Dans cette tribune, publiée sur Huffington Post, le cinéaste algérien Jean-Pierre Lledo (qui avait du quitter ce pays, en 1993, menacé par les islamistes radicaux), dénonce l’annulation de l’inauguration, au siège de l’UNESCO à Paris, demandée par le « Gorupe arabe de l’Unesco » d’une exposition intitulée : »Le Peuple, le Livre, la Terre: 3500 ans de relations entre le peuple juif et la Terre sainte ». Il y voit plus qu’un symbole de temps inquiétants : la marque d’un antisionisme radical, devenue symptôme de l’antisémitisme qui parcourt les sociétés arabo-musulmanes (et même certains de ses dirigeants). Évoquant aussi l’instrumentalisation dans les pays arabes de la quenelle, geste devenu « néo-nazi », il dénonce : « Cette flambée de judéophobie, comme toutes les flambées passées, est le signe certain d’un malaise planétaire profond ».
Le « Groupe arabe auprès de l’Unesco » (1) a demandé par lettre le 14 janvier dernier l’annulation d’une exposition préparée depuis 2 ans, et sa directrice Irina Bokova a obtempéré 3 jours avant son inauguration.
Fait sans doute unique dans les annales de cette prestigieuse institution, comme de toute institution culturelle respectable. Cette exposition s’intitulait « Le Peuple, le Livre, la Terre: 3500 ans de relations entre le peuple juif et la Terre sainte ».
Voici copie de la lettre adressée à Mme Bokova.
Cette décision cumule les scandales, tous plus »énormes » les uns que les autres. Scandale de l’annulation. Scandale du diktat du ‘ »Groupe arabe ». Scandale de l’importation dans ce qui se voulait un Temple de la culture universelle d’un débat de nature politique. Scandale qu’un ensemble de pays puisse à l’Unesco, se regrouper sous une bannière ethnico-politique. Scandale du contenu de la justification de ce groupe. Scandale de l’abdication de sa directrice. Scandale enfin, et celui-là est le plus important, de l’exclusion de la culture et de l’histoire de l’un des plus anciens peuples de l’humanité présente. Scandale absolu !
Les détracteurs de Samuel Phillips Huntington, devront revoir leurs copies. Le Choc des civilisations insistait sur l’importance des oppositions culturelles, civilisationnelles, et religieuses. Sans parler du plus terrible des attentats de tous les temps contre les Tours Jumelles de Manhattan, en 2001, les guerres civiles qui de l’Algérie, à l’Irak, à la Syrie, en passant par l’Afghanistan, ont meurtri et meurtrissent le monde musulman, ne lui avaient-elles pas déjà donné raison? Idem pour les agressions contre les minorités chrétiennes, devenues les cibles et les otages des majorités musulmanes, où les courants islamistes, racistes et fascistes, sont hégémoniques, provoquant des exodes d’une ampleur jamais vue dans l’histoire, que ce soit au Soudan, au Nigéria au Pakistan, en Égypte et au Liban… Et s’il avait encore fallu une nouvelle preuve de la justesse de l’hypothèse d’un gigantesque clash civilisationnel, eh bien, le coup d’État qui vient de se produire à Paris, à l’Unesco, est là.
Certes ce coup de tonnerre n’arrive pas dans un ciel serein… C’est le moins que l’on puisse dire. Le fait que le siège de l’Unesco se trouve dans la capitale du même pays où un nazillon se prétendant artiste, porté au pinacle par des cohortes d’admirateurs de toutes les couleurs, a pu récemment vanter les mérites des chambres à gaz, n’est pas pour moi le fait du hasard.
De l’admiration pour les artisans de la Shoah, au négationnisme de l’histoire d un peuple, la boucle est bouclée.
Certains de mes amis m’avaient reproché d’exagérer en voyant dans la quenelle le symbole d’un nouveau type de judéophobie planétaire. La décision de la directrice de l’Unesco, leur donne tort. La quenelle est aujourd’hui reprise dans de nombreux pays, la plupart du temps dans un décor-signifiant juif. Et récemment en Tunisie, des « contestataires progressistes », non des islamistes, se le sont appropriés.
