Xavier Bertrand, et le chantier du lien civique à renouer (entretien Revue Civique)

Voici de larges extraits d’un entretien réalisé par la Revue Civique avec Xavier Bertrand, devenu Président de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie. C’était fin 2014, pour un numéro « papier » paru fin janvier 2015, dans lequel s’exprimaient des personnalités diverses comme François Bayrou, Clara Gaymard, l’ancien Premier Ministre Michel Rocard, l’américaine spécialiste du terrorisme, Louise Shelley, ou encore… Charb, que la Revue Civique avait interviewé dans un numéro précédent, alors que les locaux de son journal avaient été incendiés par une attaque djihadiste.

Dans les extraits de cet entretien – diffusé cette fois en numérique (18/12/15), Xavier Bertrand, qui a été le principal adversaire de Marine Le Pen aux élections régionales, s’exprime sur sa vision de la politique, sur les réformes institutionnelles qu’il considère comme majeures pour résoudre la crise politique actuelle, et sur la manière, globalement, de rétablir le lien civique : sujet devenu essentiel, pour rétablir une confiance durable en « les » politiques, dont le rejet est instrumentalisé par le parti d’extrême droite dans toutes les régions françaises. Débat sur un chantier qui reste très ouvert…

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La REVUE CIVIQUE : le rétablissement du lien civique est l’un des sujets qui intéresse (et préoccupe) notre revue. La participation des citoyens à la vie publique est, pour diverses raisons, défaillante en France. Vous avez émis plusieurs propositions visant à réformer nos institutions. Vous souhaitez rallonger la durée du mandat présidentiel, restaurer le service national et développer l’usage du referendum. Pourquoi ces propositions vous semblent-elles si importantes aujourd’hui, alors que nos concitoyens semblent éloignés des questions institutionnelles ?

 Xavier BERTRAND : Ce que j’ai constaté, depuis ma première élection locale, c’est une forme de montée inexorable à la fois de l’abstention et de la contestation. Contestation qui s’exprimait, à un moment donné, par l’extrême gauche et l’extrême droite et qui, aujourd’hui, s’exprime par la seule poussée du Front National.

Le dernier révélateur a été les élections européennes. J’ai vu et compris que Marine Le Pen n’était pas arrivée en tête par hasard mais par la volonté des Français. Elle a réalisé un score avec cinq points d’avance sur l’UMP ! Si on avait connu les révélations sur l’affaire Bygmalion avant ces élections, je suis persuadé que l’extrême droite aurait devancé plus largement encore ma famille politique. Si certains n’ont pas compris ce qui est en train de se produire – non seulement la possible présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, mais aussi le fait qu’elle puisse un jour réussir à gagner des régions et ensuite arriver au pouvoir – ils n’ont alors vraiment rien compris à la vie politique et aux sentiments qui animent les Français.

Pour moi, les européennes ont été le dernier avertissement. Certains ne le comprennent toujours pas, préfèrent se regarder le nombril. Ce n’est pas mon cas, peut être parce que je suis élu de Saint Quentin et d’une terre, l’Aisne, qui a donné son plus gros score au FN (40,2% aux européennes). Je ne parle pas du Vaucluse, du Var, des Bouches du Rhône ou des Alpes Maritimes… mais de l’Aisne ! Ce qui montre bien qu’on doit faire face à un phénomène, où des citoyens disent ne plus croire les politiques, pensent qu’il n’y a plus d’avenir, qu’ils se sentent abandonnés par leurs représentants. Ces Français se voient rayés de la carte, devenir invisibles et, pour certains d’entre eux, prêts à essayer les idées du FN en se disant : « On a essayé la droite, on a essayé la gauche, ça n’a rien donné. Alors, on va essayer le FN !» S’installe ainsi un vote d’adhésion pour le FN, même s’il n’est pas encore majoritaire parmi son électorat.

J’ai ainsi pris conscience que les réformes institutionnelles, si elles ne sont pas des solutions directes aux problèmes rencontrés au quotidien par les Français, sont le préalable indispensable aux réformes et au retour de la confiance dans notre pays.

Au soir du deuxième tour des élections régionales, Xavier Bertrand a eu le triomphe modeste et lucide. Le mieux élu de sa famille politique avec près de 58 des voix dans une région qui était, 15 jours plus tôt, estimée à 50-50 par les instituts de sondages. Un réveil citoyen s'est largement produit entre les deux tours dans cette région Nord-Picardie, où le FN récupère tous types de protestations.

