4 clés pour renforcer l’attractivité culturelle de la France

En septembre 2015, une mission de promotion et valorisation de l’attractivité culturelle de la France est confiée à Olivier Poivre d’Arvor. Lui-même nous confiait lors d’un petit-déjeuner Viavoice que « quand certains hommes politiques français mésestiment la culture, c’est aussi invraisemblable que voir les qataris négliger le pétrole ! ». C’est dans ce cadre qu’est conçu et organisé « Le Grand Tour », rythmé par une quarantaine d’étapes (à Paris et en régions entre janvier et juillet 2016) comme par exemple la nuit des idées, le Salon du livre de Paris, les Rencontres 4M, ou la Fête de la Cité Universitaire.

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La Revue Civique était présente au Ministère des Affaires étrangères (9 mars 2016), pour une étape importante de ce Grand Tour : une journée de réflexion et de débats intitulée « Culture : destination France ». Une journée pour se demander « comment renforcer l’attractivité culturelle de la France ? ». Plusieurs ateliers et tables rondes étaient organisés, comme « De la ville au territoire attractifs », « Le nouveau tourisme culturel », « A quoi servent les grands évènements ? » ou encore « Un Grand Tour autour du Monde » en présence de personnalités du monde culturel, économique, politique ou venant de la société civile.

Avec, quelques chiffres, Marc Lhermitte, du cabinet EY, a souligné le fait que les industries culturelles et créatives (ICC) sont de vrais vecteurs d’activité, d’attractivité et de compétitivité.  Des « ICC » qui riment avec talents, diversité, entrepreneuriat et numérique !

La culture, facteur d’attractivité :

►32.5 milliards € de retombées indirectes lié au tourisme culturel

►1.3 millions d’emplois, c’est ce que pèse les industries créatives et culturelles, soit 2 fois plus que les emplois du secteur automobile. Cela représente 4.5 % de la population active en France.

La culture vecteur de diversité :

►1000 métiers sont recensés dans les ICC

►90 % de festivals de musique sont situées en régions

►En Europe, les ICC emploient plus de jeunes (15-29 ans) que tout autre secteur

André Vallini : « Nous devons être capable d’interroger l’existant et de nous renforcer »

En introduction à cette journée, André Vallini, Secrétaire d’Etat chargé du Développement et de la Francophonie, rappelait que « la France doit d’abord son attractivité culturelle à elle-même. Ce qui déclenche l’envie de venir en France est encore plus immatériel et impalpable, ça renvoie à l’image de la France dans le Monde : la liberté, les droits de l’Homme, avec leurs textes et les grands récits de notre roman national, ses valeurs universelles et ses combats pour la liberté ». Mais comme le passé ne suffit pas à faire le futur, André Vallini martèle que « nous devons être capable d’interroger l’existant et de nous renforcer ».

André Vallini, Olivier Poivre d'Arvor et François Weil

André Vallini, Olivier Poivre d’Arvor et François Weil

 

Dans la continuité de ces valeurs et des échanges de cette journée « Culture : destination France », on peut tenter de répondre à la question « comment renforcer l’attractivité culturelle de la France ? » par 4 grands domaines, qui peuvent être définis comme des leviers d’attractivité :

1/ Une approche géographique et territoriale

La ville doit accompagner et accélérer les processus créatifs. L’attractivité commence par la capacité à attirer les talents et les forces créatives. Les talents attirent les talents, d’origine très variées. La nouvelle vocation des villes revient à être des « plateaux de rencontres », en particulier entre artistes, chercheurs et entrepreneurs. Pour arriver à cet objectif, Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité, rappelle « qu’il ne faut pas séparer la politique d’attractivité culturelle des autres politiques ». Une globalité « thématique et sectorielle » qui s’applique aussi sur le plan géographique, car pour lui « le phénomène métropolitain est le grand phénomène de ce début de 21ème siècle, et il faut donc assumer ce phénomène métropolitain ». Cela renvoie au fait que toutes les grandes métropoles mondiales ont des outils de gouvernance à l’échelle métropolitaine. Ces territoires ont d’ailleurs des projets qui peuvent dépasser la métropole : il s’agit d’un territoire à géométrie variable. La dimension de la métropole est donc polysémique.