« La quenelle est bien
le salut nazi empêché »
Or la quenelle est bien le salut nazi empêché. Le journaliste algérien Arezki Metref vient de nous le rappeler (2), qui en situe l’origine dans le film «Docteur Folamour», où « un scientifique transfuge, nostalgique du régime nazi, n’arrivait à refréner le salut nazi automatique de son bras droit qu’en le retenant de sa main gauche ». Je comprends moins sa tentative de banaliser Dieudonné en en faisant un simple plagiaire de Kubrik, comme si les intentions de l’un et de l’autre n’étaient pas diamétralement opposées. Faudra-t-il demain accepter la promotion de la dictature comme un acte humoristique parce que Chaplin a réalisé »Le Dictateur » ?
Cette flambée de judéophobie, comme toutes les flambées passées, est le signe certain d’un malaise planétaire profond, certainement dû à la mondialisation économique et médiatique qui rend subitement mitoyennes des mentalités qui ont des histoires et des racines extrêmement différentes, et qui sont encore très loin d’être prêtes au « dialogue des civilisations », les unes façonnées par des siècles de libéralisme et les autres par des siècles d’intolérance et de crimes contre toutes les minorités, politiques, religieuses, ethniques, culturelles, sexuelles, et intellectuelles, sans même parler de la minorisation de la majorité, les femmes.
Jusqu’à la récente décision d’Irina Bokova, je croyais justement que c’était le rôle d’une institution culturelle comme l’Unesco, de favoriser ce « dialogue », de faire reculer toutes les intolérances, et en imposant la réalité des cultures et des histoires de faire la nique à tous les dénis de nature politique. Et naturellement, à l’annonce de cette Exposition, je m’étais souvenu de ses premières paroles après son élection en 2009 : « Le serment que je viens de prêter est un engagement au service de l’Humanisme. »
Force m’est de constater aujourd’hui que la directrice a trahi son propre serment. Et plus gravement la mission même de cette prestigieuse institution culturelle internationale, l’Unesco. Loin de tenir à distance la politique et son cortège de divisions, sa décision a exactement l’effet inverse : faire perdre à l’Unesco son indépendance et l’instrumentaliser directement dans les luttes politiques.
L’appel du « Groupe arabe » à annuler l’Exposition considère qu’elle allait « faire du tort aux négociations de paix en cours ». Quelles négociations ? L’Appel ne le précise même pas. Dans les hautes sphères de l’Unesco, on se comprend à demi-mots. Mais comme on peut imaginer qu’il s’agit des actuelles négociations israélo-palestiniennes chapeautées par les USA, on aurait bien voulu savoir pourquoi… Pourquoi une telle Exposition »Le Peuple, le Livre, la Terre: 3500 ans de relations entre le peuple juif et la Terre sainte », mettrait en danger des négociations de paix ? Pourquoi porterait-elle également tort « à l’objectivité et la neutralité de l’Unesco » ?
Pour le »Groupe arabe », « sous un intitulé en apparence anodin », il s’agit tout simplement d’un des « chevaux de bataille du camp des opposants de la paix en Israël » !!! L’Unesco, qui préparait cette exposition en collaboration avec le Centre Simon Wisenthal, ne s’en serait pas aperçu d’elle-même depuis deux ans… La Ligue arabe, pardon le »Groupe arabe après de l’Unesco » aurait donc pallié à une carence manifeste… En quoi une iconographie illustrant le fait que le peuple juif a eu un rapport sans discontinuité à sa terre d’origine depuis 3500 ans s’opposerait à la paix ? Ce fait est-il un fait avéré ou un mensonge, un fantasme, une fiction, une manœuvre, un coup bas, une feinte, un croc en jambes, une ignominie ?
La perversité de désigner
le sentiment national juif
Ne serait-il pas vrai que tous les malheurs des Juifs proviennent du fait que refusant de céder sur leurs caractéristiques identitaires et nationales, ils se battirent tant qu’ils purent pour préserver leur intégrité nationale, et demeurer sur leur terre ? Sait-on seulement que la plupart des fêtes juives, dites »religieuses », sont des fêtes nationales, de résistance à un oppresseur, et plus concrètement aux grandes puissances impériales égyptienne, assyrienne, babylonienne, perse, grecque, romaine?
Ne serait-il pas vrai que lorsqu’ils furent en diaspora, ils ne renoncèrent jamais, hormis des exceptions, ni à leur identité, ni à leur terre d’origine, et se manifestèrent, autant qu’ils le purent, de la solidarité à travers tout le globe ? Ne serait-il pas vrai que trois fois chaque jour ils priaient de revenir »l’an prochain à Jérusalem » ? Ne serait-il pas vrai que dès que les circonstances historiques le leur permirent, notamment la fin de l’Empire ottoman, ils s’attelèrent à reconstituer leur Etat, dans lequel presque personne ne croyait, et depuis chaque année plus prospère et plus dynamique.
