Mongolie (Chine) : le massacre de Jindandao au grand jour

Avocate au sein du cabinet SARA Partners, Vony Rambolamanana participait récemment à la 26ème édition du Concours international de plaidoiries pour les droits de l’Homme, organisé par le Mémorial de Caen, et auquel le directeur de la Revue Civique Jean-Philippe Moinet participait en tant que membre du jury. Voici le texte de plaidoirie que cette brillante avocate a présenté lors de ce concours, qui portait sur les exactions dont les Mongols sont victimes en Chine, dans un silence assourdissant et une indifférence, qu’elle dénonce : « Faudra-t-il attendre un siècle de plus pour dévoiler ce qui arrive actuellement aux Mongols de Chine ? Nul ne pourra alors prouver leur existence, encore moins leur fin. Non, refusons de parler d’eux comme d’un mythe ! »

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« Il est sans doute peu aisé pour celui qui n’est pas habitué aux espaces à perte de vue de l’imaginer. Cette scène est de toute beauté, et pourtant ce qu’elle raconte l’est beaucoup moins. Comme à l’approche de la fête nationale Naddam, Enkhamgayam galope sur son cheval mongol alezan à travers la steppe en direction de la prochaine yourte. Sauf que l’heure n’est pas à la fête. Son regard concentré sur l’horizon ne trahit en rien ses idées qui se bousculent, ni ses angoisses qui accélèrent le rythme de son cœur, et peut-être bien aussi celui de sa course. Les nuages de poussière qu’il provoque ne sont pas sans rappeler sa colère qui monte en lui avant de retomber, humilié. Une humiliation vieille de plusieurs décennies d’oppression.

Concours de plaidoirie au Mémorial de Caen

Il ne croise pas âme qui vive sur sa route. De ce coté du territoire mongol, à Ujimqin Ouest, la modernité n’a pas encore tout à fait planté son drapeau. Ici règnent les derniers vestiges de cette ethnie, seul espace où les Mongols sont encore nombreux. Quand un troupeau de moutons surgit, il sait qu’il est arrivé. Il se présente à ses amis, empreint de gravité. « Ils ont tué l’un des nôtres. Mergen est mort hier soir. Leurs camions l’ont traîné sur plus d’une centaine de mètres alors qu’il résistait. »
Las des révoltes spontanées, ils optent dorénavant pour l’organisation pacifiste. Les émotions exprimées dans la douleur seront contenues dans l’action. Il y a celui qui fait des pancartes, celle qui se rend dans les gachas environnants pour annoncer la tenue de la prochaine manifestation. On est remontés, motivés, voire optimistes, car l’union fait la force. Seulement personne n’ose dire tout haut ce qu’il pense tout bas : cette lutte n’aura de fin que dans l’annihilation de leur identité, de leurs terres, voire de leur peuple.

« Pour ces protagonistes,

l’espoir n’est plus permis »

La fatigue déjà se ressent. Aujourd’hui ce combat perdure, et pour ces protagonistes, l’espoir n’est plus permis. Certains ont disparu, d’autres sont en prison, et les plus chanceux ont réussi à s’enfuir. Parmi ces derniers, il y a Munkhazaya, l’épouse d’Enkhamgayam, contrainte d’abandonner ses prairies pour trouver refuge dans nos mégalopoles étroites et asphyxiantes.

Quelques jours après la mort de Mergen, en mai 2011, des milliers de personnes sont venues grossir leur rang. On y retrouve ceux qui ont résisté à la relocalisation forcée, et ceux qui, de retour sur leurs terres ancestrales, n’y ont pas survécu. Majoritaires à 80% en 1949, ils ne représentent plus que 17% de la population de la Mongolie Intérieure et portent aujourd’hui les stigmates de « minorité ethnique ».

