Dans cette vive tribune, Nathalie Kosciusko-Morizet évoque ses voyages à « Rio, Londres, Tokyo, Séoul, Shanghai, Berlin, New-York, Tel-Aviv ou San Francisco » : « partout, j’ai été frappée par un mouvement, une énergie, un bouillonnement d’initiatives ». Paris, écrit-elle, « me fait l’effet d’une trop belle endormie. Cette impression, hélas, est partagée par de plus en plus de Français, en particulier des jeunes ».
Elle insiste : « Paris n’est plus cette terre promise qu’elle a été pendant des siècles. La médiocre qualité de vie à Paris est la principale cause du décrochage international. Les villes qui réussissent dans la compétition mondiale, écrit-elle, sont précisément celles qui font le plus pour que leurs habitants s’y sentent bien ». Et d’affirmer sa conception de la fonction de Maire, qui doit « réinvestir le champ des révolutions urbaines ». Dans trois domaines clés : le logement, la sécurité et l’emploi.
En mars prochain, les Parisiens vont choisir leur Maire. Un moment essentiel qui est tout sauf banal. Un moment historique à bien des égards. Tant de choses doivent changer.
Paris est unique. Depuis douze ans, cette vérité, toute simple, a été oubliée, piétinée, trompée. C’est mon message à chaque Parisien, fier de vivre dans la plus belle capitale du monde, heureux et amoureux de sa ville.
Paris, c’est la France. Paris, parfois, c’est plus que la France. L’incarnation d’un rêve, d’une histoire inégalée, là où bat le coeur de tous les espoirs. Plus que New-York ou Rome.
Mais, Paris est-elle toujours à la hauteur ? À la hauteur des attentes que ses habitants, venus de toutes les régions de France et du monde, ont placées en elle ? À la hauteur de l’admiration – et parfois de l’agacement ou de la jalousie – qu’elle a toujours suscités, bien au-delà des frontières hexagonales, depuis qu’elle est ville ? Paris est-elle encore capable d’étonner le monde ?
Ce doute, il suffit de voyager pour l’éprouver. Dans le cadre de mes activités de Ministre ou maintenant de candidate à la Mairie de Paris, j’ai eu la chance de pouvoir séjourner dans des métropoles aussi différentes que Rio, Londres, Tokyo, Séoul, Shanghai, Berlin, New-York, Tel- Aviv ou San Francisco. Partout, j’ai été frappée par un mouvement, une énergie, un bouillonnement d’initiatives et d’idées qui n’était pas aussi perceptible il y a une quinzaine d’années.
Dans toutes ces villes, le monde paraît se réinventer à grande vitesse et dans tous les domaines. Les innovations concernent non seulement l’architecture, le développement durable, les transports, ou les nouvelles technologies, mais également l’organisation du service public et la façon de venir plus efficacement en aide aux plus fragiles.
Une ville qui décroche
Quand je suis de retour en France, Paris me fait l’effet d’une trop belle endormie. Cette impression, hélas, est partagée par de plus en plus de Français, en particulier des jeunes. Paris n’est plus cette terre promise qu’elle a été pendant des siècles. Elle n’est plus ce lieu où tout était possible, qui donnait à chacun sa chance, qui lui permettait, d’où qu’il vienne, de donner à sa vie un nouveau départ.
Quand on aime la France, quand on aime Paris, comment accepter ce qui est en train d’arriver ? Chaque année, des milliers de nos jeunes compatriotes vont chercher l’aventure et la réussite ailleurs. En Amérique ou en Asie, mais aussi chez certains de nos voisins européens. La plupart du temps, ils sont accueillis à bras ouverts par une nouvelle génération de Maires qui, comme Boris Johnson, savent tout ce que ces jeunes Français peuvent apporter à leur ville. À Londres, vivent aujourd’hui entre 300 000 et 400 000 citoyens Français. Ce mouvement menace de s’accélérer dans les années à venir : une récente étude a par exemple montré que 27 % des jeunes diplômés n’envisagent plus leur avenir qu’en dehors de France(1). Cuisiniers, commerciaux, artistes, financiers, les profils varient, mais tous ont comme point commun d’avoir renoncé à la plus belle ville du monde, pour chercher ailleurs les espaces de liberté, les opportunités personnelles et professionnelles qu’ils n’ont plus l’impression de pouvoir trouver à Paris.
