Abdallah Zekri est président de l’Observatoire national contre l’Islamophobie, instance du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). Il était l’un des invités d’Arnaud Ardoin sur le plateau de « Ça vous regarde » (le 27 octobre 2014). Suite à cette émission consacrée au Djihad, la Revue Civique lui a posé plusieurs questions. Ses réponses font « rebond » sur les raisons qui poussent certains jeunes musulmans à partir en Syrie, mais également sur les moyens mis en œuvre pour en venir à bout. Entretien.
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La REVUE CIVIQUE : comment expliquez-vous la volonté de certains jeunes musulmans de partir faire le Djihad?
Abdallah Zekri : On peut déjà l’expliquer par une grande méconnaissance de l’islam. Ils se considèrent comme musulmans parce qu’ils ont récité la Chahada (ndlr, profession de foi en islam) mais on ne devient pas chrétien parce qu’on fait le signe de croix. J’ai discuté avec des jeunes qui voulaient partir et ils ne connaissent rien au Coran, et encore moins ceux qui se convertissent. Il faut dire qu’en islam, le Djihad est un combat sur soi-même qu’on mène toute la vie afin de rester dans le droit chemin. Ces jeunes n’ont donc rien compris. Aussi, alors qu’on pensait que les raisons principales provenaient de l’échec scolaire, de leur vie à l’écart dans les quartiers ou encore d’un contexte familial difficile, on s’est aperçu que parmi ces jeunes, il y en a beaucoup qui ont fait des études supérieures et ne proviennent pas forcément d’un milieu défavorisé. Malgré tout, selon moi, leur oisiveté dans certains quartiers où le chômage est important reste une explication.
Les recruteurs profitent de leur situation
Ces jeunes n’arrivent plus à percevoir un avenir en France et se sentent l’objet de discriminations permanentes. Ils pensent se sentir utiles en partant en Syrie et ce sont alors les recruteurs, notamment sur Internet, qui profitent de cette situation. Mais ce qu’ils font ne sert à rien. Ces jeunes se font des illusions car ils ne peuvent rien changer à la donne. Il vaut mieux qu’ils se préoccupent de leur avenir en France et qu’ils se donnent les moyens de le construire. Il y a aussi un autre problème qui concerne les Français qui se convertissent à l’islam. On s’est rendu compte que ceux qui partent sont passés entre les mains d’imams salafistes, des imams autoproclamés qui ne connaissent rien à la religion musulmane. Mais cela n’arrive pas dans les mosquées officielles. Par exemple, des centaines de personnes souhaitant se convertir à la religion musulmane sont passées par la Grande mosquée de Paris. Aucun ne s’est retrouvé à faire le Djihad. En réalité, cela se passe dans des salles de prières, ou même dans la rue. J’ai déjà eu l’occasion de rencontrer des salafistes qui tournaient dans les cités pour discuter avec des jeunes.
Comment contrecarrer ces départs pour le Djihad?
Cela fait deux ans que je demande à ce que les sites Internet extrémistes soient bloqués, mais on me répond que c’est très difficile car ils sont basés aux États-Unis.
Alors on va dans les mosquées pour discuter. On va à la rencontre des parents et on leur demande de faire attention à ce que font leurs enfants. On leur conseille de surveiller leur comportement au cas où ils se radicalisent, et si jamais il y a un doute, nous partons voir ces jeunes. On écoute alors ce qu’ils disent et on leur montre en quoi ils se trompent. Par exemple dernièrement, une mère et venue nous voir car son fils lui avait enlevé la télévision, considérant que les programmes qu’elle regardait n’étaient pas appropriés. La mère était inquiète mais j’ai rencontré son fils et j’ai pu l’apaiser.
Parmi ceux qui dénoncent « l’islamophobie », comme le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), on trouve parfois des personnes qui par ce biais limitent ou relativisent la lutte contre les djihadistes. Que leur dîtes-vous ?
Ceux qui dénoncent l’islamophobie ne cherchent pas à limiter la lutte contre les djihadistes. En tout cas, je n’en connais pas, je n’en vois pas. Par contre, je ne suis pas d’accord avec le CCIF qui est sous les ordres d’associations islamistes comme l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF). La plupart des dirigeants du CCIF faisaient partie de l’UOIF, qui est proche des Frères musulmans. Nous ne partageons pas leur point de vue. Eux dénoncent un racisme d’État et détournent le problème. Ils gonflent les chiffres concernant l’islamophobie. Il faut faire attention à leurs chiffres, à la dramatisation qu’ils font en permanence. On ne peut pas vivre comme cela, il faut être positif, souhaiter que les choses s’arrangent en combattant ce phénomène. Au CFCM, nous donnons des chiffres à partir de plaintes officielles, tout en reconnaissant qu’ils sont en dessous de la réalité.
Justement quelle est l’évolution des actes islamophobes en France ?
Du 1er janvier au 30 septembre 2014, l’Observatoire national contre l’islamophobie a noté une augmentation des actions islamophobes de 12,5% par rapport à l’année 2013, mais également une baisse des menaces de 44,9%. Comme ces chiffres sont fondés sur les plaintes déposées dans les différents commissariats de police, je dois dire qu’ils ne reflètent pas la réalité de l’islamophobie en France. En effet, les responsables de lieux de cultes et les Français de confession musulmane ne vont pas toujours jusqu’à porter plainte lorsqu’ils en sont victimes, car ils pensent que la justice n’ira pas jusqu’au bout. D’ailleurs, j’ajoute que nous déplorons également l’implosion de la cyber haine, c’est-à-dire cette hostilité envers les musulmans et l’islam qui déferle sur les réseaux sociaux.
Ne pas faire de lien avec le monde arabe
On l’explique par le fait que l’extrême droite et la droite offensive font l’amalgame avec ce qui se passe en Syrie, cela ne fait qu’augmenter l’islamophobie ambiante. Pourtant, on ne devrait pas faire de lien entre ce qui se passe dans le monde arabe et les Français de confession musulmane. Ceci d’autant plus qu’on parle toujours des victimes occidentales de ce groupe terroriste qu’est Daesh (ndlr, l’État islamique) alors qu’il ne faut pas oublier que la majorité de leurs victimes sont des musulmans. L’islam n’est un danger pour personne. La France a eu beaucoup de colonies ou les populations étaient musulmanes et elle n’était pas en danger. Il y a 5 millions de musulmans en France, il faut arrêter de les diaboliser et de faire peur aux gens.
Propos recueillis par Emilie GOUGACHE