Isabelle Giordano: « plus de culture dans les quartiers »
Présidente de «Cinéma pour tous», association qui s’engage pour la diffusion «d’images à sens» vers le public jeune, Isabelle Giordano dresse pour nous le bilan de cette action originale, à la fois sociale, culturelle et civique, menée pour les jeunes des quartiers dits sensibles.
– Isabelle GIORDANO : il est toujours difficile de tirer des leçons générales à partir d’une expérience associative particulière mais si on ne doute pas, ce qui est mon cas, qu’il y a utilité à diffuser des éléments de culture à des jeunes, notamment les plus défavorisés, si on ne doute pas que cet accès à la culture est un atout en matière d’ouverture, de construction de la personnalité, et d’avenir pour ces jeunes, et bien les leçons à tirer sont naturellement positives. Depuis maintenant près de trois ans que l’association mène ses actions, elle a du toucher environ 2 500 jeunes, qui ont vu des films auxquels ils n’avaient sans doute pas directement accès, qui en ont débattu avec nous, en ont sans doute discuté entre eux ensuite, qui ont sans doute eu envie de voir d’autres films et de se plonger dans des livres. Cette ouverture me semble positive même si je ne prétends naturellement pas que cela va ou peut changer le monde ! En toute humilité, on peut constater que dans les quartiers où nous allons, comme à Aubervilliers récemment, l’accès à la culture n’est pas une chose évidente, cela est même un défi de parler culture. Notre action est une petite pierre, une modeste contribution, utile pour ces jeunes.
– N’avez-vous pas quand même, compte tenu ce que représente le défi de l’égalité des chances et de l’éducation dans ces quartiers, de temps en temps découragée par l’ampleur de la tâche ?
– Si, on est tout le temps découragé… mais on a aussi de beaux témoignages, des personnes nous donnent des signes pleins d’espoir, dans des situations apparemment désespérées. Par exemple, quand nous avons projeté le film « Ecrire pour exister » de Richard Lagravenese, où le personnage Anne Frank est évoqué, j’ai reçu deux mails de jeunes filles, qui m’ont dit qu’elles sont ensuite allées à la bibliothèque de leur lycée pour demander le «journal d’Anne Frank», qu’elles ont alors lu et qui les a beaucoup ému. Quand on reçoit ce genre de message, on se dit que l’action menée est utile, et que les découragements qu’on peut avoir peuvent, et doivent, être surmontés. En matière d’égalité des chances, la culture peut évidemment devenir un plus dans un cursus personnel et scolaire. Et le cinéma, aussi étrange que cela puisse paraître, est un plus dans la culture générale de ces adolescents.
– En tout cas, c’est ma manière de leur présenter le cinéma. Je leur explique que le cinéma n’est pas un simple divertissement mais qu’il est un moyen d’accéder à d’autres savoirs, à d’autres modes d’expression, à d’autres univers, tous enrichissants. En sortant des projections que nous organisons, on leur remet de petites brochures, où ils ont des pistes: des livres qui peuvent concerner le même sujet, d’autres films à voir sur ce thème ou sur des thèmes voisins, des musiques qu’ils peuvent également découvrir. Je leur présente souvent le cinéma comme une passerelle vers d’autres savoirs. Selon les films projetés, cela peut être une ouverture vers l’économie, la politique, l’histoire, la géographie… C’est le monde, la société, dans toutes ses facettes, qu’ils sont amenés à découvrir à partir d’une œuvre cinématographique. En cela, c’est une démarche non pas tourné vers le monde clos de l’image mais vers le monde ouvert des savoirs.
– A partir de votre expérience associative, avez-vous le sentiment que le fossé continue de se creuser entre les jeunes de ces quartiers et les institutions de la République, en particulier l’école, ou au contraire qu’un lien, progressivement, se rétablit ?
– L’expérience de «Cinéma pour tous» est particulière, et je ne prétends pas faire un état des lieux général des «problèmes de banlieues», ni d’avoir une perception complète des évolutions de la société en matière d’éducation. Ce serait présomptueux. Nous avons simplement la chance d’être en relation avec les écoles qui sont en convention «ZEP», renommées «Ambition réussite», nouées par Sciences Po Paris ou des écoles de commerce qui organisent des tutorats entre leurs étudiants et les lycéens de ces quartiers. Nous voyons donc l’espoir se lever. En quelques années, de plus en plus de jeunes, perdant tout complexe, nous disent qu’ils veulent faire une préparation aux grandes écoles à Henri IV, qu’ils feront médecine ou telle grande école de commerce. Il y a cinq ans, ces ambitions étaient beaucoup moins exprimées, commentées, visibles. Un réel espoir est né avec ces «conventions ZEP», qui ont été un incroyable déclencheur d’espoir. Les jeunes se mettent à croire en eux, ce qui est essentiel dans le processus d’égalité des chances. Bien sûr, leur route est et sera semée d’embûches, mais ils se sont mis à croire que les meilleures études, les meilleures filières et les meilleurs métiers sont possibles pour eux. Maintenant, ces expériences ne concernent que certains lycées. Notre souhait, naturellement, est que ces expériences se généralisent.
Les jeunes se mettent à croire en eux,
ce qui est essentiel dans le processus d’égalité des chances.
– L’éducation et la formation constituent, à l’évidence, une priorité pour beaucoup de jeunes, des quartiers dits sensibles comme pour tous les jeunes en général. Tout le monde en est bien conscient aujourd’hui. C’est pourquoi je citerai la Culture, qui est le parent pauvre, par exemple dans la plan banlieue de Fadela Amara. Je pense qu’il faut bien davantage miser sur la Culture comme levier d’épanouissement et de réussite pour les jeunes. Il faut qu’il y ait de véritables pôles culturels dans les banlieues, qu’il y ait une offre substantielle pour les jeunes pour qu’ils soient non pas désoeuvrés mais entourés d’œuvres !
Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET (printemps 2009)
Photo: Radio France:Christophe Abramowitz