Une caractérisation des différentes familles des droites extrêmes en Europe, à travers leur histoire et leurs mutations, une analyse des causes de leur audience croissante, qui ne s’explique pas seulement par la crise économique et sociale, voilà ce que proposaient d’essentiel Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg dans leur ouvrage « Les droites extrêmes en Europe » (Seuil, 2015). Yves Gounin, délégué aux relations internationales du Conseil d’Etat, proposait une synthèse de ce livre dans la revue « Politique Etrangère ». Voici cette synthèse.
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Les « droites extrêmes » se caractérisent par leur diversité, justifiant largement l’usage du pluriel de préférence au singulier « extrême droite ». Elles se caractérisent aussi par leur plasticité intellectuelle (dont témoigne par exemple le nazi-maoïsme d’un Franco Freda) qui s’accommode mal d’être réduite à « un point ultime de l’axe linéaire droite-gauche ». Cela ne signifie pas qu’on ne puisse leur rechercher des caractéristiques communes. La première est l’organicisme, c’est-à-dire « l’idée que la société fonctionne comme un être vivant ». Comme un être vivant, la société doit être défendue contre ce qui la menace (l’altérophobie, qui se décline selon les lieux et les époques en antisémitisme ou en islamophobie), et rassemblée autour de ce qui la constitue (l’autophilie, déclinée en suprématisme raciste ou en intégrisme religieux). Autre caractéristique : le sentiment de faire partie du camp des laissés-pour-compte (vaincus de la Révolution française, des Trente Glorieuses, de la chute du Mur, de la mondialisation…), et le désir de laver cette injustice. Au-delà de ces caractéristiques communes, les droites extrêmes peuvent se diviser en deux catégories. D’un côté les « nationaux » conservateurs et réactionnaires, qui inscrivent leur action dans le jeu démocratique. De l’autre, les « nationalistes » révolutionnaires, plus jeunes et plus violents, résolument antisystème.
L’attrape-tout FN
Suivant une approche historique, les auteurs distinguent depuis 1945 quatre vagues de partis extrémistes de droite, qui se sont stratifiées au fil du temps. La première vague, néofasciste, entre 1945 et 1955, se caractérise par sa proximité vis-à-vis des idéologies totalitaires des années 1930. Le MSI italien et le NPD allemand en sont issus. La deuxième correspond à une radicalisation des classes moyennes. C’est le poujadisme en France, ou les mouvements intégristes hostiles à Vatican II (l’Œuvre française, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X). Arrivent ensuite, avec la crise, les mouvements nationaux-populistes tels que le FPÖ autrichien, la Lega Nord italienne ou le Vlaams Blok flamand. La quatrième vague, depuis 2000, a fait de la lutte contre l’immigration son cheval de bataille : le PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas, Aube dorée en Grèce, Jobbik en Hongrie, PEGIDA en Allemagne…
Le Front national est en France un parti « attrape-tout », qui a su fédérer tous ces mécontentements. Avec Marine Le Pen, il s’est dédiabolisé en écartant les fascistes les plus enragés, et déringardisé en marginalisant les catholiques intégristes. Il prospère avec la crise économique, la montée du chômage et la peur du déclassement. Mais son succès n’est pas réductible aux seuls facteurs économiques. Le serait-il, on ne comprendrait pas les différences entre des pays qui ont tous été frappés par la crise. Pourquoi l’Espagne, où le taux de chômage frise les 25 %, ne connaît-elle pas de droite extrême ? L’explication est historique : l’extrême droite y est durablement décrédibilisée par les longues années du franquisme. Mais l’explication est aussi politique : l’extrême droite se développe là où les partis de gouvernement échouent. Terrible conclusion pour la droite et la gauche françaises.
Yves Gounin, in Politique Etrangère (1/2016)