Bernard Emsellem : « La communication doit faire du destinataire un acteur »

Auteur de « Communication : pourquoi le message ne passe plus » (Editions François Bourin, 2016), Bernard Emsellem, spécialiste de la communication, ancien Président de « Communication publique » répond aux questions de La Revue Civique. Critique à l’égard de communication verticale, qui ne prend pas en compte suffisamment les destinataires de messages plaqués, il trace des chemins pour une nouvelle communication, plus ouverte : « Si les organisations installent un rapport fécond avec leurs interlocuteurs, nous dit-il, elles rendront naturelles l’envie et l’exigence des citoyens à participer à  la vie de  la société ».

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La Revue Civique: dans votre ouvrage vous soulignez  que, derrière les enjeux de la communication, il y a un enjeu démocratique majeur : celui pouvant permettre, par la participation des citoyens, de ressourcer la démocratie, de redonner le goût de la « chose publique » aux citoyens. Comment la communication peut-elle mieux réussir son œuvre en quelque sorte civique ?

Bernard EMSELLEM : Je suis parti d’une question : pourquoi la communication des organisations, quelles qu’elles soient, est-elle si discréditée, brocardée par l’accusation récurrente : « c’est de la com’ ! ». En fait, est ainsi mise en cause la parole sans action, aboutissement des démarches focalisées sur l’image, d’auto-valorisation sans discernement, systématique et avec emphase.

Selon un modèle ultra simple : un message délivré de manière descendante, formaté aussi bien que possible pour qu’il passe auprès des destinataires. Le verbe ‘passer’ signifiant à peu près ‘pour qu’il soit compris et accepté’, voire que les destinataires y ‘adhèrent’. Ah, cette recherche de l’adhésion, idéal du mollusque… C’est de cela dont il faut sortir.

La communication peut apporter beaucoup à partir de ses fondements mêmes. C’est elle qui place le destinataire au centre du système et en fait un acteur. Elle crée du lien, clarifie les perspectives, ouvre à l’extérieur. Elle aborde de front les deux questions qui se posent à tout moment pour toute organisation. Celle de l’identité, non pas engluée dans un passé mais sourcée par ce passé pour en faire un atout dans le projet : « soyons ce que nous allons être et non ce que nous avons été ». Et celle de la contribution : « qu’est-ce que nous apportons à nos concitoyens, aux utilisateurs des services publics, aux clients des entreprises ? »

Ce faisant, la question de l’espace public et de l’enjeu démocratique saute aux yeux. Pourquoi y a-t-il un désintérêt ? Beaucoup de raisons mais en particulier le sentiment que cela ne sert à rien, que l’on n’est ni écouté, ni représenté. C’est l’enjeu de l’action de toute organisation avec ses parties prenantes que de changer cette donne… Si les organisations installent un rapport fécond avec leurs interlocuteurs, elles rendront naturelles l’envie et l’exigence des citoyens à participer à  la vie de  la société…

– Comment, sur le plan culturel et opérationnel, amplifier les pratiques participatives pour des citoyens Français, qui ont été historiquement bercés par une culture jacobine, monarcho-bonapartiste, en tout cas très centralisée et pyramidale ? Autrement dit, comment insuffler en France une culture démocratique plus horizontale (celle des réseaux) et plus ouverte à une action venant des citoyens eux-mêmes ?  C’est à l’école, aux médias, aux élus locaux, d’insuffler cette culture de « l’horizontalité et de la participation active » ?

Je ne crois pas que ce soit d’abord un déficit de culture même si la référence au modèle hiérarchique est très prégnante. En réalité, les parties prenantes veulent être véritablement des parties prenantes c’est-à-dire participant de la décision. Elles revendiquent une capacité à comprendre les enjeux et les chemins, une aptitude à formuler un point de vue, une capacité de débattre, voire de délibérer et de décider. Au nom de valeurs, convictions et intérêts qu’elles portent.

La question qui se pose est opérationnelle. A quelles conditions cela peut-il fonctionner ?

D’abord, accepter que la décision ne soit pas déjà prise, et accepter la réponse telle qu’elle sera (poser une question c’est prendre le risque de la réponse). Ensuite, que la consultation porte sur un sujet qui mérite de lever des contraintes personnelles pour se mobiliser.

Deux grandes formes de participation peuvent être portées par les dispositifs de communication. Il peut s’agir d’une consultation pour éclairer la décision du décideur, qui interroge ceux susceptibles d’apporter un éclairage précieux : c’est d’emblée leur reconnaître un apport. Il peut s’agir d’une coproduction, voire d’une codécision : là peut-être, il faudra vaincre une réserve culturelle tant le concept de compromis flirte en France avec l’idée de compromission. Bien sûr, dans la vraie vie, on ne peut suspendre toute décision à ces dispositifs participatifs.

Deux leviers peuvent alors intervenir : s’engager à expliquer la décision et ne pas se contenter de la valoriser ; accepter que chacun se l’approprie, c’est-à-dire en devienne propriétaire et donc l’adapte. Et faire que l’échange soit considéré et mis en œuvre comme le mode légitime. Et l’on verra alors, peut-être, moins fleurir l’expression sempiternelle : « à quoi bon ? »

(décembre 2016)

Un livre de réflexion sur les errements de la communication, et les manières de les éviter

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L’Association Communication Publique