Jean-Jacques Aillagon : «sortir du système rétrograde…»

Jean-Jacques Aillagon ©Château de Versailles, Christian Millet

L’ancien ministre dénonce « la monarchie républicaine »

L’ancien Ministre de la Culture, qui évoque dans cet entretien l’avenir culturel de la France, indique qu’il a envie, «année électorale oblige», de participer au débat public «notamment dans le domaine de la réforme des institutions». Pour Jean-Jacques Aillagon, un changement doit avoir lieu, et il le dit sans détour : «une autre conception des institutions doit voir le jour dans notre pays, c’est une question centrale qu’il est nécessaire de poser pour revivifier la démocratie, dans le sens d’une plus grande participation du citoyen. Il faut sortir de ce système rétrograde de «monarchie républicaine», où tout repose, une fois tous les cinq ans, sur l’élection d’un président de la République. Je rêve d’un Président qui saurait prendre de la hauteur, rester à distance, dont le pouvoir serait contrebalancé par le retour d’un vrai parlementarisme, coeur battant de la démocratie ». A ses yeux, «c’est la nouvelle majorité parlementaire qui devrait être la source d’une nouvelle politique et d’un nouveau programme pour la France, et pas un homme, seul. On a un peu oublié ces derniers temps l’importance de la majorité parlementaire et du Premier ministre. Ce déséquilibre, que tout le monde a relevé, ne peut perdurer ». [Extraits]

 

La Revue Civique : Où en est la culture française ? On entend parler du déclin de la France, notamment de sa langue, le rayonnement culturel de notre pays n’étant plus ce qu’il était. Est-ce selon vous une réalité ?

Jean-Jacques AILLAGON : La culture d’un pays se porte bien quand elle rayonne au-delà de ses frontières, quand elle s’exporte. De ce point de vue, la diffusion d’une langue est un bon indicateur du prestige culturel d’une nation. Or, il est certain que la langue française a dominé l’Europe pendant des siècles mais qu’aujourd’hui elle est devenue une langue « résiduelle ». Je suis frappé de constater que dans les milieux « cultivés » européens, seuls les plus de 60 ans parlent encore notre langue.

Alors, bien sur, il n’y a pas que la langue comme indicateur de rayonnement et de créativité. La France reste considérée dans le monde comme une grande nation de Culture, à tel point qu’on a tendance à nous cantonner, sur certains continents, à notre seul prestige culturel… Aussi flatteuse soit cette perception, elle ne va pas sans risque. Attention à ne pas devenir un « pays-musée » ! Attention à ne pas nous réduire à un pays où l’on vient en touriste, admirer des tableaux, écouter des concerts, sans que cette culture ne sorte de nos frontières.
Dans le domaine des Arts Plastiques par exemple, je suis frappé de constater que lors des grandes expositions internationales, il y a peu d’artistes français comparé au nombre d’artistes allemands, anglais, chinois présents. Je le répète: une culture vit lorsqu’elle s’exporte, lorsque notre littérature est traduite en langues étrangères, lorsque nos films sont achetés et adaptés dans d’autres pays, lorsque nos artistes font l’objet d’expositions internationales.
Or, malgré des politiques publiques de soutien significatives, nous ne sommes pas parvenus à atteindre cet objectif.

Problème de gouvernance

Comment expliquez-vous cette relative inefficacité de ces politiques publiques de soutien au rayonnement de la culture française, sachant que beaucoup d’autres pays n’ont pas de ministère de la Culture, et peu de systèmes de subventions publiques ?

C’est d’abord et surtout, me semble-t-il, un problème de gouvernance. En France on a séparé les champs d’intervention : l’action culturelle nationale est confiée au Ministère de la Culture, tandis que les actions de rayonnement culturel international sont dévolues en grande partie au Quai d’Orsay. C’est absurde : il faut bien sûr qu’un grand ministère de la Culture puisse gérer aussi l’action culturelle à l’international, c’est évidemment lié. Penser la Culture, et la soutenir, c’est le faire sans frontières. Prenons l’exemple de l’audiovisuel extérieur de la France, et de la chaîne de télévision France 24 : c’est évidemment bien davantage un outil de rayonnement de la culture française que « la voix diplomatique de la France » comme on l’a beaucoup dit. Il aurait donc fallu en confier la tutelle au ministère de la Culture et pas au ministère des Affaires étrangères.

(…)

Sans que cela relève de votre choix, vous avez été amené à quitter la présidence de l’établissement public du château de Versailles, où vous aviez lancé de grands chantiers de rénovation culturelle. Quels sont vos projets, vos sujets de réflexion ?

Je viens de publier un livre, qui me tenait à coeur, pour faire le bilan de cette expérience versaillaise, qui a été très intense et passionnante. Je pense que beaucoup, en dehors de tous les clivages d’ailleurs, le reconnaissent.
Je vais sans doute conserver un rôle en matière de politique culturelle. Nous verrons. Et puis, année électorale oblige, j’ai envie de participer au débat public de mon pays, en disant les deux ou trois choses auxquelles je crois profondément, notamment dans le domaine de la réforme des institutions. Une autre conception des institutions doit voir le jour dans notre pays, c’est une question centrale qu’il est nécessaire de poser pour revivifier la démocratie, dans le sens d’une plus grande participation du citoyen.
Il faut sortir de ce système rétrograde de « monarchie républicaine », où tout repose, une fois tous les cinq ans, sur l’élection d’un président de la République. Je rêve d’un Président qui saurait prendre de la hauteur, rester à distance, dont le pouvoir serait contrebalancé par le retour d’un vrai parlementarisme, coeur battant de la démocratie.
A mes yeux, les élections législatives devraient d’ailleurs être davantage fondatrices que l’élection présidentielle, c’est la nouvelle majorité parlementaire qui devrait être la source d’une nouvelle politique et d’un nouveau programme pour la France, et pas un homme, seul.
On a un peu oublié ces derniers temps l’importance de la majorité parlementaire et du Premier ministre. Ce déséquilibre, que tout le monde a relevé, ne peut perdurer.

Puisqu’on parle de parlementarisme, vous croyez toujours au bicamérisme ?

Je crois qu’il faut maintenir les deux Chambres mais que le Sénat ne devrait être amené à se prononcer que sur les textes qui concernent les territoires et les collectivités locales. Par ailleurs, on devrait interdire aux députés le cumul des mandats ; en revanche, il me semble utile que les sénateurs exercent en plus de leur mandat de parlementaire un mandat local.

L’actuelle majorité a-t-elle fait avancer la décentralisation ?

Tout ce qui a été entrepris a été insuffisant. Je ne crois pas utile de supprimer un échelon local. Il faut conserver les régions et les départements. L’urgence, c’est de revoir la carte et le découpage de ces territoires. Certains ne correspondent plus à rien, compte tenu de leur faible population.

(…)

Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET
(in la Revue Civique N°7, Hiver 2011-2012)

 

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