Cécile Ernst : vive la civilité !

Réflexions autour du « savoir vivre » ensemble

Auteur de « Bonjour Madame, Merci Monsieur » (JC Lattès), Cécile Ernst explique dans cet entretien que « le citoyen fait acte de civisme en pratiquant la civilité. Il marque de la sorte son attachement à une pacification des relations sociales et au principe de solidarité qui prévalent en démocratie ». Pour l’école, elle estime que « la morale, au sens républicain » est « une science du comportement, qui veut transmettre des manières de se comporter dans la sphère publique ».

La REVUE CIVIQUE : Pourriez-vous nous définir le « civisme » et le « savoir-vivre » et nous dire en quoi ces deux termes sont, pour vous, liés ?

Cécile ERNST : Le civisme est une notion qui peut se définir comme le sentiment d’attachement à la démocratie et à ses valeurs et plus spécifiquement, le dévouement à un « gouvernement » ou à une « patrie », selon le Petit Littré.
Le savoir-vivre recouvre lui, une réalité plus complexe. Historiquement, il se construit dès le XVIème siècle, à partir de la notion de « civilité », qui se caractérise par « des bonnes manières à l’égard d’autrui ». Fondée sur la culture de l’esprit et des manières, elle façonne « l’honnête homme » valorisé par  la Renaissance.
En France, la Troisième République s’appuie sur cette civilité pour concevoir le citoyen comme un homme ou une femme civil qui a aussi le sens de l’intérêt général et de la responsabilité qui lui incombe : celle de faire vivre la citoyenneté et la démocratie au quotidien et dans tous les moments de la vie.
Ainsi, le citoyen fait acte de civisme en pratiquant la civilité. Il marque de la sorte son attachement à une pacification des relations sociales et au principe de solidarité qui prévalent en démocratie.

Quel rapport établissez-vous entre le savoir-vivre et le principe démocratique ?

Historiquement, la civilité a précédé le savoir-vivre qui, lui, signifie « connaissance et pratique des usages du monde », le monde de l’aristocratie sous l’Ancien Régime. Une aristocratie qui développe des codes sociaux de plus en plus sophistiqués pour se distinguer du commun des mortels. C’est pour cela que le savoir-vivre sera connoté socialement, accusé parfois même de « science de l’hypocrisie». Il est donc difficile à justifier dans une société démocratique qui se fonde sur l’égalité des individus.

Le souci du respect de la loi

La civilité, tenue à distance par la noblesse, n’est pas soumise à la même opprobre et sera donc convoquée par la Troisième République pour donner corps aux notions de civisme et de citoyenneté. Et le citoyen, soucieux de civilité, l’est aussi du respect de la loi : car le droit qui en découle, exprime la limitation « de la loi du plus fort ». Accorder l’égalité des droits devant la loi, promouvoir les droits des handicapés par exemple, c’est construire un espace social qui garantit aux plus faibles des droits qui les protègent face aux abus de pouvoir du plus fort. Et la civilité, que l’on nomme aussi « savoir-vivre ensemble », n’est que la traduction, dans la vie quotidienne, de ce respect par les individus d’une liberté et d’une égalité que l’on veut équivalentes pour tous.

Un sondage IPSOS publié en juillet 2011 pour Enfant Magazine et Femmes Actuelles a indiqué que 73% des parents se jugent trop peu autoritaires et attendent beaucoup de l’État pour les aider. Ne jugez-vous pas que c’est une forme de défausse de la responsabilité individuelle ?

Je crois surtout que les parents n’osent plus et ne savent plus exercer l’autorité sur leurs enfants car cette posture de l’adulte par rapport à l’enfant est décriée par les spécialistes de l’enfance depuis très longtemps. Le « bon »  parent est celui qui est à l’écoute, qui dialogue avec son enfant, qui est dans une disponibilité totale : son rôle est conçu comme un accompagnement du développement du potentiel de son enfant.
Cette conception de l’éducation dont sont abreuvés les jeunes parents, oublie complètement une dimension de l’éducation : celle qui découle de ce que toute personne est un être social, qui s’inscrit dans un collectif et dont tous les actes ont un impact sur ceux qui l’entourent. Autrement dit, il doit y avoir une dimension collective dans l’éducation qui vise à apprendre la vie en collectivité aux enfants.
Tout naturellement, nombre de parents  attendent de l’école qu’elle accomplisse cet apprentissage … ce qui suppose qu’ils acceptent que l’on impose des contraintes  à leurs enfants, nécessaires au vivre ensemble ! On a là deux logiques d’éducation qui entrent en conflit alors que la famille comme l’école devraient toutes les deux assurer les deux dimensions de l’éducation …

Le Ministre de l’Éducation, Luc Chatel, a évoqué à la rentrée 2011 l’idée de rétablir des cours de morale à l’école, qu’en pensez-vous ? Est-ce le rôle des professeurs et quel doit être le contenu de cet enseignement ?

Personnellement, je crois que la morale au sens républicain repose sur un projet qui ne vise pas à contrôler « les mœurs ». Il s’agit plutôt d’ « une science du comportement » qui veut transmettre des manières de se comporter dans la sphère publique, qui font vivre la démocratie au quotidien.

Articuler le discours et la pratique

Dans ce sens-là, oui, il faut reparler de démocratie, de citoyenneté, de responsabilité à l’école bien sûr : car c’est cet apprentissage du vivre ensemble dans une société démocratique qui fut le projet d’origine de l’école et qui donne encore du sens et une légitimité aux exigences qu’elle pose aux élèves. Mais il faut réfléchir à son contenu, c’est-à-dire  à la définition d’un socle de valeurs à transmettre, commun à tous dans une société multiculturelle.
En revanche, cet enseignement ne sera utile que s’il articule le discours à la pratique : il faudrait donc poursuivre dans le secondaire une pratique déjà présente à l’école primaire ; en demandant par exemple aux collégiens de tenir une garderie pour les petits frères et sœurs lors des réunions de parents, de prendre en charge les élèves nouveaux dans l’établissement,  de constituer des équipes pour veiller aux gestes de propreté de tous, etc. Bref, de faire acte de civilité  au collège. Au lycée ensuite, pourquoi ne pas inclure dans le cursus qui mène au bac, l’exigence d’un engagement bénévole au service d’associations ou de collectivités locales, validé par un compte-rendu aux équipes enseignantes. Ce ne sont que quelques pistes de réflexion bien sûr…

Propos recueillis par Marie-Cécile QUENTIN

(in La Revue Civique N°7, hiver 2011-2012)

Retrouvez Cécile Ernst dans la  Revue Civique n°7