Après le deuil national, les 10 mots-clés sur la terreur. Par J-P Moinet

LOUPE. Médiatique, télévisuelle en particulier, la loupe est le principal instrument de travail des terroristes. Il y a bien sûr la kalachnikov, le bâton de dynamite, parfois une bonne ceinture pour enrober le tout explosif. Mais il y a surtout des médias : Internet pour enrôler, « propagander » sans voiles ni frontières ; les images télés, ensuite, quand le début du mal est fait. Sans les grandes loupes médiatiques, que serait le crime des écervelés de Daesh ou d’Al Qaïda ? Un pétard mouillé. Pas de terreur, sans l’image de la terreur. Les démocraties n’étant heureusement pas des dictatures, il faut non seulement vivre avec la menace terroriste (menace qui n’épargne d’ailleurs pas les dictatures, voyez la Syrie du cynique donneur de leçons Bachar El Assad, ou la Russie de l’autocrate Poutine) mais vivre aussi avec des images omniprésentes qui propagent la terreur. A la vitesse de l’éclair.

Du 11 septembre 2001 au 13 novembre 2015, les images ont provoqué une même sidération cathodique. Et, inconsciemment sans doute, une fascination des médias télévisuels, qui ont le morbide appétit du spectacle. Y compris – et pour certains surtout – en des circonstances tragiques, où le sang, les larmes, la frayeur doivent faire l’audimat ! La délectation morbide, et mortifère, doit être ici dénoncée. Car elle participe, à l’évidence, du spectacle souhaité, rêvé même, par les terroristes eux-mêmes, qui recherche cet audimat que certaines chaînes leurs servent, sans mauvais jeu de mot, sur un plateau.

RETENUE. Dans la séquence des attaques du 13 novembre, une relative retenue a d’ailleurs été de règle. Notamment concernant les chaînes dîtes « d’informations en continu », même si toutes l’ont été en ces circonstances.  Les leçons des événements de janvier semblent avoir eu leur résultat : cette fois, pas de direct des assauts du GIGN pour l’adrénaline journalistique, pas d’images des lieux où les terroristes se trouvent ou d’où ils cherchent à fuir, pas cette ridicule et odieuse course des voitures caméras, en chasse du moindre mouvement des forces d’intervention. Ou de la goutte de sang à « zoomer » et à repasser en de complaisants ralentis.

Cette fois, le pire des images a été évité. Même si le spectacle de l’émotionnel, autour des victimes a été, pendant trois longs jours de deuil national, l’objet d’une attention médiatique un peu douteuse parfois, qui ne fleurait pas la pudeur respectueuse -des victimes, du public- mais bien l’attrait de l’audience à bonnes recettes publicitaires. Dans le monde médiatique, de grands « pros » en oublient parfois leur « sujet »: les êtres humains. Qui mériteraient, en ces circonstances, à la fois de l’apitoiement et de la distance, un délicat mélange qui se nomme décence.

UNITÉ. En cette épreuve nationale, les citoyens ont la plupart du temps été exemplaires. Citoyens dignement révoltés par le crime de la sauvagerie extrême. Profondément émus par ces actes qui ont frappé des Français (et des étrangers) qui, à Paris, ce vendredi noir là, étaient en situation de fête : un concert, une terrasse, un match de foot… En 7 points de la capitale française, les djihadistes avaient choisi de choquer en cela aussi : tuer la fête ! On le sait, le nihilisme de ces guerriers assoiffés de violence absolue (et non de religion, c’est une évidence) voudrait imposer au monde la fin des fêtes humaines, comme il voudrait imposer à la moitié de l’Humanité – les femmes – le voile intégral : dans les deux cas, le noir, le silence, un monde de morts vivants.

Un bloc républicain et une résistance massive

Naturellement, cette menace là est tellement inhumaine, elle relève d’une telle folie, qu’elle ne peut que provoquer l’unité des citoyens : un bloc républicain qui ne peut pas, et ne pourra jamais, être convaincu par une telle attitude meurtrière qui, en l’occurrence, est également suicidaire. C’est l’énorme faiblesse de ces fous furieux d’Allah: ils n’ont aucun débouché démocratiquement possible, ils n’ont peut-être aucune avenir possible si l’offensive finale est bien menée contre eux. Leur sauvagerie criminelle a, en tout cas, une réplique immédiate, à la fois viscérale et civique : la résistance est un réflexe de survie, qui devient massive. La manifestation historique du 11 janvier 2015, qui faisait déjà de Paris la capitale du monde, en a été une démonstration qui reste dans toutes les mémoires. N’en déplaise à Emmanuel Todd, et son insupportable accusation : « flash totalitaire », a-t-il dit, porté par les islamophobes ! Honte à cet intellectuel égaré qui, à force de chercher la critique décalée, a perdu les boussoles de la simple humanité.

