Michel Mercier : « Rapprocher Justice et citoyens»

Une tribune du Garde des Sceaux

Dans cette tribune, le Ministre de la Justice évoque une série de réformes qui font « du rapprochement des citoyens et de la justice, un axe majeur d’action » écrit-il. Michel Mercier développe, sur ce thème, un plaidoyer qui énumère les mesures prises ces dernières années, qu’il s’agisse de l’accès au droit, des recours en constitutionnalité ou de « la participation accrue du citoyen à l’œuvre de justice » – qui renforce « l’implication civique de nos concitoyens » – avec les nouveaux citoyens-assesseurs de justice. Le Garde des Sceaux évoque aussi « la procédure nouvelle » qui doit offrir aux citoyens « la possibilité d’apporter leur soutien à une proposition de loi pouvant être soumise à un référendum national ». Il conclut sur un autre volet d’action, visant à donner « une impulsion au travail d’intérêt général. Cette alternative à l’incarcération est très symbolique de la reconstruction du lien social » écrit-il, soulignant «le rôle déterminant » de la Justice « dans le maintien de notre cohésion sociale ».

 

Notre justice constitue l’un des piliers de notre pacte républicain parce qu’elle permet à chacun de faire reconnaître ses droits ; parce qu’elle règle les litiges qui touchent à la vie quotidienne ; parce qu’elle sanctionne au nom de la société les auteurs de crimes ou de délits et apporte des réponses aux victimes de ces infractions.
Nos concitoyens expriment, dès lors, des attentes très fortes à l’égard de l’institution judiciaire. La justice reste pourtant un univers complexe que nos concitoyens peinent à appréhender. Ce sentiment d’une justice parfois lointaine, difficile à comprendre, dont le temps de réponse peut paraître long, ne peut ni ne doit perdurer.
C’est pourquoi, depuis plus de quatre ans, le Gouvernement a engagé des réformes d’ampleur, faisant de la modernisation de la justice une priorité, et du rapprochement des citoyens et de la justice un axe majeur d’action. Cet engagement pour la justice s’inscrit dans un projet plus large de modernisation de nos institutions, afin que nos concitoyens soient toujours mieux protégés et que leur place dans l’espace public soit reconnue et renforcée. Ce quinquennat aura été marqué par des avancées particulièrement emblématiques en ces domaines, qui contribuent à l’approfondissement du pacte républicain.

I. En quelques années, nous avons profondément rénové notre justice, améliorant le service rendu au justiciable tout en assurant la meilleure garantie des droits et libertés.

1. Grâce à cette dynamique de réforme, notre justice est aujourd’hui à la fois plus efficace, plus accessible et plus proche.

L’accès à la justice est, en effet, une garantie essentielle dans un Etat de droit et, selon la formule de la Cour européenne des droits de l’Homme, « dans une société démocratique ». Face au défi de la complexité du droit et d’un contentieux toujours croissant, il était indispensable de faire évoluer l’institution judiciaire pour garantir la lisibilité et l’accessibilité de notre justice. Cet engagement a été tenu : et aujourd’hui, grâce à la réforme de la carte judiciaire, nous disposons d’une organisation judiciaire plus claire ; grâce à un programme immobilier sans précédent, les lieux de justice ont été rénovés, permettant un meilleur accueil de nos concitoyens ; et avec la simplification de nos règles de droit, nos procédures sont à présent plus lisibles. Faciliter la vie de nos concitoyens, leur garantir l’accès effectif à la justice et au droit a constitué un objectif majeur de notre action. La réforme de la représentation devant les Cours d’appel, inscrite dans la loi du 25 janvier 2011, permet ainsi que les justiciables soient représentés, tant en première instance qu’en appel, par un seul auxiliaire de justice, l’avocat. C’est une simplification incontestable pour nos concitoyens. De même, la réforme relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures, publiée le 14 décembre dernier au Journal Officiel, offre une véritable cohérence et une lisibilité plus grande dans la compétence des juridictions notamment civiles. L’apport est fondamental pour des affaires qui touchent à la vie quotidienne de chacune et chacun d’entre-nous.