Pour corroborer ce sentiment d’une ville qui, lentement mais sûrement, décroche, on pourrait multiplier les chiffres issus d’études récentes(2) montrant que, depuis 2008, Paris n’a cessé de perdre du terrain par rapport à Londres, Hong- Kong, Shanghai, Sao Paulo ou Moscou en matière d’attractivité. On pourrait également rappeler, par exemple, c’est tout sauf anecdotique, que Paris a perdu sa place de première ville organisatrice de congrès – un marché qui représente plusieurs milliards d’euros par an – au profit de Singapour et de Bruxelles.
Même le rayonnement culturel…
Même le rayonnement culturel de Paris, que seul New-York au cours du XXe siècle (à partir des années 1950) était venu contester, résiste mal au dynamisme retrouvé d’autres métropoles européennes, comme Londres et Berlin. Paris sera toujours une grande capitale patrimoniale – héritage de siècles glorieux – mais elle n’est déjà plus la ville de la création et de la vie culturelle. La vie nocturne parisienne est à l’avenant : la ville-lumière ne compte que 190 lieux de sorties nocturnes quand Londres en recense 337, New-York 584 et Shanghai 1865. À l’automne 2009, pas moins de 16 000 Parisiens ont signé la pétition « Quand la nuit meurt en silence ».
De ce relatif déclin, qui blesse notre fierté de Parisiens, nous pourrions nous consoler si, au moins, il faisait toujours bon vivre à Paris. Si la ville prenait soin de ses habitants. Si l’existence y était douce. Mais ce n’est pas le cas : il est devenu impossible de s’y loger, sauf si l’on est très aisé, ou alors « très aidé ». L’insécurité a atteint des proportions inquiétantes, y compris au centre ville. La circulation y est moins fluide que jamais et le niveau de pollution sonore et atmosphérique demeure extrêmement élevé. Les espaces verts y sont toujours aussi peu nombreux et les rues de plus en plus sales. Quant aux impôts locaux, ils n’ont cessé d’augmenter sans que la qualité du service public ne se trouve améliorée.
Il n’y a pas lieu, d’ailleurs, d’opposer ces préoccupations du quotidien aux problèmes d’attractivité que j’évoquais plus haut. En réalité, tout est lié : la médiocre qualité de vie à Paris est à mes yeux la principale cause du « décrochage » international. Les villes qui réussissent dans la compétition mondiale sont précisément celles qui font le plus pour que leurs habitants, qu’ils soient riches ou pauvres, s’y sentent bien.
Le départ
des classes moyennes
Cette situation doit cesser et Paris a tous les atouts, et même davantage, pour s’en sortir. Encore faut-il, cependant, que son Maire ne se contente pas d’y gérer les affaires courantes, fûtce de manière festive. Les Parisiens attendent plus d’un élu que des demi-mesures, des jardinières vertes ou roses, des passages piétons horizontaux ou verticaux. Le Maire doit s’engager dans la transformation en profondeur de la ville. Il doit réinvestir le champ des révolutions urbaines. En ce moment, trois domaines me semblent essentiels.
Le premier est celui du logement. Ces vingt dernières années, les prix de l’immobilier parisien ont augmenté 2,5 fois plus vite que les revenus des ménages. Avec pour conséquence le départ forcé des classes moyennes, qui n’ont plus les moyens d’habiter Paris. C’est particulièrement le cas des jeunes ménages, très nombreux à quitter la capitale dès l’arrivée de leur premier enfant. Paris se vide de la partie la plus active, la plus dynamique, de sa population.
Pour stopper cette hémorragie, il faut en finir avec la politique malthusienne et idéologique qui a été celle de la municipalité sortante. Au lieu de dépenser des sommes considérables pour racheter des logements déjà existants et les transformer en logements sociaux, il faut créer de nouveaux logements et les destiner en priorité aux familles des classes moyennes. D’importantes marges de manoeuvre existent encore : seule manque aujourd’hui la volonté politique pour s’en saisir.