Il y a aussi, aux élections intermédiaires ou partielles, un vote de colère canalisé par le FN, une sorte de « coup de pied dans la fourmilière » ?

Il y a à la fois un vote d’adhésion et un vote de contestation, c’est vrai. Une grande partie des électeurs du FN n’a pas réellement envie que Marine Le Pen arrive au pouvoir mais considère que voter FN est le meilleur moyen d’exprimer sa colère et son rejet des politiques. Les Français, ne sont d’ailleurs pas dans le rejet de « la » politique. Ils sont dans le rejet « des » politiques. Nous sommes et restons l’un des peuples les plus politiques au monde.

Peuple passionné de politique, et en grande défiance vis-à-vis des politiques : c’est schizophrénique, non ?

Les Français sont passionnés de politique mais la politique d’aujourd’hui les dégoûte. Il faut cerner le problème, le comprendre, pour pouvoir apporter des solutions. Mes propositions découlent de ce raisonnement. Aujourd’hui, les politiques n’ont plus de vision, n’incarnent pas l’exemplarité et n’obtiennent pas de résultats. 5,5 millions de personnes sont d’une façon ou d’une autre sans emploi, le pays a 2000 milliards d’euros de dettes et un sentiment d’insécurité, diffus dans le pays, est très présent dans certains quartiers. Voilà pourquoi, aujourd’hui, on est à deux doigts du collapse démocratique.

En quoi le rallongement du mandat présidentiel, que vous proposez, répond à ce problème ?

J’ai essayé de comprendre comment on en était arrivés là. Pas de résultats car pas de vraies réformes, pas de courage politique: pendant très longtemps, on s’est dit qu’on n’avait pas besoin de réformes drastiques, la France étant un grand pays, à qui on prêterait toujours de l’argent pour combler les déficits publics ou sociaux… Aujourd’hui, c’est terminé, on le sait depuis la crise de 2008 et les Français en  prennent, définitivement et collectivement, conscience à présent.

Même celui qui est courageux a du mal, en France, à entreprendre les réformes. D’abord, du fait du passage à 5 ans de la durée du mandat présidentiel. Et l’entrée dans un système à l’américaine, avec les primaires, qui réduit cette durée de près d’une année supplémentaire, passant ainsi de 5 à 4 ans. Je propose donc que l’on revienne au septennat pour redonner un temps long et une fonction puissante au Président de la République. Qui doit avoir une durée de mandat plus importante que celle des parlementaires. Mais le vrai poison de la Présidence de la République, c’est l’obsession de la réélection. C’est pour cela que je suis également favorable au mandat présidentiel unique. On aurait alors un Président qui chercherait davantage à faire les réformes qu’à plaire à tout le monde, et à tout prix, y compris celui de l’immobilisme.

(…)

Mais revenir au septennat, cela ne risque-t-il pas de renforcer le syndrome de « l’hyper-présidence » (rendu effectif sous le mandat de Nicolas Sarkozy), à tendance autocratique et monarchique ?

Non, je ne le pense pas. Ceux qui avaient pensé que l’on casserait le côté « monarque républicain » de notre Constitution en passant au quinquennat se sont complètement trompés. Cela n’a rien changé, peut être même cela a t-il accentué les choses, avec une médiatisation à outrance.

 Vous êtes audacieux dans vos propositions, et singulier…

Et seul parfois, parmi les autres candidats qui sont beaucoup plus conservateurs dans ce domaine ! En fait, à droite, personne ne contribue à ce débat. Mais je suis très étonné de voir que parmi les élites parisiennes, ce débat ne semble pas prioritaire. Alors que je vois, dans ma ville de Saint-Quentin comme dans mes déplacements en province, que les Français sont très favorables à une réforme institutionnelle audacieuse, et au septennat non renouvelable.

 Vous souhaitez aussi un usage plus fréquent du referendum, ce qui fait penser à une nouvelle forme de césarisme républicain. Est-ce cela la rénovation de la démocratie française ?

Dans la tradition française, les Présidents, à l’exception de De Gaulle qui était un  homme exceptionnel, ont eu peur du referendum. Peut-être pensaient-ils que les Français ne répondraient pas à la question posée et qu’une défaite allait affaiblir leur fonction. Mais dans un système où un Président élu ne se représente pas, le referendum peut redevenir un outil très important, la peur d’un éventuel vote-sanction étant elle-même affaiblie. Car c’est bien le sujet soumis à référendum qui doit prévaloir. Je préfère mille fois une respiration démocratique en cours de mandat plutôt qu’une contestation sourde, qui se transforme soit en désintérêt complet pour la politique, soit, ce qui serait tragique, en violence.