Inversement, tous les malheurs des Arabes, et notamment des Arabes de Palestine, ne proviennent-ils pas précisément du fait qu’ils ont voulu ignorer et continuent d’ignorer le sentiment national et l’aspiration nationale des Juifs, voire même de les nier, allant jusqu’à y voir une sorte de perversité, et un obstacle à la paix, comme l’écrit le »Groupe arabe » ?
Personnellement, je n’ai pas attendu la nouvelle mode européenne de l’anticolonialisme, pour affirmer le droit des Arabes à l’autodétermination, en Algérie et ailleurs. Je suis resté en Algérie comme Algérien, certes comme un idiot utile, à la condition non-dite de ne rien dire de tous les sujets tabous. Notamment celui des Juifs, et celui de l’exode d’un million de non-musulmans comme conséquence de la volonté du FLN de mettre en place une Algérie arabo-islamique. Déjà chassé par l’islamisme en 1993, je fus ostracisé par l’Etat en 2007, suite à l’interdiction de mon dernier film qui pour la première fois disaient ces choses à ne pas dire (3), mais également vilipendé par l’intelligentsia de gauche qui se comporte plus comme un relai de l’Etat que comme sa contestation.
Je suis donc tout à fait à l’aise aujourd’hui pour affirmer qu’une grande partie du malheur arabe provient de ses obsessions judéophobes. Lesquelles ont précédé la renaissance d’Israël de près de 13 siècles. Je m’explique sur tout cela dans mon dernier livre : »Le Monde arabe face à ses démons : Nationalisme, Islam et Juifs » (4). J’y explique notamment que de ces trois unanimismes qui font obstacle à la naissance d’une véritable pensée démocratique, le troisième, l’unanimisme judéophobe, est le plus redoutable et le moins remis en cause.
L’intelligentsia du monde arabe a un immense travail à faire pour s’émanciper de ces trois empêchements à penser qui agissent comme des réflexes conditionnés. Même s’il est clair que sa tâche n’est pas facile. Toucher à l’un de ces trois tabous, c’est au minimum l’exclusion de la communauté, et le plus souvent la mort. Qui ne connait pas la liste de cet intellectocide méconnait tout du monde arabo-musulman.
Pour s’être rendu au Salon international du Livre à Jérusalem en Mai 2012, comme invité d’honneur, je rappelle que l’écrivain algérien Boualem Sansal qui venait de recevoir à Paris le Prix du Roman arabe, fut sanctionné par les ambassadeurs du monde arabe qui le privèrent de la dotation ! Lorsque fin Mars 2001, dans un Appel publié par le Monde (5), 14 intellectuels arabes, parmi lesquels Adonis, Darwich, et Edward Saïd, demandèrent l’annulation de la Conférence mondiale du négationnisme qui devait se tenir à Beyrouth, à l’initiative d’un néo-nazi suisse, Jürgen Graf, à qui Khomeiny avait accordé l’asile et la nationalité, ce fut une levée immédiate de boucliers dans le monde arabe. L’Union des écrivains jordaniens demanda des comptes à chacun d’eux. L’histoire retiendra qu’un seul se déjugea et ce fut Edward Saïd. Enfin et pour ne pas multiplier les exemples, rappelons que le grand poète syrien Adonis, depuis longtemps en exil, fut exclu de l’organisation des Ecrivains arabes, uniquement pour avoir dit que les Arabes devaient reconnaitre que les Juifs sont une composante de l’histoire du Moyen-Orient !
Nier la réalité mène au délire
En dictant à la directrice de l’Unesco l’annulation de l’Exposition, »le Groupe arabe » fonctionne selon la même logique que cette organisation des écrivains arabes : ils nient que les Juifs soient une composante nationale du Moyen Orient. C’est l’ignorance de l’histoire juive, et plus encore, la volonté de la nier, qui font réellement tort aux actuelles négociations israélo-palestiniennes. Depuis longtemps j’avais coutume de dire que la question palestinienne ne pourra être réglée tant que le monde arabe ne règlera pas sa question juive. Ce qui vient de se passer à l’Unesco me donne, malheureusement, une nouvelle fois raison. Comment imaginer un seul instant que puissent aboutir des négociations où l’un des deux partenaires nie l’identité de l’autre, et sa légitimité à être une »composante » de cette région ? ! !