Le deuxième domaine est celui de la sécurité, qui est devenu le sujet de préoccupation principal des Parisiens. Depuis quelques mois, la délinquance « classique » est en forte progression dans la capitale : cambriolages, vols à la tire dans les transports en commun (+27 % en 2012)… Mais le plus inquiétant est le climat d’incivilité qui règne désormais dans de nombreux quartiers, où se multiplient les dégradations d’équipements collectifs, où les insultes gratuites sont monnaie courante – sans parler du développement de la mendicité agressive. C’est la notion même d’espace public, commun, qui est menacée. Aucune renaissance de Paris n’est envisageable si le prochain Maire n’a pas le courage de prendre ce problème à bras le corps. Et que l’on ne m’accuse pas de « dérive sécuritaire » : si New-York passe aujourd’hui, sans doute à juste titre, pour la ville la plus ouverte, la plus tolérante et la plus créative du monde, c’est d’abord, il faut le rappeler, à la faveur de la lutte impitoyable qu’ont mené depuis les années 1980 ses Maires successifs contre la violence qui rongeait la ville de l’intérieur.
Le troisième domaine à réinvestir est celui de l’économie et de l’emploi. À l’instar des autres métropoles du monde, Paris doit enfin se doter d’une véritable stratégie de développement économique, dont le Maire, en dialogue constant avec tous les entrepreneurs de la ville, doit être l’ambassadeur en France et dans le monde.
Faire le choix de l’action
Se doter d’une stratégie, c’est faire des choix en favorisant les deux ou trois secteurs clés qui feront la croissance et les emplois de demain. C’est ainsi que Séoul, ville technologique, s’est lancée dans le biomédical et le design ; que Londres, qui était la capitale de la finance, s’impose aujourd’hui également comme celle de la mode, de l’art contemporain, de la création. En l’espace de trois ans, le nombre d’entreprises digitales dans le quartier d’East End est passé de 11 à 300, grâce à un engagement de la municipalité qui s’est traduit par des rénovations urbaines, des politiques de transport, mais aussi une implication concrète dans la vie économique. Paris à son tour doit miser sur ses secteurs d’excellence.
Tous ces chantiers, Paris doit les engager en raisonnant à la bonne échelle, qui ne peut plus, c’est l’évidence, se réduire à l’espace étroit délimité par le boulevard périphérique. En matière de logement, de sécurité, de développement économique, comme sur bien d’autres sujets, les solutions de long terme se trouvent au niveau du Grand Paris. Il faut rompre avec cette attitude obsidionale qui a caractérisé tous les Maires de Paris jusqu’à présent et a sans doute constitué l’un des freins les plus importants à l’essor de la capitale.
Le futur Maire n’aura pas de tâche plus urgente que de travailler avec ses voisins pour que se construisent progressivement, de part et d’autre de la frontière artificielle du périphérique, un avenir et une vision commune de l’agglomération, sur la base de projets concrets. Cette démarche pragmatique, respectueuse de chacun, est bien différente de la fuite en avant que voudraient nous imposer les socialistes franciliens avec la création d’une entité technocratique abstraite, baptisée « Paris-métropole », censée se superposer à des communes privées de leur pouvoir de décision.
Le contraire d’elle-même,
le repli, la frilosité
Depuis des siècles, Paris est la ville où l’on « monte », d’où qu’on vienne : pour y chercher la nouveauté, la liberté, la réussite, ou plus simplement, après les épreuves, le droit à un nouveau départ. La voici, aujourd’hui, pour la première fois de son histoire, menacée par ce qui est le contraire d’elle-même : une forme de repli sur soi, de frilosité. Dure envers ses propres habitants, elle ne fait plus rêver le monde. Pour se retrouver elle-même, pour être fidèle à ce qu’elle a toujours été, elle doit aujourd’hui faire le choix de l’action.
Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, Ancien Ministre, candidate (UMP) à la Mairie de Paris
(In La Revue Civique n°12, Automne 2013)
► Se procurer la revue
1) Deloitte-IFOP, Baromètre de l’humeur des jeunes diplômés 2013.
2) PricewaterhouseCoopers, Cities of Opportunity 2012.