoup plus large que EELV, c’est-à-dire qui intègre des mouvements écologistes pragmatiques, situés davantage au centre de l’échiquier politique ».

Sur le plan politique en France, la crise sanitaire du coronavirus a amorti, pendant quelques mois, les protestations les plus radicales sans les réduire durablement. Le mouvement de Marine Le Pen reste le premier mouvement d’opposition en France et, à gauche, Jean-Luc Mélenchon se voit une « vocation » de rassembleur. Hors EELV (Europe-Ecologie-Les Verts), les écologistes pragmatiques peuvent-ils se faire entendre et peser, hors de la majorité présidentielle ?

-La politique menée par le gouvernement depuis 2017 est dramatique sur le plan environnemental dans la mesure où nous assistons à un détricotage systématique du droit de l’environnement et des procédures de consultation du public. Les récents succès des écologistes aux élections municipales démontrent que beaucoup de nos concitoyens ne sont absolument pas dupes de cette situation qui consiste à faire dans la réalité le contraire de ce que l’on affirme.

Il est évident qu’un changement d’orientation nécessite un poids beaucoup plus important de la famille écologiste dans les choix politiques afin qu’il ne soit plus possible, comme c’est le cas depuis 2017, de n’avoir qu’un alibi à la place du Ministre de l’environnement. Parler de famille écologiste signifie à l’évidence se référer à une palette beaucoup plus large que EELV, c’est-à-dire qui intègre des mouvements écologistes pragmatiques, situés davantage au centre de l’échiquier politique.

Mais, précisément, mettre en œuvre les conditions qui permettront de convaincre un nombre croissant de nos concitoyens de la nécessité de confier des responsabilités aux écologistes impose de parvenir à concilier avec une exigence écologiste forte, des positions davantage partagées par nos concitoyens sur d’autres thématiques comme la Laïcité, l’ordre républicain, le combat contre l’islamisme radical dont les thématiques et la gouvernance sont l’antithèse des valeurs de l’écologie.

Une organisation encore peu formalisée s’est mise en place réunissant des mouvements écologistes non EELV souhaitant chercher avec EELV  des synergies et une présentation commune aux élections régionales et départementales. L’objectif aujourd’hui n’est pas de se faire plaisir mais de convaincre le maximum de nos concitoyens du bien-fondé  des solutions proposées par les écologistes et d’être ouvert à des discussions avec tous ceux, d’où qu’ils viennent, qui sont convaincus que l’urgence écologique, liée à la question sociale bien entendu, doit primer sur des divisions du passé.

La question n’est pas d’être de droite ou de gauche, la question est d’être de devant, c’est-à-dire de ceux pour lesquels l’avenir est la seule question qui vaille. Cet avenir dira précisément si cette évolution a pu prospérer.

(10/09/20)