Pierre Larrouturou : l’urgence d’une « nouvelle donne »

Pierre Larrouturou

[EXTRAIT] Le Président de « Nouvelle Donne », mouvement récemment lancé à gauche pour renouveler le débat et l’offre politique, explique ici les raisons de son engagement. Pierre Larrouturou, entouré de personnalités de la société civile, a rompu avec le PS car, dit-il, les partis classiques sont « incapables de changer leurs mauvaises habitudes » : « Nous assistons à un énorme rejet des formations politiques classiques, c’est même un ras-le-bol! » déclare-t-il, tout en tirant le signal d’alarme d’une grande récupération protestataire par le Front National, aux prochaines élections européennes. Son analyse : « Si la crise dure trop longtemps et les politiques nous prennent pour des cons, le cerveau reptilien cherchera des bouc-émissaires. Nous avons tous également un cortex humain, qui a envie de justice sociale, de fraternité. Le rôle du politique est de s’adresser au cortex humain plutôt que d’exciter le cerveau reptilien ». Entretien.

La REVUE CIVIQUE : En quoi est-ce important, aujourd’hui, de renouveler l’offre politique, et pourquoi le faire en contournant les partis classiques, en rompant avec le vôtre, le PS ?
Pierre LARROUTUROU : Nous assistons à un énorme rejet des formations politiques classiques ! L’enquête du CEVIPOF le montre, les bonnets rouges le montrent, il y a une colère qui monte aux quatre coins du pays. Et en même temps, il y a une impressionnante attente de politique, de réflexions collectives. Nous avons eu une réunion, à Besançon récemment, où il y avait plus de 500 personnes présentes, alors que nous avions raté la médiatisation de l’évènement : nous avons été obligés d’ouvrir un étage pour ce débat sur la lutte contre le chômage et la précarité ! Et c’est partout pareil. On peut s’en sortir ! Ce n’est pas encore foutu. Nous sommes dans un pays où les gens continuent à croire en la politique. L’enquête du CEVIPOF montre que la confiance en la politique remontait avant la présidentielle de 2012. Elle s’est effondrée depuis, sans doute parce que ce qui a été fait depuis 18 mois ne correspond pas à ce que les citoyens attendaient. Mais, malgré tout, ce que disait Pierre Mendès France il y a cinquante ans est toujours d’actualité : « le peuple attend, il n’en peut plus d’attendre. Le peuple espère, il n’en peut plus d’espérer ».

D’où viennent les gens qui assistent à vos réunions, à « Nouvelle Donne » ?
Certains ont déjà milité pendant dix ou vingt ans (au PS, chez les Écologistes, au Modem, au Front de Gauche…) mais on voit aussi des gens dont c’est le premier engagement. À Besançon, il y avait une étudiante de 19 ans qui est venue avec ses parents. Ils ont fait 130 kilomètres pour venir ! Quand on dit que les jeunes ne s’intéressent plus à la politique, je réponds : ça dépend ! Si la politique, c’est simplement dire que l’autre est mauvais ou idiot – comme dans certains débats à la télévision – quand c’est un combat personnel entre Copé et Fillon, quand c’est le PS qui tape sur l’UMP ou vice-versa, même moi qui suis passionné par la politique, je n’en peux plus ! Mais quand nous prenons trois heures pour parler entre citoyens adultes de ce que l’on peut faire contre le chômage et la précarité, pour le climat ou le logement, les gens sont présents et le débat est passionnant.

Parler entre citoyens adultes

Mais pourquoi faut-il, pour cela, sortir des grands partis du gouvernement ?
Parce qu’ils se sont habitués à dire des choses fausses et à fonctionner en vases clos. Je pense qu’une des premières clés pour reconstruire de la confiance et de l’engagement, c’est de dire la vérité. « La vérité guidait leurs pas » est un grand livre de Pierre Mendès France. La question de la vérité est fondamentale et nous avons des gouvernements qui mentent.

En période de crise, il est peut-être plus difficile de dire la vérité ; les Français sont-ils prêts à l’entendre ?
Je pense au contraire que les citoyens n’en peuvent plus des mensonges. Quand Pierre Moscovici affirme que tout va bien alors que deux jours plus tôt tous les journaux annoncent que le nombre de faillites atteint un sommet et que le FMI dit qu’il y a quatre bombes dans l’économie mondiale, il ment. Quand on voit dans tous nos quartiers, des femmes et des hommes qui dorment dans la rue ou qui cherchent de la nourriture dans les poubelles, entendre un ministre dire « ne vous inquiétez pas, tout va bien », ça énerve !

Vous croyez que les Français sont disposés à entendre un discours d’effort collectif pour sortir de la crise ?
Que ce soit pour l’entreprise ou pour les citoyens, le discours de vérité doit s’imposer : c’est aux politiques de dire, « voilà ce qui est possible, voilà ce qui ne l’est pas », « voilà pourquoi la crise n’est pas finie mais voilà comment, en se retroussant les manches, on peut en sortir. La voie est étroite mais ça va passer ». Ce n’est pas le Monarque, seul à l’Élysée, qui décide d’un plan d’action. S’il suffisait de petits changements à la marge, nous pourrions accepter un fonctionnement « vertical ». Mais comme il faut radicalement changer nos modes de vie, changer l’organisation du travail dans l’entreprise, retisser la cohésion sociale, il faut que soyons des millions à nous retrousser les manches ! La bonne nouvelle, c’est que nous sommes déjà des millions à comprendre que la crise est grave, que le dérèglement climatique et la lutte contre les inégalités sont des questions essentielles et urgentes.

Le cerveau reptilien
et les boucs-émissaires

Nous sommes dans une crise historique. Ce n’est pas la faute de Jean-Marc Ayrault ou de François Hollande (à 80%, la crise est la même aux États-Unis ou au Japon…) mais c’est leur faute s’ils empêchent la sortie de crise parce qu’ils mentent aux citoyens, qu’ils les énervent, et que chacun se recroqueville sur son « pré carré ». Nous avons tous un cerveau reptilien qui cherche des bouc-émissaires et cherche la castagne. Nous avons tous aussi un cortex humain, qui a envie de justice sociale, de fraternité, d’intelligence. Le rôle du politique est de s’adresser au cortex plutôt que d’exciter le cerveau reptilien.

On a l’impression qu’en France nous avons quand même plus de difficultés qu’ailleurs avec le discours de vérité, notamment sur les enjeux économiques et budgétaires, la mondialisation des échanges, non ?

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Propos recueillis par Paul TEMOIN
(In La Revue Civique n°13, Printemps 2014)  

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