Et si la ville s’agrandit et devient métropole, les transports doivent suivre ce développement et devenir partie prenante de la politique d’attractivité, pour lier et relier les territoires. José Manuel Gonçalves, Directeur du Centquatre et codirecteur artistique du Grand Paris Express n’entend pas construire une simple gare, mais un réseau où l’on « cherche à révéler les singularités des territoires avec un geste artistique, culturel et architectural ».

Pour lui, il s’agit « d’une intervention d’ordre artistique et culturelle sur un projet territorial qui sera un facteur d’attractivité touristique très fort ». Culture, territoire et transports sont réunis et décloisonnés, au service de l’attractivité.

En lien avec cette idée de geste artistique et culturel, le territoire a aussi besoin d’une réponse architecturale. Il y a, on le sait, une concurrence entre les grandes métropoles mondiales qui veulent être plus belles pour attirer les talents et garder ceux qui y habitent déjà. Manuelle Gautrand, fondatrice et architecte principale de l’agence Manuelle Gautrand architecture, à qui l’on doit notamment le showroom Citroën des Champs-Elysées, défend « le rôle crucial de l’architecte dans cette concurrence, avec ses œuvres ». Les villes sont devenues  très puissantes, des toiles se tissent et ces villes doivent être accompagnées dans leur développement par des architectes. Ainsi, « la qualité architecturale autorise les rencontres et les flux entre disciplines » selon Manuelle Gautrand qui pense que « les architectes doivent participer à cette souplesse et à ces changements, en proposant des lieux qui mêlent des fonctions autrefois séparées, en se demandant donc comment abriter et mélanger ces nouveaux usages ». Pour l’architecte née à Marseille, ce geste architectural demeure « un marqueur de territoire au pouvoir d’émotions et de fierté », avant de rappeler que « l’architecture crée de la valeur, et que le beau fait vendre ». Et surtout, il faut véritablement avoir à l’esprit que l’architecture renouvèle le patrimoine historique d’une ville, tout en assumant « l’audace d’une culture de l’électrochoc d’un bâtiment contemporain couplé ou côte à côte avec un bâtiment historique ».

Virginie Calmels, Adjointe au Maire de Bordeaux, en charge de l’économie, de l’emploi et de la croissance durable, argumente dans ce sens d’une articulation économico-culturelle des politiques publiques, et souligne que « l’attractivité doit être globale, pas qu’économique ou culturelle. Elle doit être portée par l’accessibilité. Toutes ces politiques s’agrègent entre elles ». Pour elle, « cette notion d’attractivité transcende les clivages politiques car c’est un sujet majeur pour l’économie territoriale ».

Cette approche géographique et territoriale propose également un nouvel outil, qui est en fait une discipline émergente : le marketing territorial. Une chaire « Attractivité et Nouveau Marketing Territorial » a même été crée au sein de l’IMPGT, l’Institut de Management Public et de Gouvernance Territoriale, à Aix-en-Provence : cette chaire fondée par des collectivités territoriales françaises et dirigée par Christophe Alaux, est portée par des entreprises publiques et privées. Elle s’intéresse « à l’ensemble des problématiques d’attractivité, que ce soit pour développer la capacité des territoires à rayonner et à promouvoir leur offre ou que ce soit pour attirer sur place des personnes ».

Aussi, les élus cherchent de plus en plus à s’emparer de cet outil pour en faire une stratégie performante au service de leur territoire. L’élue bordelaise évoquait le fait que sa ville soit une marque forte, en particulier grâce au vignoble. Cette marque ou la marque « Paris » apparaît comme un symbole et un pilier de l’attractivité.

Pour Edouard Philippe, député de la Seine-Maritime et Maire du Havre, le maître mot de cette stratégie doit d’abord être la cohérence, dans le respect de l’ADN du territoire. Il explique par exemple que sa ville, au caractère portuaire, est associée à l’industrie, « et pas aux millions de touristes ». Il ajoute que Le Havre « sait se réinventer, que la ville s’est transformée, mais quand les gens n’ont pas de nouvelles sur les évolutions de la ville, ils restent avec leurs préjugés ». Ainsi, pour lui, les grands évènements et initiatives servent à « communiquer ce changement et expliquer notre identité ».

