Issu d’un milieu très modeste – « dans l’esprit de mon père, la France était une terre fantastique, mes parents m’ont toujours poussés à faire de bonnes études avec les maigres moyens qui étaient les leurs » – Yazid Chir dirige une filiale d’un grand groupe et a cofondé « Nos quartiers ont des Talents ». Une association qui organise le parrainage de nombreux jeunes par des cadres de grandes entreprises. Il nous expose les leçons de son expérience : « Les entreprises réalisent qu’elles gagnent à organiser en interne et à mettre en avant une opération civique telle que celle que nous leur proposons ». [Extraits]
La REVUE CIVIQUE : Quel est votre parcours personnel, et dans quelle mesure a-t-il influencé la naissance de «Nos quartiers ont des talents» ?
Yazid CHIR : On peut dire que je suis un autodidacte. J’ai d’abord obtenu un BTS en micro-informatique, avant de travailler comme directeur commercial pour une société de services. Je suis actuellement le président d’une filiale du groupe Orange, « Neocles », spécialisée dans le « Cloudcomputing », que j’ai cofondée il y a treize ans.
J’ai grandi à Saint-Ouen mais j’ai été conçu en Algérie. Mes parents sont arrivés en France en 1964. Dans l’esprit de mon père, la France était une terre fantastique, et nous devions mesurer la chance qui s’offrait à nous par rapport à beaucoup d’autres. Ils nous ont donc toujours poussés à faire de bonnes études, avec les maigres moyens qu’ils avaient. J’ai créé en 1998 la société Neocles. Et en 2005, on m’a proposé de prendre la présidence du MEDEF 93. J’ai accepté ce poste mais à une condition : nous avons en effet décidé, après plusieurs concertations avec des chefs d’entreprises du 93, de redonner une image positive de ce département. La Seine-Saint-Denis était autrefois un département industriel, puis s’était peu à peu vidé de ses usines. Il a cependant connu un souffle d’oxygène il y a treize ans avec la construction du Stade de France à Saint-Denis. Des infrastructures ont été mises en œuvre, les transports se sont développés… Le département a considérablement muté, et des entreprises ont commencé à délocaliser leurs sièges qui se trouvaient généralement dans Paris même. Aujourd’hui, le département renaît de ses cendres, en passant d’un département industriel à un département centré sur le tertiaire.
Un problème se posait cependant : les entreprises qui s’étaient installées en Seine-Saint-Denis n’embauchaient pas de personnes issues de ce département. Et ces entreprises, œuvrant pour la plupart dans le domaine du tertiaire, cherchent généralement des cadres, donc des diplômés avec un niveau Bac+4. Nous avons décidé de localiser les pépites de nos quartiers, des jeunes au parcours brillant et qui connaissent des difficultés pour rentrer sur le marché du travail. En parallèle, cela nous semblait être un bon moyen de braquer les projecteurs sur ces jeunes issus des quartiers difficiles qui sont en fait intégrés, montrer que beaucoup réussissent malgré les difficultés qu’ils peuvent rencontrer.
Relation de confiance et liberté de parole
Nous avons ainsi lancé en 2005 une première expérience-pilote auprès de 200 jeunes, que nous avons attentivement écoutés. Je repense toujours particulièrement au cas emblématique de Manuela : issue d’une famille de cinq frères et sœurs, elle est la seule de sa famille à avoir pu faire des études. Elle est la fierté de sa famille et de ses copains de cité et s’accroche jusqu’à obtenir un niveau Bac+8-elle est aussi trinlingue-.Lorsqu’elle envoie une première fois son CV à diverses entreprises ciblées, elle ne reçoit aucune réponse. Elle revoit donc ses prétentions à la baisse, mais n’obtient pas plus de réponses. Et ainsi de suite, jusqu’à tenter de trouver un emploi strictement alimentaire : on lui annonce alors qu’elle est surqualifiée. C’est pour éviter que des jeunes travailleurs, acharnés et ambitieux tels que Manuela ne connaissent le même sort que l’association s’est créée. Après avoir discuté avec ces jeunes, nous leur avons organisé des entretiens et des rendez-vous avec 80 grandes entreprises, en deux semaines. Puis, nous avons à nouveau réfléchi: comment donner à ces jeunes les armes nécessaires afin qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes et défendre au mieux leurs chances au cours de ces entretiens ? C’est alors que nous avons pensé à instaurer un système de parrainage tel que celui que nous proposons.