Et s’il est vrai que nier la réalité mène au délire, on aurait pu penser que cette Exposition sous l’égide de l’Unesco, aurait pu avoir des vertus plutôt thérapeutiques. Rappeler que le peuple juif, à force de résister et d’endurer un certain nombre d’avanies, puis de les surmonter, s’était constitué ce qu’on appelle une histoire, laquelle à force d’être transmise de générations en générations, durant 3500 ans, est devenue une mémoire, en quoi cela pouvait-il « porter tort aux négociations de paix en cours ou a l’objectivité et la neutralité de l’Unesco » ?
N’est-ce pas plutôt le diktat du »Groupe arabe auprès de l’Unesco » et l’abdication de sa directrice convertie en activiste de la campagne de Boycott d’Israël (BDS), qui « porte tort aux négociations en cours, à l’objectivité et la neutralité de l’Unesco » ?
Faut-il rappeler qu’Irina Bokova ne fut élue que parce que la candidature du favori, Farouk Hosni, ministre égyptien de la Culture durant plus de vingt ans, ne fut invalidée qu’in-extrémis en raison de ses nombreux propos judéophobes. N’avait-il pas déclaré en 2008 qu’il irait «lui-même bruler les livres écrits en hébreu» dans les bibliothèques égyptiennes ? Le même qui avait invité au Caire le philosophe négationniste Roger Garaudy, et dénoncé « l’infiltration des juifs dans les médias», n’avait-il pas déclaré en 1997 : « Les juifs volent notre histoire et notre civilisation ; ils n’ont pas eux-mêmes de civilisation ; ils n’ont pas de pays et ne méritent pas d’en avoir. Donc, ils essayent de créer un pays par la force.»
L’annulation de l’Exposition »Le Peuple, le Livre, la Terre: 3500 ans de relations entre le peuple juif et la Terre sainte », ne procède-t-elle pas de la même pensée? Et si les mêmes causes entrainent les mêmes effets, ce qui avait valu à Farouk Hosni sa non-élection, ne doit-il pas valoir aujourd’hui à Irina Bokova, en toute logique, son éviction?
Car au-delà de sa personne, il y va de la crédibilité même de cette institution. Soit l’annulation est maintenue et l’Unesco perdant toute légitimité se transforme en une nouvelle OIG anti-juive (Organisation Inter-Gouvernementale). Soit le »Groupe arabe » est désavoué, et Irina Bokova nous doit au minimum un mea-culpa.
L’une des plus graves
agressions symboliques
Je suis curieux de voir quelle sera la réaction des autres États qui financent l’Unesco, et notamment les USA, dont le Président lors de son dernier voyage en Israël en 2013, martela avec force, ovationné par un public d’étudiants, à Jérusalem (et non à Tel Aviv), qu’Israël était bien l’État du peuple juif héritier d’une histoire de 3500 ans.
J’attends aussi avec curiosité la réaction de tous ces intellectuels français bien-pensants qui s’étaient insurgés contre l’interdiction des spectacles négationnistes de M. Mbala Mbala.
En attendant, mon pronostic est le suivant : si les USA et les États européens principaux financeurs de l’United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO) fermaient les yeux et la bouche, si la directrice n’était pas obligée de revenir sur sa décision, ou justement congédiée, alors compte tenu de la dimension mondiale de cette institution et par conséquent de cette annulation, comme du fait que le »Groupe arabe auprès de l’Unesco » s’il n’est pas l’émanation directe de la Ligue arabe, en est extrêmement proche, alors disais-je, on pourrait considérer que nous venons d’assister en direct à l’enterrement des négociations israélo-palestiniennes.
Quelles que seront les suites de cette nouvelle »Affaire », l’annulation par l’UNESCO, de l’Exposition »Le Peuple, le Livre, la Terre: 3500 ans de relations entre le peuple juif et la Terre sainte », peut d’ores et déjà être considérée comme une des plus graves agressions symboliques contre les Juifs depuis la Shoah.
Décidément 2014, marquée par le sceau de la judéophobie délirante et consciente, a bien démarré !
Jean-Pierre LLEDO
Tribune publiée sur HuffingtonPost
(1) La lettre est signée par »Abdulla Alacalmi, délégué des Emirats arabes unis, Président du groupe arabe auprès de l’Unesco ».
(2) »Dieudonné et autres énigmes »- Soir d’Algérie- Dimanche 12 Janvier 2014
(3) ‘Algérie, histoires à ne pas dire », écrit et réalisé par l’auteur, diffusé en salles en France en 2008.
(4) – Editions Colin – 2013
(5) Le Monde. 15 Mars 2001
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