Philippe Foussier décrit dans La Revue Civique ici les contours et les enjeux de la fameuse loi contre « le séparatisme » et la menace islamiste, projet présenté au Conseil des Ministres en la date symbolique du 9 décembre (jour anniversaire de la grande Loi de 1905 sur « la séparation des Eglises et de l’Etat ») dont le dispositif vise à renforcer « les principes républicains » et la Laïcité. Texte dont les principaux chapitres sont précisés ici.
Sous l’impulsion résolue du Président de la République, le gouvernement présentera au Parlement un projet de loi destiné à « conforter les principes républicains » et la laïcité, laquelle est définie par Emmanuel Macron comme « le ciment de la France unie ». Ce texte, examiné par le Conseil d’Etat, a été soumis au Conseil des Ministres le 9 décembre, une date qui ne doit rien au hasard et qui renvoie naturellement à la grande loi de Séparation de 1905.
Séparatisme. Le mot a fait couler beaucoup d’encre. Il a été discuté, contesté par certains, approuvé par d’autres. Finalement, il ne figurera pas dans l’intitulé du projet de loi que le Gouvernement envisage de soumettre au Parlement en février ou mars 2021. Mais le concept plane. Pas seulement depuis que le président de la République a prononcé son désormais célèbre discours des Mureaux, en banlieue parisienne, le 2 octobre dernier.
« Une évolution conceptuelle au plus haut niveau de l’Etat, d’une manière jamais formulée » auparavant.
La source, il faut aller la trouver dans une autre intervention présidentielle. C’était le 18 février 2020, à Mulhouse : «Il y a des parties de la République qui veulent se séparer du reste, qui, au fond, ne se retrouvent plus dans ses lois, dans ses codes, ses règles». Le tournant dans la prise en compte de cette réalité-là, il fut exprimé pour la première fois nettement à Mulhouse. Mais il marque une évolution conceptuelle au plus haut niveau de l’Etat d’une manière jamais formulée, ni par le président Macron, ni par aucun de ses prédécesseurs dans l’exercice de leur mandat.
Un retour en arrière s’impose. En 2003, le président Chirac crée une Commission de réflexion sur la laïcité, dont la présidence est confiée à Bernard Stasi. La même année, l’Assemblée nationale crée en son sein une Mission, pluraliste elle aussi, dont, fait rarissime, la présidence est assurée par le numéro 1 de l’Assemblée nationale lui-même, Jean-Louis Debré. Dans la foulée, au sein du ministère de l’Education nationale, une équipe d’inspecteurs généraux se réunit autour de Jean-Pierre Obin – qui vient d’ailleurs de publier un nouveau livre (1) – pour évaluer la situation au sein du système scolaire. Les trois rapports de ces diverses instances feront tous le même diagnostic à quelques semaines d’écart. Les revendications religieuses progressent de façon massive dans de nombreux domaines de la vie sociale, le plus souvent de la part de courants fondamentalistes musulmans.
Les germes de ce « séparatisme », dont Emmanuel Macron a souligné la virulence, figurent en toutes lettres dans ces documents. Seulement voilà, une seule mesure, emblématique mais loin de répondre au caractère multiforme du défi lancé par l’islamisme, sera alors retenue. Il s’agit de la loi du 15 mars 2004 prohibant les signes religieux ostensibles dans l’enseignement public, adoptée au demeurant par la quasi-unanimité des parlementaires. Les autres préconisations seront oubliées ou différées. La France vit depuis lors, vis-à-vis de cette tentation séparatiste, dans un rapport étrange, certains optant pour le déni, d’autres pour l’esquive, d’autres encore s’étant engouffrés dans des formes de clientélisme électoral dont de multiples exemples locaux ont été mis en lumière (2).
Les grandes lignes du projet de loi sont connues. Elles s’articulent autour de plusieurs axes. Le premier concerne la neutralité des services publics, dont le texte prévoit d’étendre l’obligation aux structures parapubliques et privées délégataires du service public. Les organismes HLM comme les opérateurs de transports, entre autres, sont concernés. La procédure de « carence républicaine » pourrait par ailleurs être activée par des Préfets constatant des décisions d’une collectivité « méconnaissant gravement » la neutralité du service public. A titre d’exemple, des subventions locales abusives attribuées à des associations prônant le séparatisme ou des menus confessionnels imposés dans des cantines scolaires.
Reconquête républicaine. Les motifs de dissolution d’associations seront élargis.
Le volet associatif sera particulièrement développé. Le versement de subventions publiques sera ainsi conditionné à la signature d’un contrat d’engagement « pour le respect des valeurs de la République et des exigences minimales de la vie en société ». Les motifs de dissolution d’associations seront élargis, afin d’endiguer les pressions exercées sur des publics vulnérables ou l’apologie du terrorisme, dont l’actualité témoigne de la persistance. Le projet de loi vise aussi la protection des droits des femmes. Seront ainsi pénalisées les pratiques visant à attester de la virginité d’une femme et renforcées les mesures de lutte contre la polygamie et les mariages forcés.
Un axe majeur du texte concerne l’école, au-delà de la mesure « choc » visant à mettre fin (partiellement) à la scolarisation à domicile. La déscolarisation et le recours à des structures clandestines ont connu une progression notable en quelques années et les exemples pullulent de l‘endoctrinement d’enfants dans des environnements où l’incitation à la haine et à la discrimination accompagnent une instruction scolaire rudimentaire. De même, l’encadrement des écoles hors contrat sera renforcé.
L’organisation des cultes est aussi concernée par le texte de loi. Il incitera les structures musulmanes aujourd’hui enregistrées sous le régime associatif de la loi de 1901 à se placer sous l’empire de la loi de 1905 afin de mieux séparer les activités cultuelles des actions culturelles ou socio-éducatives. Un renforcement de la transparence pour la gouvernance et pour les financements sera également prévu, de même que la protection des associations cultuelles vis-à-vis de prises de contrôle « malveillantes ».
Les dispositions sur la police des cultes seront adaptées afin d’endiguer la diffusion d’idées et de propos hostiles aux lois de la République. Elles nécessiteront des modifications de la loi du 9 décembre 1905. Reste à savoir l’ampleur de ces modifications et si elles concerneront d’autres aspects touchant à la philosophie même de la loi de Séparation, en particulier en matière de financement ou d’organisation des cultes.
Enfin, la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites sur internet fera également l’objet d’un titre entier du projet de loi.
Le président Macron comme ses ministres Gérald Darmanin (Intérieur), Marlène Schiappa (Citoyenneté) et Jean-Michel Blanquer (Education) insistent sur les décisions déjà prises en termes de prévention : dédoublement des classes en primaire, réforme de l’accompagnement scolaire, programme de rénovation urbaine porté à 10 milliards d’euros, présence accrue des services publics…
Des plans de lutte contre la radicalisation ont déjà été déployés dans de nombreux quartiers, avec des résultats tangibles. Mais Emmanuel Macron sait aussi que les mesures concrètes ne feront pas tout. « A l’islamisme radical brandi comme une fierté, nous devons opposer un patriotisme républicain assumé », déclarait-il le 2 octobre aux Mureaux. Il s’agit en effet d’un combat de reconquête culturelle et idéologique de longue haleine.
Philippe FOUSSIER
(1) Jean-Pierre Obin, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, Hermann, 2020, 166 p., 18 €.
(2) Parmi de nombreux autres titres : Didier Daeninckx, Municipales. Banlieue naufragée, Gallimard, 2020, 40 p., 3,90 €.
(12/11/20; actualisé le 9/12/20)