Justement, quels sont les principes de ce parrainage et comment se déroule-t-il concrètement ?
Nous proposons pour chaque jeune un cadre expérimenté, avec plus de dix ans d’expérience. Le guide du parrainage est très précis, avec des engagements par écrit que le filleul comme le parrain sont tenus de respecter. Un premier volet du programme prévoit que le parrain consacre-au moins- deux heures par mois au jeune dont il a la charge. Il s’agit de le former et de le coacher pour de futurs entretiens. Le deuxième volet de ce parrainage passe alors par des mises en contacts et en relations pour le jeune. Mais le parrain n’est pas un recruteur, il n’est pas un DRH face à un candidat. Ceci permet d’instaurer une véritable relation de confiance ainsi qu’une liberté de parole, indispensables à nos yeux.
Le nombre de jeunes qui ont eu l’opportunité de bénéficier de ce programme de parrainage depuis 2005 s’élève à 5200 jeunes en mars 2010, et parmi ces jeunes, 2800 embauchés, soit des augmentations de respectivement 140 et 200% en deux ans. Par ailleurs, le nombre de parrains et marraines, toujours sur la même période, a augmenté de 300%. Au vu de ces bons résultats, diriez-vous que votre association est rentré dans une forme de cercle vertueux ?
Je ne sais pas si l’on peut déjà parler de cercle vertueux. En effet, nous avons, au départ de cette aventure, rencontré des difficultés à trouver des parrains et marraines potentiels. Les entreprises réalisent cependant qu’elles gagnent à mettre en avant une opération civique telle que celle que nous leur proposons. On peut même parler d’une certaine industrialisation du parrainage avec le principe du parrainage collectif, qui implique de nombreux cadres bénévoles dans de nombreuses entreprises.
Des talents au-delà du périphérique…
Mais, et c’est là tout le paradoxe, nous éprouvons actuellement des difficultés à trouver assez de jeunes pour satisfaire toutes les offres de parrainage ! Notre principal challenge est donc de faire connaître notre association mieux encore auprès des jeunes. Nous communiquons bien sûr via les médias, avec par exemple des spots sur France Télévisions ou Trace TV, et via le web, grâce à des partenariats avec divers sites. Mais nous cherchons à toucher les jeunes plus en amont. C’est pourquoi nous avons organisé l’année dernière la première édition des « Rencontres Nos quartiers ont des talents », avec comme principal objectif de faire découvrir aux jeunes notre dispositif durant deux jours. Afin que chacun d’entre eux, une fois son master en poche, puisse directement aller frapper à notre porte. Lors de cette manifestation, nous avons signé un partenariat avec sept grandes universités françaises. Plus de cinquante entreprises étaient présentes, qui ont reçues les jeunes avec un niveau master, mais aussi des jeunes en quête d’orientation (plus de quatre mille en tout). Car nous pensons que la principale discrimination pour ces jeunes est l’orientation qu’on leur propose : personne ne les informe réellement sur les secteurs, les filières qui marchent et qui recrutent. Les prochaines « Rencontres Nos quartiers ont des talents » se dérouleront d’ailleurs les 14 et 15 décembre prochains, au Carrousel du Louvre cette fois. Nous attendons 10 000 visiteurs.
Propos recueillis par Aurélien MATHE
(in la Revue Civique N°6, Automne 2011)