Cet accès au droit et à la justice ne peut être effectif sans un accompagnement des justiciables. Nous ne pouvons, en effet, les laisser désorientés dans des démarches et des procédures qui leur paraissent souvent complexes. Nous avons renforcé la politique d’accès au droit, en ouvrant des structures d’information et de soutien (maisons de justice et du droit, bureaux d’aide aux victimes, point d’accès au droit) toujours plus nombreuses, accessibles sur l’ensemble du territoire national. Nous avons souhaité qu’un soutien particulier soit apporté aux victimes, car il est de notre devoir d’offrir à ces personnes fragilisées une écoute et un appui juridique dédiés.

2. Si la justice doit se rendre plus accessible, elle doit aussi être la gardienne vigilante des droits et libertés. Des réformes majeures ont été conduites pour accroître cette protection.

La consécration des droits fondamentaux mais aussi leur garantie effective constituent le socle de notre Etat de droit : il était impératif de renforcer cette double garantie juridique et juridictionnelle des droits. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a constitué à cet égard une avancée majeure, qui marquera durablement les institutions de la Cinquième République. Avec la question prioritaire de constitutionnalité, le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis fait désormais l’objet d’un contrôle approfondi et élargi. Ouvrant la possibilité à tout justiciable de soulever, devant toute juridiction, la non-conformité d’une législation en vigueur aux droits et libertés constitutionnellement garantis, cette nouvelle procédure a révolutionné le contrôle de constitutionnalité et encouragé le législateur à améliorer la protection des droits fondamentaux.
Les premiers effets de la réforme sont aujourd’hui tangibles. Résultat d’une procédure de « QPC », le contrôle affermi du juge sur les mesures d’hospitalisation sans consentement a été inscrit dans la loi du 10 août 2011. De même, a été consacré, par la loi du 14 avril 2011, le renforcement des droits du gardé à vue avec la présence effective de l’avocat. Dans cette dernière réforme nous avons aussi veillé aux droits des victimes, en préservant l’efficacité des enquêtes pénales : la recherche d’un tel équilibre est une priorité pour permettre à la justice de se réaliser.
Cette réforme, ainsi que la création du Défenseur des droits, ont constitué un pas décisif dans la voie d’une protection des droits et libertés. Le Défenseur des droits a été doté de prérogatives et moyens d’action,  sans précédent, par rapport aux autorités administratives dont il a repris les attributions.

II. Par les réformes engagées, nous avons aussi replacé le citoyen au cœur de la Cité, en lui ouvrant une participation accrue à l’œuvre de justice et une place renouvelée au sein de l’espace public.

1. En application de la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, des citoyens assesseurs seront appelés à siéger aux côtés des magistrats au sein des formations de jugement en correctionnelle et pour le prononcé des libérations conditionnelles. Cette loi approfondit ainsi le principe, inscrit depuis plus de deux siècles dans notre procédure pénale, de la participation des citoyens à l’œuvre de justice (jurés d’assises, échevins…). Associer les citoyens à l’acte de juger vient conforter les liens existants entre la société et l’institution judiciaire en renforçant l’implication civique de nos concitoyens. Cette participation offre aussi à l’institution judiciaire un regard neuf sur les affaires et implique un effort de pédagogie très profitable à l’accessibilité des décisions de justice. Ainsi, dès le 1er janvier 2012, les premiers citoyens assesseurs ont été appelés à juger des délits graves d’atteinte aux personnes et à rendre des décisions de libération conditionnelle dans le ressort des cours d’appel de Dijon et Toulouse, puis à compter de 2014 dans le ressort de toutes les Cours d’appel.

2. La place des citoyens dans la vie de la Cité est aussi renouvelée par la faculté donnée aux justiciables eux-mêmes, et non plus seulement au Garde des Sceaux et aux chefs de Cour, de saisir le Conseil supérieur de la magistrature à titre disciplinaire, moyennant bien sûr un certain nombre de conditions et garanties fixées par la loi organique du 22 juillet 2010.

