La question institutionnelle et de la rénovation de notre démocratie devrait être l’une des questions-clés de la prochaine campagne de l’élection présidentielle. Enseignant à Sciences Po et l’Inalco, Patrick Martin-Genier, auteur du livre « Vers une VIème République. Ou comment refonder la Vème République » (éd Studyrama), répond à nos questions.
-La Revue Civique : votre livre en appelle à une refondation de la Vème République, pour instituer une VIème République ? Pourquoi ? Dans quelles mesures les institutions voulues par le général de Gaulle sont, à vos yeux, obsolètes ?
-Patrick MARTIN-GENIER : Les institutions de la Vème République ont été créées dans un contexte de crise institutionnelle majeure avec les évènements d’Algérie (le putsch d’Alger le 13 mai 1958). Le général de Gaulle est investi dernier Président du Conseil de la IV° République, le 1er juin 1958, dans une ambiance de coup d’Etat. Au cours de l’été 1958 vont être mises sur place les institutions du futur régime de la Vème République par un club restreint de proches du général de Gaulle en toute discrétion, voire dans le secret le plus absolu, avec des gens qui serviront son régime, même très longtemps après sa mort. La Constitution voit le jour le 4 octobre 1958. Ce texte constitutionnel, qui sera par la suite soumis au référendum, crée un pouvoir quasi absolu en faveur d’un homme, le général de Gaulle qui estimait qu’il incarnait la seule légitimé en France en sa qualité de libérateur de Paris.
Depuis le mois de janvier 1946, où il a été obligé de quitter le pouvoir, il n’avait eu de cesse de croire en son retour au pouvoir, rapidement. Il aura fallu attendre douze ans et que la France soit sur le point de basculer dans l’anarchie pour qu’il réalise cet objectif. La crise de mai 1958 lui en donna l’occasion inespérée. Pourtant, la IVème République n’avait pas démérité- loin de là- et si on invoque son instabilité chronique due au mode de scrutin, elle n’en a pas moins à son actif de belles réalisations notamment les traités de Rome et de la CECA mais aussi le début de la recherche nucléaire. Que la IVème République s’écroulât fut une aubaine politique pour le général de Gaulle.
Ces institutions furent donc créées dans un contexte exceptionnel pour un homme d’exception en créant-si j’ose dire- des institutions d’exception. Charles de Gaulle n’acceptait pas que son pouvoir soit contesté. Aujourd’hui, plus de soixante ans après, on s’aperçoit que personne n’a les habits pour endosser le pouvoir quasi-absolu du président de la République. Des hommes politiques « ordinaires », des responsables politiques banalisés et affaiblis par de multiples affaires, comme dans les autres grandes démocraties occidentales, ne peuvent continuer à exercer un pouvoir bien évidemment devenu excessif.
La présidentialisation du régime a été un fait marquant depuis soixante ans par la personnalité du général de Gaulle, l’élection du président de la République au suffrage universel direct dès 1962, l’instauration du quinquennat en 2000 qui a renforcé le caractère présidentialiste du régime, les députés n’ayant plus aucune légitimité propre par rapport à celle du Président de la République. Le pouvoir parlementaire a été muselé et les députés ont peu à peu été privés de leur pouvoir de contrôle du pouvoir exécutif par des dispositions autoritaires dites de « parlementarisme rationalisé » telles que les article 44-3 (vote bloqué) et 49-3 (vote sans discussion possible sauf vote d’une motion de censure). La réforme constitutionnelle du mois de juillet 2008-la plus importante de la Vème République-n ’a hélas pas stoppé cette tendance de fond.
Sous la Vème République, « la démocratie a été étouffée, une élite politico-administrative a confisqué le pouvoir, les instances de concertation sont au point mort et le référendum conçu comme un instrument plébiscitaire ».
Le pouvoir considérable d’un seul homme a réduit le premier ministre au rang de simple « collaborateur » (terme de Nicolas Sarkozy) ou de chef de cabinet chargé de l’intendance alors que ce dernier, selon la Constitution, « dirige le gouvernement ». Le vrai chef du gouvernement est bien évidemment le Président de la République qui ne rencontre pour ainsi dire aucun contre-pouvoir effectif si ce n’est le Conseil constitutionnel sur le plan juridictionnel et le Sénat, chambre haute, organe politique, qui n’a pas le dernier mot sur les projets de loi présentés par le gouvernement.
La démocratie a été complètement étouffée, ce qui a été accentué par la fusion d’une élite politico-administrative qui a confisqué le pouvoir et qui n’écoute plus le peuple. Les instances de concertation sont au point mort et le recours au référendum a toujours été conçu dans la Vème République comme un instrument plébiscitaire en faveur d’un homme (à l’exception toutefois du quinquennat).
-La prochaine élection présidentielle doit être l’occasion d’ouvrir largement le débat sur ce thème de réforme, estimez-vous. Mais d’autres préoccupations – crise sanitaire, enjeux sécuritaires, relance économique, immigration, environnement… – ne vont-elles pas, avec le surgissement de sujets inattendus (souvenons-nous des « affaires Fillon » en 2017) occulter cette importante question institutionnelle et démocratique ? Comment, selon vous, en faire une question citoyenne ?
-L’élection présidentielle est l’élection phare de la Vème République qui a des répercussions sur toutes les autres, en premier lieu sur les élections législatives. Il faut donc aujourd’hui en parler sachant qu’en effet, toutes les autres préoccupations sont présentes, économiques, sociales, santé etc. La pandémie de Covid-19 a renforcé la concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif et le Parlement n’y a pas été suffisamment associé. En revanche, on a assisté à une montée en puissance non seulement du juge constitutionnel mais également du juge administratif qui s’est affirmé comme le véritable protecteur des libertés publiques. Cette judiciarisation de la vie politique est un aveu d’échec de la Vème République.
