Mélenchon-Guedj : une polémique très révélatrice des fractures à gauche. Par Marc Knobel

Historien, chercheur associé à l’Institut Jonathas de Bruxelles, l’essayiste Marc Knobel analyse pour la Revue Civique l’affrontement public entre Jean-Luc Mélenchon et Jérôme Guedj qui, sur fond de tensions relatives au conflit israélo-palestinien et à la montée de l’antisémitisme, expose les lignes de fracture qui divisent la gauche française. Retour sur une séquence politique où la polémique individuelle devient symptôme d’un malaise collectif.

Violences physiques et stigmatisation lors du 1er Mai

J’ai récemment vu circuler sur les réseaux sociaux des images saisissantes : des extrémistes, visiblement déterminés, ont pris d’assaut le stand du Parti socialiste lors du défilé du 1er mai à Paris. Animés d’une violence manifeste, ils ont tenté de s’en prendre physiquement aux militants sociaux-démocrates, socialistes et modérés, tout en scandant « cassez-vous ! ». Jérôme Guedj, député PS de l’Essonne, témoigne : « Les crétins décérébrés, pseudo-antifas et cagoulés de noir, sont arrivés. Injures, crachats, et enfin coups de poing et mortier »¹.

Ce type d’hostilité envers les « sociaux-traîtres » n’est pas nouveau dans certains milieux de la gauche radicale : il s’agit là d’une véritable marque de fabrique, presque une obsession identitaire. Lors de cette même manifestation, Jérôme Guedj a été la cible d’insultes antisémites et a dû être exfiltré du cortège sous les cris de « vendus », subissant huées et agressions de la foule. Interrogé sur les raisons de cette violence, Nicolas Mayer-Rossignol, Maire PS de Rouen, résume : « Il s’est fait agresser parce qu’il est socialiste et parce qu’il est juif »².

Une hostilité politique amplifiée par la polémique Mélenchon

Mais cette hostilité de rue trouve un écho dans la sphère politique, où la polémique prend une autre dimension. Les accusations de stigmatisation et d’antisémitisme à l’encontre de Jean-Luc Mélenchon ne sont pas nouvelles. Depuis plusieurs années, ses prises de position et certaines expressions, comme lorsqu’il avait accusé Pierre Moscovici de ne « pas penser français mais finance internationale » ont régulièrement alimenté la controverse.

Par ailleurs, la rupture entre Jérôme Guedj et Jean-Luc Mélenchon ne relève pas d’un simple désaccord ponctuel mais s’inscrit dans une séquence politique où la gauche française se divise sur la question du Proche-Orient, notamment après les attentats du 7 octobre 2023 et les prises de position plus qu’ambigües de LFI sur la qualification du Hamas.

La tribune de Mélenchon, point d’orgue de la crise

Rappelons les faits. Le 29 avril 2024, Jean-Luc Mélenchon publie une tribune sur le site L’Insoumission, média proche de son mouvement, visant explicitement Jérôme Guedj, son ancien camarade du Parti socialiste. Dans ce texte, Mélenchon reproche à Guedj ce qu’il qualifie de « recul net » sur le conflit israélo-palestinien, l’accusant de plaider « pour un “entre-deux” entre génocideurs et prétendu partisans de l’effacement d’Israël » ³. Il poursuit en dénonçant « l’ambiguïté du propos », qu’il considère comme « un signe dans son milieu de fanatisme », et ajoute : « L’intéressant est de le voir s’agiter autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions ». Mélenchon conclut en affirmant que Guedj aurait « renié les principes les plus constants de la gauche du judaïsme en France ».

Jérôme Guedj a publiquement dénoncé ce qu’il considère comme une essentialisation de sa personne, l’odieuse assignation à origines, affirmant : « Je ne suis pas un juif de gauche, je suis un universaliste ». Il souligne que jamais, auparavant, il n’avait été ainsi renvoyé à son identité juive dans le débat politique, pas même par l’extrême droite.

Marc Knobel
L’historien, essayiste et chroniqueur Marc Knobel est membre du conseil éditorial de la Revue Civique

Des conséquences politiques et une recomposition à gauche

La polémique s’intensifie lorsque Mélenchon accuse également Guedj d’être responsable de l’annulation d’une conférence sur le Proche-Orient à Lille, en avril 2024. Il le qualifie alors de « lâche de cette variété humaine que l’on connaît tous, les délateurs, ceux qui aiment aller susurrer à l’oreille du maître »⁴. Mélenchon fait aussi référence au parcours de Guedj et à sa participation à une manifestation : « Une nouvelle fois un “ni-ni” sur le mode de la circonspection balancée apprise à l’ENA. Bousculé par Meyer Habib sur l’estrade d’une manifestation du Likoud (parti de droite israélienne) au Trocadéro, le PS Jérôme Guedj sait maintenant qu’il ne serait guère mieux accueilli ailleurs ».

Cette fracture s’est traduite par une recomposition des alliances à gauche. Jérôme Guedj a publiquement reconnu son erreur d’avoir cru à la possibilité d’un rassemblement autour de Jean-Luc Mélenchon et plaide désormais pour une alliance des socialistes avec les écologistes et les communistes, à l’exclusion de LFI.

Enjeux et portée de la polémique

L’usage de formules telles que « la laisse de ses adhésions », la référence à « la gauche du judaïsme » et l’accusation de « fanatisme » ont été largement perçus comme une tentative d’essentialiser Jérôme Guedj à travers son identité juive. De tels propos ne sont pas sans conséquence : ils alimentent un climat délétère et renforcent la stigmatisation. On pourrait croire qu’ils ne touchent qu’une minorité mais ils laissent en réalité des traces profondes dans le débat public.

Enfin, au-delà des personnes, cette affaire interroge la capacité du camp progressiste à se prémunir contre toute forme de communautarisme et à défendre l’universalisme. Elle met en lumière la nécessité, pour la gauche comme pour la société française, de lutter sans ambiguïté contre l’antisémitisme.

Au fond, la question demeure : ce qui dérange certains, est-ce que Jérôme Guedj soit socialiste, ou qu’il soit juif  ? Ces attaques révèlent des préjugés persistants et témoignent d’un sectarisme assumé. On ne choisit ni ses origines, ni la haine dont on peut être la cible. Mais on choisit ses combats, et Jérôme Guedj demeure fidèle aux siens : ceux de la République.

Marc KNOBEL, historien, chroniqueur pour divers médias, est membre du conseil éditorial de la Revue Civique.

(03/05/2025)

Notes :

1/
2/
3/ la tribune de JL Mélenchon où le leader LFI attaque J Guedj prétendument attaché « à la laisse de ses adhésions »
4/ la sémantique Jean-Luc Mélenchon aux relents nauséabonds

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-A lire aussi, l’article d’Anne Rosencher dans L’Express: « LFI et la complaisance envers l’antisémitisme : la preuve par 5 » (oct 2023)
-L’éditorial du journal Le Monde : « Antisémitisme: les mensonges de Jean-Luc Mélenchon » (mars 2025)
-Dans la Revue des Deux Mondes, Valérie Toranian: « Mélenchon et le poison antisémite » (décembre 2019)
Le sens de la confrontation qui oppose Jean-Luc Mélenchon et Jérôme Guedj. Par Marc Knobel.
Dans la Revue des Deux Mondes, Valérie Toranian dénonce aussi avec précision « les démons antisémites » qui hantent la gauche radicale.