Le poids des extrêmes

-BON ET MAUVAIS SIGNE : le premier tour de la présidentielle a surpris son monde, sur deux points contrastés : une forte participation électorale et civique, laissant penser que, contrairement au domaine du religieux, en démocratie, il y a bien plus de pratiquants (participants au vote) que de croyants (au discours des politiques). Le désintérêt pour la campagne et la distanciation critique des citoyens n’étaient pas moins vrais mais il fallait voter : cela a été fait, et c’est positif.

-LE POIDS DES EXTRÊMES est le deuxième fait marquant. La crise y est bien sûr pour quelque chose et en France, les protestations grondent, les forces «anti-système» montent et la cause des problèmes est souvent recherchée… chez les autres : les étrangers, l’Europe, la mondialisation, la haute finance… Gauche radicale et extrême droite se satisfont de ces temps de malaises et de trouble, qui leur permettent d’agiter les épouvantails et de ramasser la mise.

-LES DÉMAGOGIES galopent, s’entretiennent les unes les autres, passant d’une extrême à l’autre en traversant aussi le champ affolé des partis de gouvernement. Le Front National version 2012 a donc percé, favorisé par les réflexes de repli identitaire qui parcourent l’Europe, par le discours «lissé» de son leader féminin, par l’attitude de ceux aussi qui ont fait l’erreur de vouloir «assécher» son électorat en puisant dans son discours, son idéologie et ses propositions. Pour les tenants d’une telle ligne, le résultat du premier tour, a été brillant : légitimé, le FN a engrangé un record historique de voix (6,4 millions), devenant le mouvement d’extrême droite le plus important d’Europe.

– QUELLE IMAGE pour la France ! Et surtout quel avenir pour un pays dont les extrêmes pèsent près d’un tiers de l’électorat ? Bravo et merci Monsieur Buisson ! Ce conseiller de l’ombre (devenu très influent) de Nicolas Sarkozy a été le partisan et l’artisan sur-actif de la stratégie d’ultra-droitisation de son candidat. Patrick Buisson est issu lui-même du lepénisme (il a dirigé l’hebdomadaire Minute, où il a été proche et même défendu personnellement par Jean-Marie Le Pen lui-même), il s’est converti 20 ans plus tard au sarkozisme après être passé par le « sas » de Villiers. Sa stratégie du rapprochement sémantique et idéologique avec le FN n’a rien « asséché » du tout mais tout amplifié. Cette stratégie n’a fait qu’entretenir les penchants populistes et favoriser la progression et la banalisation du « FN à visage humain ». Peut-être était-ce d’ailleurs son objectif non avoué.

– LE PAYS EST TROUBLÉ, de nombreux repères sont remis en cause, y compris dans les interprétations des votes qui, en 2012, ont un sens nouveau. Les sociologies électorales sont complexes et composites, y compris et peut-être surtout dans l’électorat de Marine Le Pen. Comme l’analyse par exemple François Miquet-Marty, Directeur de l’institut Viavoice (cf. son étude approfondie de l’ensemble des données du 1er tour de la présidentielle , publiée dans Libération du 25 avril), « dans leur majorité, les Français expriment des préoccupations sociales mais, dans leur majorité également, ils se réfèrent à des valeurs de droite ». Les catégories et les critères de vote d’aujourd’hui ne sont pas forcément ceux d’hier, les évolutions de l’opinion ne sont pas toujours celles qu’on croit ou perçoit, en tout cas le schématisme des analyses n’est pas d’actualité.

– IL N’EN RESTE PAS MOINS que la compréhension des électeurs du FN, qui ne se situent heureusement pas tous dans le cœur idéologique et doctrinale de l’extrême droite, a ses limites. Surtout quand la compréhension conduit à des compromissions sur le fond et des contorsions de langage. Car les partis d’extrême droite, même au marketing banalisé, sont historiquement et restent toujours porteurs d’un objectif de « révolution nationale » fondée sur des thèses racistes et antisémites qui, à des moments de crise précisément, ont pu enrôler des foules et, sans apporter le moindre début de solutions aux crises rencontrés ont conduit au contraire à la ruine et à la tragédie en Europe. Alors que notre continent subit la crise la plus grave depuis celle de 1929, l’histoire et ses mécanismes doivent être médités.

– LES LENDEMAINS d’élection présidentielle seront rudes. Quoi qu’il advienne, quel que soit le nom de l’heureux élu. Sera-t-il d’ailleurs vraiment heureux ? Car les défis lancés à notre pays, aux capacités à la fois de cohésion et d’évolution de notre société, sont immenses et sans doute largement sous-estimés. Ce qui n’a pas été fait avant l’élection, pendant ces mois de campagne, en terme de pédagogie, devra très vite être fait, peut-être en accéléré, après l’élection : sur l’Europe, sur la maîtrise des budgets publics et la restriction des comptes sociaux, sur la manière de relancer les entreprises françaises et l’emploi, sur les efforts collectifs à consentir et l’esprit de responsabilité individuelle à développer face à la crise… Sur tous ces sujets essentiels, soigneusement évités pour ne pas effaroucher une opinion présumée protestataire et rebelle, il faudra bien envoyer d’autres messages que ceux qui consistent à toujours reporter les discours de vérité.

Depuis 2011 et l’accentuation de la crise- qui est une crise de mutation-, on attendait la campagne de l’élection présidentielle pour de grandes explications et perspectives civiques. On peut se demander, en fait, si tout ne va pas commencer, en matière d’explications et d’horizon, après le 6 mai.

 

Jean-Philippe MOINET, fondateur et directeur de LA REVUE CIVIQUE

(le 26 avril 2012)

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