La crise de gilets jaunes aurait été l’occasion unique de redonner une vigueur à la Vème République. Face à la crise politique majeure que nous avons connue, le Président aurait dû adopter un réflexe gaullien qu’il n’a pas osé avoir : dissoudre l’Assemblée nationale afin de reconquérir une nouvelle légitimité mise à mal par ces manifestations et ces violences dans tout le pays. En mai 1968, le général de Gaulle l’avait fait et le peuple lui avait redonné une écrasante majorité. Si cette élection avait eu lieu, sa légitimité n’aurait pas été contestée jusqu’à aujourd’hui. Un référendum aurait-il été possible ? Oui pourquoi pas mais il aurait encouru le reproche d’un réflexe plébiscitaire et donc le risque d’un vote négatif.
Aujourd’hui beaucoup de Français de droite comme de gauche ont l’impression d’être les oubliés d’un vrai débat institutionnel, que leur voix ne compte pas. Proposer qu’un débat soit organisé hors les partis politiques ou avec eux me paraîtrait une bonne chose.
-Le Président de la République Emmanuel Macron a envisagé, en 2018, une réforme institutionnelle (avec plusieurs mesures comme la limitation du cumul des mandats dans le temps, la réduction du nombre de parlementaire, l’introduction d’une dose de proportionnelle) qui n’a pas pu aboutir, ont expliqué ses proches, à cause d’un blocage par le Sénat. Selon l’article 89 de la Constitution, la réforme des institutions se réalise par une majorité qualifiée au Congrès (qui réunit les deux assemblées parlementaires). Un moment tenté par la voie du référendum (après la crise des Gilets Jaunes) pour réformer à la manière gaullienne les institutions, il a finalement renoncé, certains de ses proches lui disant qu’un référendum, au-delà de la question posée, aurait pu se retourner contre lui. Ce renoncement va-t-il été une erreur, une occasion manquée ?
-Oui cela a été une occasion manquée mais le Président de la République porte une lourde responsabilité. Une institution démocratique a été pointé du doigt, le Sénat. Un référendum d’une telle importance ne se conçoit sans concertation, puisque le Président ne peut plus recourir directement au référendum de l’article 11 mais doit associer le Sénat sur le fondement de l’article 89 de la Constitution, qui exige l’accord de la haute Assemblée pour la réforme constitutionnelle sur les termes de la réforme proposée. Cela ne s’est pas réalisé. Le tort du Président de la République a été de vouloir prendre à revers le Sénat en recourant à une convention citoyenne qui aurait été à l’origine directe de la réforme constitutionnelle liée à l’Environnement et l’écologie. Ce fut une erreur fatale. Que le chef de l’Etat consulte une convention citoyenne sur le Climat, qui fut tout de même très encadrée, était une bonne chose. Qu’il l’utilise pour court-circuiter le Sénat a été funeste et ce dernier n’a pas laissé passer car institutionnellement ce n’était pas envisageable. »
« Aujourd’hui il faut tout revoir, faire revivre les ressorts d’une vraie démocratie parlementaire, en redonnant au Parlement la place qu’il a perdue en rééquilibrant les pouvoirs »
-Le chef de l’Etat a en effet institué une expérience participative avec « une assemblée citoyenne » (panel de citoyens tirés au sort) sur le Climat, s’ajoutant au dispositif classique de démocratie représentative (Parlement). Instaurer des formes de participation directe des citoyens, est-ce selon vous une bonne direction ou une orientation insuffisante, voire démagogique (le parti d’extrême droite, FN, avait souvent évoqué le référendum d’initiative populaire pour l’employer par exemple sur l’immigration et la peine de mort) ?
-J’ai déjà en partie répondu à la question. Le referendum citoyen est une bonne chose. Il est toutefois trop difficile à manier et il faut être prudent sur les questions posées à l’électeur. Il ne s’agit pas de court-circuiter les institutions représentatives. Les membres de la Convention sur le climat ont été instrumentalisés et ils ne s’en sont aperçus que bien plus tard. Ils ont été largement déçus du nombre des propositions retenues et le fait de les avoir reçus dans les jardins de l’Elysée n’a hélas pas calmé leur mécontentement alors qu’ils estimaient sincèrement inspirer, voire télécommander, la réforme constitutionnelle.
Il conviendrait d’introduire dans la Constitution une disposition « cliquet » au terme de laquelle aucun référendum pourrait être effectué qui diminuerait les libertés publiques ou sur une question qui serait en violation avec la Convention européenne des droits de l’Homme, comme le retour à la peine de mort par exemple.
Aujourd’hui, il faut tout revoir, faire revivre les ressorts d’une vraie démocratie parlementaire, en redonnant encore au Parlement la place qu’il a perdue en rééquilibrant les pouvoirs entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Il est aussi indispensable de redonner au chef du gouvernement le sens de sa mission première. Il conviendrait aussi de réformer le Conseil constitutionnel afin d’élargir le mode de désignation de ses membres en y associant le Parlement, enfin donner un nouveau souffle à la « République décentralisée ». Si toutefois, rien n’avançait, il serait alors temps de passer à autre chose, un nouveau régime : la VIème République qui pourrait être un nouveau régime parlementaire classique avec la stabilité politique (les opposants à toute réforme affirment avec la plus parfaite mauvaise foi qu’il s’agirait de revenir à la IVème République) ou un régime présidentiel à l’américaine, qui est très démocratique du fait de l’existence d’un réel équilibre des pouvoirs.
Il me semble que la crise institutionnelle majeure que nous avons vécu depuis 2017 rend possible une refondation de la démocratie française.
Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET
(16/09/21)