La province autonome de Mongolie Intérieure est une région qui n’a plus rien d’autonome. Victime de sa richesse naturelle, elle constitue la base énergétique de la Chine. Sous le prétexte mensonger de protéger l’environnement et de laisser reposer les pâturages, les autorités chinoises ont organisé la migration forcée de plus de 160.000 nomades mongols. Les prairies verdoyantes sont désormais lacérées de routes goudronnées.

Les conséquences sont alarmantes : les réserves souterraines sont asséchées, la désertification de cette zone est largement entamée, l’air est impur. Loin de se reposer, les pâturages sont colonisés par les camions de sociétés minières favorisées par le gouvernement en quête de charbon et de terres rares. Ces mêmes camions qui ont tué Mergen.

« La Chine trahit ses engagements »

Or, les pâturages sont à l’identité des Mongols ce que l’eau est à leurs récoltes. Les en priver est une violation de la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones adoptée par Pékin. Tang Jiuaxan, conseiller d’état, ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il déclare au commissaire des droits de l’Homme « qu’améliorer les conditions économiques, sociales et culturelles [est] notre tâche la plus importante ». Signataire du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qu’elle a ratifié en 2001, la Chine trahit pourtant ses engagements :
à son article 1 : la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de leurs richesses et ressources naturelles. Que dire alors du pillage que je viens de dénoncer ?
à son article 11 : le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement, et un logement suffisants. Quid des évictions fréquentes, sans aucune compensation ou consultation adéquate, qui privent les Mongols des recettes de l’élevage et de l’agriculture indispensables à leur survie ?
à son article 13 : le droit de toute personne à l’éducation. La politique de fermeture des écoles en langue mongole n’est-elle pas précisément destinée à en limiter l’accès ? Exclus, discriminés dans les villes où on les installe, loin de leur langue et de leur culture, ils ne sont plus chez eux ici, sans l’être davantage ailleurs.

« La police anti-émeute à Hohhot

ne fait pas dans le détail »

Au-delà des paroles et des textes, la réalité est donc bien moins avouable… Ce n’est pas un hasard si deux semaines après la première manifestation, un nouvel appel à la mobilisation circule. Cette fois, les étudiants rejoignent Enkhamgayam et ses compagnons d’infortune. La police anti-émeute à Hohhot, la capitale de la région, ne fait pas dans le détail : quarante personnes sont arrêtées.

Les avocats participant au concours de plaidoirie

Un second berger est tué au mois d’octobre, déclenchant de nouvelles manifestations. Les forces de sécurité se livrent à une sourde répression. Agitant le spectre fantaisiste d’activités terroristes, elles arrêtent 82 groupes et 3.644 criminels présumés, selon le Bureau de la Sécurité publique. Les réseaux de télécommunication sont interrompus dans une grande partie de la région.
Lorsque des bergers se rendent en 2013 à Pékin pour protester contre l’occupation de leurs pâturages, ils sont expulsés au mépris du droit de pétition pourtant reconnu par la loi chinoise. Plus d’une cinquantaine de personnes ayant évoqué leur sort sur Internet et dénoncé la migration des Hans sur leurs territoires sont détenus sans procès au motif qu’ils auraient, selon les médias étatiques, « créé et propagé des rumeurs ».

Les Hans sont en effet encouragés à la migration en Mongolie Intérieure et bénéficient de la mansuétude des autorités chinoises. En avril 2013, à la bannière d’Ongniud une centaine de fermiers hans ont agressé des éleveurs mongols, en blessant grièvement sept, et ce en toute impunité.

Au cours de la même année, Bayanbaatar, un autre berger est battu violemment par des employés hans du chemin de fer lors d’une protestation. En empêchant ses amis de le transporter à l’hôpital, ces employés ont provoqué sa mort. Comme si la disparition de ce berger ne suffit pas, sa famille et quatre-vingts autres protestataires sont assignés à résidence, alors que ses agresseurs n’ont jamais été poursuivis. La compensation financière proposée sonne comme une insulte. La mort ne se marchande pas.