3. Dans un registre certes très différent, l’instauration du référendum d’initiative populaire, prévu depuis la réforme du 23 juillet 2008 à l’article 11 de notre Constitution et dont un projet de loi organique d’application doit prochainement être soumis à l’examen du Parlement, participe de la même logique.

Cette procédure nouvelle élargit le champ de la démocratie directe en offrant aux citoyens la possibilité d’apporter leur soutien à une proposition de loi pouvant être soumise à un référendum national. Ce droit pourra s’exercer dans tous les domaines visés à l’article 11 de la Constitution, et notamment l’organisation des pouvoirs publics ou les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent. L’initiative qui sera portée par des parlementaires devra être soutenue par au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette innovation contribuera à la vitalité du débat public, la voix des citoyens bénéficiant d’un nouveau vecteur d’expression.

Depuis une quinzaine d’années, le débat public s’est élargi à de nouveaux acteurs et s’est réalisé dans de nouveaux espaces. La révolution numérique a d’ailleurs accéléré cette évolution. Cette participation toujours plus active des citoyens à la décision publique témoigne de la force de notre démocratie, et de l’aspiration profonde de tous de s’impliquer dans la vie de la Cité : ces innovations qui contribuent à redéfinir le lien politique renforcent aussi le lien social.
III. Ce lien social est au cœur du vivre ensemble : la justice, parce qu’elle apaise les conflits, joue un rôle déterminant dans le maintien de notre cohésion sociale.

L’acte de délinquance constitue une rupture du contrat social. Il est donc essentiel que la justice sanctionne de tels actes mais qu’elle favorise aussi la réinsertion, afin que le condamné puisse reconstruire ce lien. Nous avons ainsi mis l’accent sur le travail en détention et le maintien des liens familiaux, parce qu’ils permettent au condamné de construire un véritable projet de sortie ; nous avons encouragé le développement des projets éducatifs pour les mineurs délinquants. Ces quelques exemples de notre action s’inscrivent dans une démarche plus globale, pour que ceux qui ont la volonté de sortir de la délinquance puissent disposer des solutions les mieux adaptées.
J’ai ainsi souhaité donner une nouvelle impulsion au travail d’intérêt général (TIG). Cette alternative à l’incarcération est très symbolique de la reconstruction du lien social : pour le condamné qui s’engage dans un travail utile à la communauté, pour la société civile qui, en lui proposant ce travail, l’aide à reconstruire ce lien. La réussite d’un tel projet passe par une démarche aussi pragmatique que concrète. Nous avons ardemment travaillé, à la Chancellerie, pour que le travail d’intérêt général (TIG) se développe, en simplifiant les procédures, en améliorant le dispositif, en encourageant nos partenaires (entreprises, associations, collectivités locales) à proposer des offres de TIG plus diversifiées (aide à la personne, environnement, actions caritatives, secteur hospitalier, culture…).

Nos institutions publiques, et particulièrement notre justice, se sont considérablement modernisées sous l’effet de réformes ambitieuses et nécessaires menées depuis quatre ans.
Notre modèle de justice a su évoluer, dans le meilleur respect des libertés de nos concitoyens, mais aussi dans la recherche d’un équilibre si délicat à trouver – et je crois que nous l’approchons désormais de plus près – entre les différentes exigences de notre État de droit.
Par ces différentes réformes nous avons rendu la justice plus accessible et plus proche. Je crois même que nous sommes passés d’un modèle où les citoyens étaient principalement des sujets de droit, à un modèle où ils deviennent aussi de véritables acteurs de l’espace public, toujours plus impliqués dans la vie de la Cité.

Michel MERCIER, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés

(in la Revue Civique N°7, Hiver 2011-2012)

Retrouvez Michel Mercier dans la Revue Civique n°7

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