Robin Rivaton – Nicolas Bouzou : le numérique, notre sujet d’avenir

À l’occasion de la publication de l’étude d’opinion Viavoice pour La Revue Civique (avec Le Figaro, France Inter, BFM Business et Challenges ; cf le lien vers l’étude en bas de cet article) sur l’économie et le patriotisme numérique (français et européen), La Revue Civique a organisé un petit déjeuner-débat en présence de Robin Rivaton, essayiste et membre du Conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (FONDAPOL), et de Nicolas Bouzou, économiste, directeur d’études au sein du MBA Law & Management de l’université Paris II Assas et fondateur du cabinet de conseil Asterès. 

François Miquet-Marty, Président de Viavoice, qui présentait les résultats de l’étude d’opinion, expliquait que la plupart des Français considèrent les entreprises dont l’activité est menée uniquement sur Internet comme étant d’une « nature différente » des autres entreprises. Deux autres données ont suscité l’intérêt des intervenants : d’un côté, les citoyens semblent plutôt optimistes sur la capacité de ce type d’entreprises à créer de l’emploi et à contribuer à la croissance économique ; de l’autre, deux Français sur trois considèrent « choquant » qu’il y ait des entreprises étrangères du numérique qui, en proposant leurs services en France mais restant basées à l’étranger, ne paient pas (ou très peu) d’impôts dans l’Hexagone.

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Pour Robin Rivaton, sectoriser les entreprises du numérique en les distinguant de celles qui n’ont pas de présence sur la Toile n’est pas pertinent car « une entreprise non numérique, s’il faut la définir, c’est une entreprise qui va mourir ». Il a évoqué le manque de géants, de la taille de Google ou Facebook, en Europe. « Même la Chine a ses trois géants, qui jouissent d’une capacité d’attraction extraordinaire », relève-t-il, en rappelant qu’à Shenzhen les entreprises les plus innovantes du secteur high-tech chinoises sont en train de façonner une nouvelle Silicon Valley asiatique : « l’Europe restera seule si elle ne s’éveille pas ». Pour lui, les règles fiscales, le droit de la concurrence européen et une certaine vision court-termiste ont invariablement contribué à créer un écosystème où l’on privilégie les consommateurs aux dépens, très souvent, des entreprises. Malgré tout, affirmait-il, l’Union européenne peut compter sur de bonnes ressources économiques et sur un capital humain très dynamique pour tourner à son avantage la situation.

Des gisements d’emplois

Du temps, pourtant, a été selon lui largement perdu. Selon l’auteur de Aux actes, dirigeants (Les Belles Lettres, février 2016), l’Europe, si elle cherche sérieusement à rattraper son retard, n’aura d’autre option que de sauter des étapes de la révolution numérique et cibler avec intelligence les combats à mener. « Ce qu’il faudrait éviter surtout, estime Robin Rivaton, c’est de réguler avant que l’on soit performant, car cela couperait les initiatives et le potentiel des entrepreneurs ». Il est aussi important de comprendre, selon lui, la nature de ces géants du numérique, puisqu’il s’agit d’un type d’entreprises nécessitant de forts investissements sur le long terme, disposant d’un actionnariat stable, pas trop parcellé, et jouissant normalement à leur tête d’une personnalité charismatique et visionnaire, capable de guider sans peur de l’échec.

Cette question de l’économie numérique, aux yeux de Nicolas Bouzou aussi, est l’un des sujets essentiels de notre société, non seulement pour les acteurs économiques, mais aussi pour les citoyens car, dit-il, cette adaptation transformera nos vies. Il y a, en effet, selon lui, des gisements colossaux d’emplois dans l’économie numérique. Pourtant, le terme « numérique », d’après l’auteur de Le grand refoulement. Stop à la démission démocratique (Plon, juillet 2015), est restrictif : il serait plus approprié d’utiliser l’expression « NBIC », qui comprend les nanotechnologies, les biotechnologies, les technologies de l’information et les technologies cognitives, puisque « c’est la convergence de ces quatre types d’innovations qui déclenche la révolution ». Une révolution d’une nouvelle portée, dans la mesure où « c’est la première fois dans l’Histoire de l’Humanité qu’une révolution concerne, directement ou indirectement, le monde entier », souligne t-il.

« En France, on aime parler du passé »

Pour toutes ces raisons, parler de l’effondrement de l’emploi ou même de sa fin, estime-t-il, n’est pas sérieux : « un monde sans carbone émerge et nous avons peur parce qu’il signale la fin d’un univers auquel nous sommes tous attachés, celui des « Trente Glorieuses », mais il faudrait plutôt voir dans ce changement une mutation nécessaire, un progrès vers une nouvelle économie », où l’Europe devrait avoir sa part. Sans une opinion publique convaincue, ajoute Nicolas Bouzou, il n’y aura pas d’avenir. C’est là où le pouvoir politique devrait jouer son rôle. Savoir proposer une régulation qui sache accompagner l’émergence de ce type d’entreprises serait, à son avis, la tâche principale des institutions européennes et françaises. Plus qu’arrêter ou freiner le développement de la technologie – d’ailleurs impossible – il vaudrait mieux que les initiatives politiques s’attachent à réguler sur les questions éthiques les concernant.

Sur le concept de « patriotisme numérique », Robin Rivaton considère, pour sa part, qu’il entraine un processus de réflexion que les pays européens comme la France sont appelés à développer : quelles devront être nos valeurs communes face à ces technologies, permettant d’apprendre à les gérer et à en tirer le meilleur ? Nicolas Bouzou regrette l’inexistence d’un débat intellectuel et politique, en France, tourné vers l’avenir : « en France, on aime bien parler du passé ; mais ce qu’il faut faire, c’est construire notre futur ». « Et maintenant », avertit-il, « avant qu’il ne soit trop tard ».

Bruno CAMMALLERI et Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ

(mars 2016)

Pour aller plus loin :

►Étude Viavoice pour La Revue Civique, (avec Le Figaro, France Inter, BFM Business et Challenges), L’économie numérique et le « patriotisme numérique » (français et européen) (février 2016)