RÉACTIONS. Dés que les attaques terroristes ont frappé les Parisiens, les réactions ont provoqué une chaîne de solidarité, impressionnante, réconfortante, où les citoyens de province et du monde ont joué un rôle clé. Du côté des chefs d’Etat, les réactions positives sont très vite venues, et ce n’est bien sûr pas un hasard, des démocraties : Obama, le premier, Merkel, Cameron et son « tous ensemble », Netanyahou, dont la posture politique abrupte ne plaît pas beaucoup en France, mais qui n’a pas moins, lui aussi, rapidement manifesté sa ferme solidarité.

Nettement moins solidaires, et même odieusement négatives à l’égard de la France pour certaines, d’autres réactions font froid dans le dos. L’autocrate Poutine, le même qui réprime actuellement ceux qui se battent en Russie pour la Mémoire des victimes de Staline, a consenti à un simple « télégramme » de soutien au Président de la République Française. Film des années 70 : on se serait cru dans les années Brejnev… Quant au dictateur syrien, l’allié historique de la Russie soviétique et postsoviétique, dés le lendemain des crimes terroristes à Paris, son cynisme professionnel l’a amené à condamner frontalement la politique de la France. Des dizaines de victimes étaient encore entre la vie et la mort à Paris quand ce dirigeant, qui devrait avoir 250 000 morts sur la conscience, osait donner des leçons de lutte contre le terrorisme ! Le même homme, digne héritier politique de son père, qui a commandité, pendant des années, des attentats sanglants au Liban ! Le même homme qu’apprécie, en France, Marine Le Pen et la firme FN, qui a pour ligne (chère depuis longtemps à l’extrême droite) de soutenir cet allié de la Russie poutinienne. La boucle des clans autocratiques est bouclée.

DIVISIONS. La démocratie est faite de disputes. Mais la démocratie française, après un tel carnage et pendant au moins trois jours de deuil national, ne pouvait-elle pas être à la hauteur de l’événement, et la tristesse ? Nicolas Sarkozy n’a certes pas pris le chef de l’Etat de face. Oblique ? il a d’abord joué, dés le lendemain du drame, d’un implicite éloquent d’interrogation sur les responsabilités relatives aux mesures de sécurité. Tout le monde comprenait qu’il mettait en cause son successeur à l’Elysée. Plus directe et archaïque que lui, Marine Le Pen s’est sans doute sentie autorisée a martelé sa différence sécuritaire et à pilonner François Hollande, conformément à ses performances en matière de démagogie populiste.

Marine Le Pen et la « firme FN »,

tout sauf patriotes

Tout sauf patriote, la Présidente du FN a ainsi rompu avec une délectation l’union et le deuil national. Profitant de l’émotion légitime des Français pour sur-jouer son couplet « on-vous-l’avez-bien-dit-ce-pouvoir-ne-vous-met-pas-en-sécurité-il-vous-livre-à-l’invasion-de-l’immigration-bactérienne-et-à-l’islamisme »… Sale musique de campagne électorale, la fille du père Le Pen veut prendre la région Nord-Picardie, elle met les bouchées doubles. Les élections approchent, les chevaux de course piaffent. Bruno Lemaire, de son côté, hier soir sur France 2, prend la posture non seulement ultra-sécuritaire mais identitaire, évoquant «l’identité culturelle française» menacée. Confusion des sujets, des idées, des sentiments politiques. Aux côtés de Lemaire, Marion Maréchal-Le Pen, toujours proche du grand père et de son « point de détail », en perdait un peu son latin… Même si elle pouvait aussi engranger, avec son marketingt bien léché : personne sur le plateau de la grande chaîne de service public, ni les politiques présents, Ni David Pujadas (il est vrai fatigué par trois jours de direct), n’a interrogé à cette occasion la candidate FN en PACA sur ses colistiers « identitaires » et racialistes, théoriciens (et praticiens) de l’inégalité raciale et culturelle. Inquiétant.

