Combattre le virus raciste et antisémite sur le Net : l’analyse de Marc Knobel

Marc Knobel

Historien, Directeur des Études du CRIF, membre du conseil éditorial de la Revue Civique, Marc Knobel évoque dans cette tribune, la haine raciste et antisémite présente aujourd’hui, trop présente bien sûr, sur le Net.

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Avec le Net, on peut surtout mesurer combien nos sociétés sont malades. De fait, nous affirmons que le Net est un bon poste d’observation pour mesurer comment les extrémistes – tous les extrémistes, religieux et politiques – se servent de cet outil ; comment ils exploitent les peurs et l’ignorance ; comment ils prêchent la haine, comment et pourquoi ils cherchent des boucs émissaires.

Les sites islamistes

Nombre d’écrits sur les sites islamiques développent des discours anti-occidentaux qui trouvent leur justification, sous une forme ou sous une autre, dans les textes sacrés. On s’étend longuement sur la corruption de la parole divine (le Coran) par les juifs et les chrétiens, qui prêchent par anthropomorphisme, associationnisme et idolâtrie. L’Occident impie est ensuite élevé au rang d’ennemi absolu, puis les diatribes anti-américaines et antisionistes viennent clore le tout. Elles sont si virulentes qu’elles ne doivent pas manquer d’échauffer les esprits de certains jeunes déjà perturbés, en quête d’identité et confrontés au dilemme de vivre dans un choc de cultures. Bref, des sites fondamentalistes qualifient systématiquement l’ennemi, en appellent au djihad et encouragent les attentats terroristes.

En 2010, grâce à des spécialistes de l’islam radical, le journal Le Parisien a accédé à divers sites intégristes sur Internet. La mouvance islamiste utilise en effet elle aussi le « réseau des réseaux » et les sites qu’elle rassemble sont foisonnants et terriblement dangereux. Ces textes, parfois longs de plus de cinquante pages, sont traduits en français. Ainsi, sur un « forum islamique », l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, le numéro deux d’Al-Qaïda, répond longuement (mais pas en direct) à des questions d’internautes. L’un d’eux demande s’il faut « partir au combat ». « Oui, l’assure al-Zawahiri, il y a la possibilité de partir en Irak ou en Afghanistan si la personne trouve un guide de confiance. » Parmi des récits de « référence », on trouve aussi un « Message à la jeunesse » d’Abdullah Youssouf Azzam, cheikh palestinien qui fut à l’origine du premier djihad en Afghanistan. « Rien que le djihad et les armes. Pas de négociation, pas de discours, pas de dialogue », répète celui qui fut l’un des modèles de Ben Laden. « Allah nous prépare pour la victoire », affirme pour sa part, sur une trentaine de pages traduites à partir de cours enregistrés, l’Américain d’origine yéménite Anwar Al-Awlaki.

Cet imam extrémiste de 38 ans a été abattu au Yémen fin 2009 : propagandiste djihadiste, il avait fait de la Toile son principal outil d’influence et passe pour avoir été le « conseiller spirituel » de trois des auteurs des attentats du 11 septembre 2001 et, plus récemment, de Nidal Malik Hassan, un psychiatre de l’armée américaine qui a tué treize personnes en 2009 au Texas. Si, en apparence, la tonalité religieuse domine sur la plupart des sites radicaux, l’un d’entre eux est ouvertement guerrier. Dans son discours djihadiste, il prône de combattre « Juifs, croisés et sionistes ». Mais l’ennemi est aussi « intérieur » : toute autre lecture de l’islam est rejetée, car définie comme « égarée » ou « déviante » (et ses responsables sont mis à l’index). Il s’en dégage une forte incitation à combattre à l’étranger, auprès des « frères » en Palestine ou en Afghanistan, mais aussi de lutter contre « les gouvernements arabes corrompus » (au Maghreb, en Arabie saoudite…).

Ces discours guerriers s’adressent également aux femmes, les « cavalières de l’islam » (combattantes tchétchènes ou palestiniennes). Un « cheikh martyr » détaille ainsi leur rôle « dans le combat contre l’ennemi », un rôle tout de « sacrifice » à l’époux et au fils. Un texte signé de l’épouse d’Al-Zawahiri et adressé aux « sœurs musulmanes » vilipende « l’Occident impie qui ne veut pas que tu te pares de ton hijab, car cette pratique divulgue leur déclin et la bassesse de leurs mœurs ».