Mais le referendum court-circuite des parlementaires élus, eux aussi…

Parfois, cela peut les court-circuiter et je l’assume. Parce que les Français sont mille fois moins conservateurs que ne peuvent l’être les corps intermédiaires, à l’image des partenaires sociaux au niveau national. Un exemple : pour supprimer une couche du mille feuilles politico-administratif, si vous ne le faites pas par referendum, cela ne se fera jamais. Vous ne pouvez pas demander aux parlementaires, en même temps conseillers généraux, de scier la branche sur laquelle ils sont assis. C’est humainement quasiment impossible (…)

Le referendum d’initiative populaire, c’est une vieille proposition du FN de Jean-Marie Le Pen…

Ils n’ont pas dû en pratiquer beaucoup au FN, notamment pas pour l’élection de leur présidente…

En tout cas, c’est un de leurs thèmes de prédilection, alimentant le national populisme qui cherche à opposer « le peuple » (qui a forcément toujours raison) aux « élites », qui « trahissent » le peuple…

La différence c’est que je suis favorable à une majorité, qui s’exprime et donne le « la » de la démocratie. Toute la différence entre une consultation populaire et le populisme c’est que le populisme suit le peuple. Je pense que le politique a vocation à incarner le peuple.

Vous distinguez démocratie représentative et démocratie participative ?

Oui, et démocratie « impérative » aussi. La démocratie participative, c’était l’idée de Ségolène Royal en 2007 mais cela s’assimilait à un déficit d’idées de la part du politique, qui demandait aux Français de lui en donner… Moi, j’ai des idées et des propositions, que je veux faire valider. Par le referendum d’initiative populaire, il faut notamment faire respirer un système politique qui est complètement essoufflé. J’y crois aussi sur le plan local et je suis en train de mettre en place, dans ma ville de Saint-Quentin, de nouvelles instances de démocratie de proximité, des conseils de quartier, de la vie associative, faisant participer les seniors, les jeunes, les acteurs du commerce,… Ce que je dis au niveau national, je le mets en place, et le teste, chez moi, dans une terre, la Picardie, qui connait encore plus fortement qu’ailleurs les difficultés mais qui a aussi en elle des solutions qui pourront émerger dans le cadre de ces instances.

Comment voyez-vous le rôle du citoyen-adhérent d’un parti comme l’UMP (devenu LR) ? Et la place du sympathisant en terme de participation future à la désignation  du prochain candidat à la présidence de la République ?

Je suis clairement pour un système de primaires partout et pour tous. Pour tous les adhérents, pour tous les sympathisants, la primaire visant à désigner tous les candidats et tous les responsables. Mon constat est le suivant : la France est un pays trop centralisé, trop parisien, trop vertical. Si on veut faire respirer notre  pays et lui redonner une nouvelle dynamique, il faut aussi écouter, et donc partir du terrain.

 C’est une révolution culturelle pour une formation comme l’UMP (devenue LR), en partie de culture bonapartiste où « le chef » est « la » référence ?

Oui, mais c’est une révolution nécessaire. J’ai connu une forme de centralisme démocratique du temps du RPR. L’époque a beaucoup changé. La France a changé mais les partis politiques, eux, n’ont pas changé. Je pars du principe que si un responsable, quel qu’il soit, n’a pas la confiance de ses concitoyens et, pour un parti, de ses adhérents, il ne peut pas être responsable. Je suis pour la suppression totale des commissions d’investiture, constituées « en haut ». Il faut donner le pouvoir aux adhérents.

Il faudra aussi une primaire grande ouverte à tous ceux qui se reconnaissent simplement dans les valeurs de la droite et du centre. Ce sont eux qui  désigneront le prochain candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle.

Propos recueillis par Paul TEMOIN

DEUX PERIODES, DEUX IMAGES…  :

L'affiche de campagne de Xavier Bertrand pour les élections régionales dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Le travail, première préoccupation régionale, et nationale.

Quelques années auparavant, Xavier Bertrand était Ministre des Affaires Sociales et le 1er dirigeant de l'UMP sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Un livre, "Le chouchou", signé Christophe Jakubyszyn et Muriel Plenet (Ed Anne Carrière), évoque le parcours personnel et politique de cet homme, que ses rivaux ont bien sous-estimé...