2/ Les initiatives locales et les grands évènements

Sur le couplage entre initiatives locales et grands évènements qui ont été présentés dans une perspective de complémentarité,  voici quelques unes des initiatives créatives, mises en avant durant la journée « Culture : destination France » :

Julie Cannesan, Directrice exécutive adjointe de Business France, évoquait la campagne « Créative France », nouvelle initiative lancée par Business France pour promouvoir une bonne image de la France à l’international. Pour elle, « la créativité transforme les secteurs, c’est un élément différentiant pour la France. Il faut une logique d’inclusion en permettant à toutes les entreprises d’utiliser ce label, tel une logique de captation pour lier des messages sur l’attractivité ».

Exemple de mise en avant du territoire, dans une démarche créative, « Le Voyage à Nantes » : son directeur, Jean Blaise entend « marier tourisme et culture en faisant interpréter ce territoire par des artistes à travers un parcours sensible et poétique ». Pour lui, « cet évènement qui met en scène la ville de façon éclectique est une vraie expérience de territoire ». Fort de son franc succès, « Le Voyage à Nantes » peut se vanter d’avoir suscité un mouvement touristique du à son offre culturelle.

"Le Voyage à Nantes"

« Le Voyage à Nantes »

Moins connu et tout aussi émergent dans son offre et son succès, le tourisme de mémoire : en effet, les commémorations génèrent un nouveau tourisme culturel, entre nations, familles, territoires et souvenirs, avec des retombées économiques à la clé pour les territoires, comme ce fut le cas pour la Normandie en 2014. Pour Joseph Zimet, Directeur général de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, le tourisme de mémoire « cherche à rendre attractif ce grand drame du 20ème siècle ancré dans nos paysages et dans nos familles. C’est un champ de bataille qui se raconte dans plusieurs langues à un public international. Il faut ensuite garder ces publics et ces flux, travailler sur la destination. On peut proposer des commémorations qui sont des phares pour attirer, comme avec Verdun ».

Christian Mantei : « Transformer le territoire en destination »

Si les succès existent, Christian Mantei, Directeur général d’Atout France, n’oublie pas que l’on a « des touristes de plus en plus connaisseurs et exigeants sur la qualité des évènements et l’architecture ». Il appelle à une meilleure attention sur « l’offre globale de services qui transforme le territoire en destination. On doit davantage synchroniser les efforts et les investissements sur différentes activités comme les transports, les restaurants ou l’offre de loisirs. De plus, le directeur général d’Atout France a mis en évidence les contrats de destination autour de marques à dimension mondiale, pour s’engager à améliorer l’offre de territoire. Autre paramètre à ne pas oublier : le tourisme « se fiche des limites administratives, il a une approche humaniste, en allant rencontrer l’autre, ce qui constitue d’ailleurs un vecteur de paix ».

A mi-chemin entre initiative à portée évènementielle et grand évènement, le projet de Bernard Faivre d’Arcier, ancien Directeur du festival d’Avignon, se propose « chaque année de décerner le titre de Capitale française de la culture dès 2018 ». Vu que Marseille a été capitale européenne de la culture en 2013, il pense qu’il faudrait attendre longtemps, sans doute la fin des années 2020, pour qu’une ville française soit à nouveau élue. L’idée serait donc de sélectionner deux ou trois projets innovants proposés par une ville, notamment de nouvelles formes de médiation artistique et culturelle qui mettent à l’honneur l’engagement citoyen. Bernard Faivre d’Arcier souhaiterait un jury « sans politiques ni experts », avec des procédures « plus courtes ». Une ville porterait ainsi l’image de marque de la France pendant l’année en question, dès 2018.

On perçoit à travers ces initiatives à portée évènementielle le rôle de lien social qu’elles entendent jouer. Philippe Augier, Maire de Deauville, est convaincu que le grand événement a aussi un rôle en ce domaine, car pour lui « il n’y a pas de grands projets sans une appropriation de la part des populations concernées ». Cette notion d’appropriation est cruciale dans la réussite d’un grand évènement.  Philippe Augier pense que « les événements culturels ont la capacité de revitaliser notre patrimoine, et donc la culture ne doit pas rester ‘pure’, mais bel et bien se mélanger avec l’économie et le tourisme ». Le grand évènement serait même un « amplificateur de ce qui existe dans le domaine économique, social et culturel » relève Jean-Christophe Fromantin, Député-Maire de Neuilly-sur-Seine et Président d’ExpoFrance 2025. Il insiste sur le fait que « nous avons besoin en France d’une Exposition universelle parce que nous avons des atouts qui sont dormants mais que l’on peut partager avec le monde, car notre histoire nous donne cette légitimité ».