En 2014, des dizaines de djihadistes français se trouveraient en Syrie. A quoi ressemble leur vie là-bas? Souvent très jeunes, ils tiennent la chronique quotidienne de leurs faits et gestes justement sur… Facebook ou sur YouTube. Un jeune qui se fait appeler Abou Abda -il serait originaire de la région bordelaise- va à la rencontre de jeunes Français qui ont pris les armes contre l’armée d’Assad. Point d’ordre de cette propagande, un homme qui dit avoir été anciennement militaire dans l’infanterie parachutiste et qui encourage maintenant le Djihad. Des francophones qui se mettent également en scène sur fond de musique religieuse: on voit par exemple neuf moudjahidines, ils ont le visage recouvert et portent ou brandissent des kalachnikovs. Ils chantent des nasheeds (poèmes musulmans musicaux). Les paroles sont édifiantes: « Nos efforts sont pour Allah et c’est tant mieux que nous avons la foi… contre les mécréants et (pour) se venger de leurs dégâts… Les ennemis d’Allah, le châtiment vous attendra…

Un hommage à Oussama, le seigneur des batailles, augmente la foi. » Sur une autre vidéo, on voit Oumar Diaby, (alias Omar Omsen) un Franco-Sénégalais délinquant récidiviste qui serait à la tête du groupe de djihadistes français affiliés à al-Nosra en Syrie, (80 combattants). Il s’est confié en exclusivité au Nouvel Observateur (23 mars 2014). C’est lui qui avait lancé le projet « 19HH », un documentaire vidéo de grande envergure, censé révéler la vraie histoire de l’humanité, comprenez l’oppression de l’islam par l’Occident en une heure de trucages avec en fond des chants religieux. Le film a fait le buzz dans les milieux djihadistes. On l’aura donc compris: l’essentiel de l’endoctrinement se fait le plus souvent à partir de vidéos diffusées sur YouTube principalement et certaines de ces vidéos ont été visionnées par des milliers et des milliers d’internautes.

C’est ainsi que de nombreux recruteurs postent donc des photos et des vidéos ou des « selfies » (auto photos) pour se glorifier et glorifier le Djihad C’est ainsi que la Toile et les vidéos s’imposent aujourd’hui comme le meilleur « sergent recruteur » des apprentis djihadistes européens vers la Syrie. C’est ainsi que le dernier cri des djihadistes qui se mettent en scène et de se filmer, de tweeter leurs menaces et de liker les photos de « martyrs ».

Ainsi va le Net 2.0 des djihadistes…

Les sites d’extrême droite

Les sites Internet d’extrême droite qui pullulent sur la Toile s’illustrent par un antisémitisme virulent. En quelques clics ou en effectuant une recherche à base de mots-clés, nous « tombons » assez facilement sur des blogs ou des sites affichant des contenus xénophobes. Les textes publiés répondent à une logique implacable. Ils s’adressent à des militants, des sympathisants ou des gens désillusionnés par la politique et le système, c’est évident. Il s’agit alors d’animer leur militantisme, de l’affirmer ou de l’encourager. Il s’agit aussi de briser les tabous, de les conforter dans leurs choix idéologiques.

Ces sites ne sont pas de simples défouloirs. Ils poursuivent un objectif politique. Dans le quotidien du soir français Le Monde du 4 juillet 2011 a été mené un très intéressant travail cartographique de l’ensemble de la blogosphère politique en 2011. Or,  en 2007, la proportion de blogs se rattachant à la famille de l’extrême droite dans la blogosphère politique avait été évalué à 4,4%. En 2009, elle était passée à 5,2 %. En 2011, il s’élève désormais à 12,5 %, soit 132 sites sur un total de 1 052. Internet est effectivement devenu l’un des terrains de jeu privilégiés des droites extrêmes. Celles-ci, nous dit Le Monde, ont très vite investi ce nouveau média pour en faire ce qu’elles appellent un « outil de ré-information » et contourner « la pensée unique ». Un autre site, transeuropeextremes.com alimenté cette fois par les étudiants de l’École supérieure de journalisme de Lille, a répertorié pour la France 377 sites et blogs à tendance ultra-droite et les a classés par familles : les identitaires, la droite nationale, les traditionalistes, l’entourage du FN, les tendances réactionnaires. Bref, tous les courants de l’extrême droite y sont représentés, sans toutefois de véritable unité idéologique. Or que trouve-t-on ?