URGENCE, devenue un état, pour au moins trois mois. Avec un flot de décisions exceptionnelles, accélérées, pour assurer la sécurité maximale en France, endiguer le sentiment d’insécurité, qui a bien sûr était gonflé par les terroristes. Durcir les mesures préventives, allons-y ! Changer la Constitution ? S’il le faut vraiment, pour rester en état de Droit, allons-y ! Curieux penchant français, cependant, d’être beaucoup dans la posture et dans les textes, alors que c’est l’action qui compte et qui comptera, dans les jours et les semaines qui viennent. Et pour ne pas tarder dans l’action, pas besoin de Loi, soyons d’abord pragmatique. En matière de sécurité, du renseignement à l’action militaire, de l’interpellation policière à l’intervention judiciaire, il n’est pas interdit de privilégier les circuits courts. C’est même très autorisé.

DÉFENSE. Elle s’impose largement. Dans l’hexagone, le Premier ministre a parlé, ce matin sur une radio de service public, d’ « ennemis de l’intérieur », les djihadistes en balades, ici ou là, revenus de Syrie ou en partance. Que doit-on faire contre un « ennemi » sinon l’éliminer ? Le ton martial est donné aussi par Manuel Valls. Sachant que tous les décideurs concernés savent que c’est à l’extérieur que l’essentiel de la bataille reste à mener. Les sondeurs ont d’ailleurs, jusqu’à cette année 2015, toujours doctement expliqué que les enjeux extérieurs n’intéressaient pas les Français. Mais, désormais, ce sont les enjeux extérieurs, ceux du Proche-Orient, qui s’intéressent aux Français ! Et, manifestement, cela ne laisse pas nos concitoyens indifférents. La défense nationale, en cela, n’a pas de frontières.

GUERRE. Nous y sommes. Le mot devrait-il être évité ? Depuis longtemps, une guerre nous est déclarée, à la France, à l’Europe « mécréante », aux démocraties vivantes et ouvertes en fait, mais depuis longtemps, les Français n’ont pas trop voulu le voir, ou y croire. Les attentats, c’était pour les autres : Londres ou Madrid, New York ou Jérusalem, Tunis ou Casablanca, Bagdad ou Kaboul… On voulait dormir tranquille, sans doute. Aujourd’hui, les quatre plus hautes autorités du pays, dont font partie le Ministres de la Défense et de l’Intérieur, informés très précisément de toutes les menaces qui pèsent sur notre pays comme sur bien d’autres, ont raison de dire la vérité aux Français, en employant le mot « guerre ». N’en déplaise au Prince Villepin, consultant à ses heures d’émirats, qui préfère régulièrement dire que l’enjeu est ailleurs, et que l’Occident se méprend sur les méthodes à employer. Il est vrai que la table des négociations est la tasse de thé des djihadistes sanguinaires de Daesh, tout le monde l’a bien compris.

Le gouvernement de Sarkozy ne voulait pas employer le mot…

Il y a cinq ans, on m’expliquait, dans l’entourage du Ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy, Hervé Morin, s’agissant par exemple de l’Afghanistan où nos soldats étaient engagés et parfois tombaient, qu’il ne fallait pas parler de « guerre ». Je m’interrogeais. On me disait que les mots « opérations extérieures » convenaient bien mieux. Il ne fallait pas affoler les Français. Les temps ont changé. La violence des réalités, à Paris, a affolé les Français.

FORCE. C’est et ce sera finalement celle de la République, qui a traversé de nombreuses épreuves. Car la France a la chance de pas seulement une démocratie mais une République, dont le socle de valeurs – Liberté, Egalité, Fraternité, mais aussi Laïcité –  est profondément ancré dans son histoire, dans sa culture. Ces valeurs font aussi que la France est visée par ces terroristes sans foi, ni loi. Mais ces valeurs sont bien plus fortes que ces criminels. Elles ont, elles, l’avenir devant elles.

CIVILISATION. Et si la France sortait grandie de cette lourde épreuve ? Et si la mort de toutes ces victimes, la douleur de leur entourage et du monde solidaire, permettait d’y voir clair, en Europe, sur les vrais enjeux et les bons combats. Et si la guerre engagée pouvait-être à une bataille finale, pouvant permettre à la civilisation de gagner ? D’abord en Syrie, ensuite, mécaniquement, à Paris, sur nos terrasses, nos salles de concert, nos stades. C’est non seulement une espérance, mais on voit bien, comme disait le Général de Gaulle, qu’il s’agit d’une ardente obligation pour notre Nation.

Jean-Philippe MOINET,

auteur, fondateur de la Revue Civique, directeur conseil de l’institut Viavoice.

compte twitter. @JP_Moinet

novembre 2015

 

Dessin pour Charlie - Gary Varvel