3/ Par la jeunesse

François Weil, Recteur de la Région académique Ile-de-France, Recteur de l’Académie de Paris et Chancelier des universités de Paris, soulève le problème d’un « modèle ancien qui va devoir s’adapter », notamment en termes de formations. Jusqu’à présent les logiques étaient plus disciplinaires qu’interdisciplinaires, dans une perspective de « niches ». Mais ce système de millefeuilles n’est, selon François Weil, « plus adapté au 21ème siècle car l’innovation est pluridisciplinaire et qu’il faut donc voir le rapprochement de ces structures comme un levier d’attractivité ». Pour lui, le savoir « ne doit pas se catégoriser selon des logiques disciplinaires, même si ce basculement est ralenti par des inquiétudes vis-à-vis d’intérêts particuliers ». Pour illustrer ses propos, il cite un exemple : « Auparavant, on avait les médecins d’un côté et les juristes de l’autre. Alors que fait-on si on travaille sur la bioéthique ? ».

Un changement de paradigme qui ne doit pas remettre en cause la qualité de l’enseignement supérieur. Cette qualité, ainsi que la langue et la qualité de vie apparaissent comme trois moteurs d’attractivité selon Anne Benoit, Directrice Communication, Presse et Etudes de Campus France. Tout cela est confirmé par un chiffre : la France se positionne comme le 3ème pays d’accueil d’étudiants étrangers, derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni, avec 298 000 étudiants internationaux en France sur l’année universitaire 2014/2015, soit 12 % de l’ensemble des étudiants. Pour développer davantage ce chiffre, Anne Benoît indique que Campus France « travaille sur un réseau d’alumni, car ces anciens étudiants étrangers venus en France sont des ambassadeurs et il faut capitaliser sur leur enthousiasme collectif ». Des atouts d’attractivité pour les jeunes qu’il faudra savoir valoriser encore davantage, à l’avenir.

4/ Le développement de la francophonie

La langue française fait partie des moteurs de l’attractivité. André Vallini, Secrétaire d’Etat chargé du Développement et de la Francophonie, soulignait que « notre espace francophone ne cessera de croître. D’ici 2050, le nombre de locuteurs francophones sera autour de 750 millions ». Une chance, un atout, pas toujours bien saisis qu’il convient de valoriser. Pour Yves Bigot, Directeur général de TV5 Monde, « on ne comprend pas suffisamment la nécessité de la francophonie. Le Français est menacé dans beaucoup de pays comme la Suisse et la Belgique. Sans faire preuve de supériorité par rapport à d’autres langues, il faut répéter que langue est essentielle pour l’espace culturel partagé, pour la société et pour l’emploi ».

Et plus précisément, la langue française possède deux caractéristiques qui font d’elle un moteur d’attractivité : primo, le Français est une langue propre. Jérôme Clément, Président de la Fondation Alliance française, pense que « c’est une chance unique pour un pays d’avoir une langue qui est la sienne ». Secondo, le Français est une langue universelle, aux allures de « moyen d’influence et de marque de pensée »

En parallèle à ce questionnement sur l’attractivité culturelle française, l’ancien Ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, s’interroge sur la notion d’attractivité culturelle européenne, même si selon lui « on peut en douter après une actualité européenne douloureuse eu égard à la question des migrants et des frontières ». Pour lui, « il est urgent de rétablir le sentiment de fraternité ». Au lieu de penser que l’Europe est un problème, il invite à penser « qu’elle est une fraternité de destins et une communauté de valeurs », ce qui a besoin d’être vécu concrètement : c’est la raison pour laquelle Renaud Donnedieu de Vabres parle d’une nuit de la culture européenne, où l’on passe d’un lieu à un autre sur les chaînes publiques et privées européennes, pour faire découvrir « que le voisin n’est pas un ennemi ou un problème fiscal mais un homme ou une femme qui est lié à nous par la culture ou la civilisation européenne ».

Bruno CAMMALLERI

(mars 2016)

Pour aller plus loin :

►La carte interactive du Grand Tour

►Le Club Viavoice, avec Olivier Poivre d’Arvor : « Une certaine idée de l’attractivité de la France »

►Chaire Attractivité et nouveau marketing territorial de l’Institut de Management Public et de Gouvernance Territorial