On peut identifier :

1)     Un courant « identitaire qui s’oppose au métissage et se positionne violemment contre l’islam. Il a pour horizon une grande Europe des « patries charnelles » qui se résume in fine à une Europe-continent blanc.

2)     D’autres sites représentent le courant « nationaliste révolutionnaire » (NR). Ils sont à la fois nationalistes, anticapitalistes et anticommunistes, anti-américains (par rejet du système libéral) et du « cosmopolitisme », et très violemment antisionistes et antisémites.

3)     Enfin, il y a des blogs et sites catholiques, qui ne sont pas très nombreux. Certains sont très influents à l’extrême droite, même s’ils ne partagent pas tous la même idéologie. Si le socle commun est d’être hostile à Vatican II, de faire profession d’homophobie et de s’opposer à l’avortement, à l’euthanasie et à la République, certains versent clairement dans un antisémitisme virulent.

Que faire ?

Aujourd’hui, l’un des débats majeurs sur la société de l’information est celui de la régulation de l’Internet, qui en est l’emblème.

  1. Une première approche que nous qualifierons de libérale et/ou de libertaire, prône l’abstention de toute ingérence publique – et quelquefois même citoyenne – pour fixer la conduite à tenir sur le réseau des réseaux. Nous avons affaire-là à un curieux mélange du vieil « il est interdit d’interdire » libertarien et du « laissez-faire » libéral. Aussi, le réseau reste-t-il culturellement et idéologiquement un réseau purement américain. La loi qui le régit, du point de vue de la circulation de l’information est la loi inscrite dans la Constitution américaine ; le principe de liberté totale de communication. Qu’on s’entende bien, les choix dans ce domaine des dirigeants et du peuple américain sont totalement légitimes et nul ne dénie aux Etats-Unis d’Amérique d’être une grande démocratie.
  2. Mais, la question est simple. Ce choix doit-il être le nôtre, en Europe ? Ce choix, en matière de « liberté » totale des communications, doit-il être celui de la planète entière ? Le réseau Internet est-il un réseau mondial américain ou un réseau potentiellement universel ? Et puis, il faut le redire : en France, le racisme est un délit, (mais aussi en Belgique, en Allemagne)… non une opinion. Et cette différence est de taille.
  3. Une seconde approche plus citoyenne cherche donc à réguler le Net afin d’exclure ou de limiter au possible les discours de haine. Il s’agit d’adapter notre droit tout en rappelant au passage quelques-uns des principes qui fondent les sociétés démocratiques.

À cela, nous voyons trois arguments :

– Le premier est un argument moral.

Le principe de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme est essentiel. Maintenir ce principe est un gage pour l’avenir. Il est donc important de prendre la parole haut et fort pour dire le caractère insupportable de la présence de paroles et d’images racistes et antisémites sur l’Internet.

– Le deuxième argument est un argument technique :

Contrairement à ce que soutiennent certains acteurs du dossier, plus intéressés à garder une clientèle qu’à s’appliquer des règles éthiques, il est tout à fait possible techniquement d’empêcher les internautes français et européens d’être exposés à des messages qui contreviennent gravement aux lois de leurs pays.

– Le troisième argument est politique :

Il découle d’un principe simple : Internet est un média et doit être traité au même titre que les autres médias. Or, les lois de nombreux pays encadrent sous certains aspects les contenus médiatiques et protègent le public de toute exposition à des propos racistes ou antisémites.  Aussi est-il temps d’affirmer que le nécessaire respect de la liberté d’expression se heurte à la non moins nécessaire protection des personnes visées par les menaces et les violences racistes. Et qu’à l’instar du monde réel, le monde virtuel ne doit pas être le refuge des provocations qui bafouent constamment la nature humaine.

Marc KNOBEL

L’antisémitisme virulent dans l’électorat de Marine Le Pen : l’étude de la FONDAPOL
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