C’est l’un des grands chantiers promis par Emmanuel Macron au cours de sa campagne présidentielle, l’une des réformes les plus attendues initiées par le nouveau chef de l’État. La réforme du Code du travail par ordonnances était présentée (à partir du 10 juillet) à l’Assemblée nationale. Marie-Anne Cohendet, professeure à l’Ecole de droit de la Sorbonne (université Paris 1) et directrice de l’Ecole doctorale de droit de la Sorbonne, auteur du manuel Droit constitutionnel (LGDI, à paraître en septembre 2017) analyse la pratique des ordonnances dans la Vème République, pratique qui s’est répandue à partir du début des années 2000. (extraits de propos recueillis par le Monde, du 08.07.2017).
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Une récente inflation des recours aux Ordonnances
« De 1958 à 2000, les ordonnances sont utilisées de manière exceptionnelle : on ne compte en moyenne qu’une loi d’habilitation par an. Depuis 2000, ce chiffre a en revanche été multiplié par neuf ! Comme chaque loi d’habilitation peut conduire à plusieurs ordonnances, on en observe un grand nombre sous le second mandat de Jacques Chirac (2002-2007) et celui de Nicolas Sarkozy (2007-2012) : 52 ordonnances ont été adoptées en 2004, 83 en 2005, 136 sous le mandat de Nicolas Sarkozy, soit 27 par an en moyenne. A trois reprises, au cours des années 2000, on a même observé un nombre d’ordonnances annuel plus élevé que le nombre de lois, hors ratification des traités.
Les délais accordés au gouvernement pour prendre les ordonnances se sont en outre allongés : ils étaient au départ de quelques mois, ils sont à présent en moyenne d’un an et ils vont parfois jusqu’à vingt-quatre, voire trente mois. Enfin, les matières dans lesquelles le Parlement autorise le gouvernement à intervenir sont de plus en plus vastes : de nombreux codes (neuf en 2000) et de nombreuses directives de l’Union européenne (48 rien que dans la loi d’habilitation de 2001) ont été adoptés ou transposés par cette voie.
Des pans entiers de la législation sont ainsi livrés au gouvernement en matière de santé, d’éducation, de commerce, d’environnement et d’action sociale. Le droit du travail a été plusieurs fois concerné – trois ordonnances ont été adoptées sous la première cohabitation en 1986, la refonte du code du travail en 2007. Ce mouvement conduit non seulement à une quasi-confiscation des pouvoirs du Parlement mais aussi à un travail de rédaction de très mauvaise qualité. Ces textes sont souvent préparés dans l’urgence par des cabinets ministériels, sans véritable concertation pluraliste et approfondie. D’où la formule du constitutionnaliste Guy Carcassonne : ‘les ordonnances sont la preuve que, pour faire de bonnes lois, on n’a encore rien inventé de mieux que le Parlement’.
Les amendements, des garde-fous à la disposition des parlementaires
La procédure d’adoption d’une ordonnance comprend plusieurs étapes. Tout d’abord, le gouvernement, réuni en Conseil des ministres, définit le thème sur lequel il souhaite modifier la législation et adopte un projet de loi d’habilitation. Ce texte, qui doit être suffisamment précis sur les points qu’il entend toucher, indique le délai dans lequel l’exécutif est autorisé à empiéter sur le domaine du législatif. Dans le cas de la réforme du code du travail du gouvernement d’Edouard Philippe, l’avant projet de loi d’habilitation autorise l’exécutif à prendre ‘des mesures pour la rénovation sociale’ dans ‘un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi’.
Lorsque ce texte lui sera soumis, le Parlement pourra, par la voie d’amendements à la loi d’habilitation, mettre des garde-fous au pouvoir de l’exécutif en précisant, par exemple, les points sur lesquels le gouvernement pourra intervenir (…)
Une fois la loi d’habilitation votée, les détails des ordonnances seront arbitrés à l’issue des négociations avec les syndicats prévues cet été. Les ordonnances seront ensuite adoptées par le gouvernement en Conseil des ministres. Ce sont des actes administratifs dont la légalité pourra être contestée devant le Conseil d’Etat. Le gouvernement déposera ensuite un projet de loi de ratification devant le Parlement. Si ce dépôt n’est pas fait dans les temps, les ordonnances deviendront caduques. Si le dépôt est fait dans les temps et que la ratification est inscrite à l’ordre du jour, le Parlement votera une loi de ratification qui transformera ces actes administratifs en lois. Une fois que les ordonnances seront devenues des lois, le Conseil constitutionnel pourra être saisi pour contrôler leur constitutionnalité.
Une méthode antidémocratique ?
On ne peut pas dire que la procédure des ordonnances soit totalement antidémocratique : le Parlement est certes réduit à la portion congrue mais il vote à deux reprises – une première fois au début de la procédure pour la loi d’habilitation, une seconde fois à la fin de la procédure pour la loi de ratification. Il peut donc refuser de ratifier les ordonnances ou les modifier, y compris lors de la loi de ratification.
Dénoncer ‘un scandale antidémocratique’ est donc un peu excessif. En revanche, cette procédure risque d’affaiblir encore davantage le Parlement. Un risque d’autant plus fort qu’Emmanuel Macron dispose déjà d’une majorité très forte et que la gauche et la droite risquent de se diviser ».
(Juillet 2017)