Six bergers sont ensuite condamnés à des peines de prison pour sabotage et destruction de biens. Leur crime ? Se défendre contre leur expropriation par une entreprise forestière. Ce qui aurait dû être une affaire civile a été transformé en procès pénal.

 « Les porte-voix du peuple mongol

sont bâillonnés »

Afin d’étouffer toute velléité de mobilisation, les porte-voix du peuple mongol sont bâillonnés. Ainsi en est-il de l’écrivain Hada, qui, visionnaire, avait prévu dès 1995 ce qu’il adviendrait de son peuple. Pour s’être exprimé, il a passé quinze ans en prison avant d’être placé en résidence surveillée plutôt que d’être libéré. Il en est de même pour Huuchinuu, cyberdissidente régulièrement battue avant de disparaître. Leurs situations respectives sont rapportées par Amnesty International et Reporters sans Frontières. Cette dernière ONG rappelle à juste titre que la Chine « fait de la disparition forcée un instrument privilégié de censure de la parole libre ».

Et Enkhamgayam dans tout ça ? Enkhamgayam, dont le seul crime fut d’organiser des manifestations, a été exécuté en juin 2013, au terme d’un procès à huis clos. Il a connu avant sa mort deux années de travaux forcés et de maltraitances, car en Chine, dit-on, la torture est une maladie chronique. Ainsi va la vie en Mongolie Intérieure. Une succession d’exactions couchées et répertoriées sur les pages virtuelles d’une poignée de sites d’ONG ou de journaux en ligne.

La constitution chinoise a intégré la protection et le respect des droits de l’Homme en mars 2004, mais cela reste, comme vous en faites le constat, une rhétorique vide. D’ailleurs, la Chine ne semble même plus s’embarrasser de rhétorique puisqu’elle n’a toujours pas ratifié le Pacte International des Droits Civils et Politiques.

Agriculteurs ou bergers, étudiants ou intellectuels, hommes ou femmes, tous vivent sans savoir de quoi seront fait leurs lendemains. Existe-t-il quotidien plus angoissant que celui de voir son histoire s’éteindre à petit feu ? Ne subsisteront bientôt que ces steppes où seul le souffle du vent nous fait écho. Et même cet écho finira par mourir sous le bruit des pelleteuses, étouffé par la fumée des usines.

Une société chinoise secrète du nom de Jindandao a massacré des dizaines de milliers de Mongols en 1891, invoquant la lutte contre l’impérialisme pour dissimuler des tentations de nettoyage ethnique. C’est en fuyant vers les montagnes que les rescapés ont pu bâtir cette société pastorale, aujourd’hui également menacée.

« Pendant un siècle,

la version chinoise s’imposa en vérité »

Pendant un siècle, la version chinoise de ce massacre s’imposa en vérité, les Mongols et leur histoire étant réduits au silence. Ce n’est qu’aujourd’hui que l’on commence à saisir ce qui s’est réellement passé. Faudra-t-il attendre un siècle de plus pour dévoiler ce qui arrive actuellement aux Mongols de Chine ? Nul ne pourra alors prouver leur existence, encore moins leur fin. Non, refusons de parler d’eux comme d’un mythe !

Il ne me faut pas de courage pour prendre le train, venir à Caen et vous dire tout ceci, pas plus que pour passer ces heures auprès de Munkhazaya, assise dans mon bureau à écouter le récit de l’exécution de son mari. J’ai en tête les 8.000 kilomètres qu’elle a traversés et qui la séparent de la terre qu’elle aime, seul trait d’union qui lui reste avec Enkhamgayam.

A l’image du massacre de Jindandao trop longtemps tu, venir vous livrer sa version permettra peut-être que l’on réhabilite leur mémoire. De ceux qui disparaissent, de ceux qui fuient, de ceux qui paient au prix fort le choix de la parole libre. Tout simplement je suis venue vous parler de Mergen, d’Enkhamgayam, de Munkhazaya, de Hada. C’est ici l’histoire de ces courageux ».

 

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